Abidjan-colloque sur les réseaux : « le lien social n’a pas fini de se déporter de notre monde vers la toile qui réduit les distances avec l’Autre »

Le Mercredi 19 octobre 2016 s’est ouvert le colloque International d’Abidjan qui a réuni des chercheurs et universitaires d’ici et d’ailleurs  dans l’Amphi A du district d’Abidjan pour réfléchir et échanger sur un sujet actuel et de grande importance, les réseaux sociaux en ligne à travers la thématique générale suivante : « Les réseaux sociaux en ligne, entre sociabilité, intimité et écriture de soi : problèmes et histoire des nouvelles transparences»collque-dabidjan-sur-les-reseauxsociaux-en-ligneA l’initiative du GRATHEL  (Groupe de recherche en analyses et théories littéraires), il a été clairement affirmé que   l’exploitation de l’Internet façonne de plus en plus les habitudes des hommes de cette ère et devient surtout indispensable quant il s’agit de connexion entre différents groupes de personnes proches ou éloignées et qui manifestent le besoin vital de communiquer. L’organisation du colloque a visé à susciter et rassembler différentes réflexions sur les changements qu’apporte la Toile dans le domaine des relations humaines à partir de trois axes : la construction sémiotique, l’épistémologie de soi et la question de la sociabilité.

Ledebativoirien.net  propose ici, tout le rapport dudit colloque rendu par Dr Elise ADJOUMANI du Département des Lettres Modernes- Université Félix Houphouët-Boigny.

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RAPORT FINAL DU COLLOQUE SUR « LES RÉSEAUX SOCIAUX EN LIGNE, ENTRE SOCIABILITÉ, INTIMITÉ ET ÉCRITURE DE SOI : PROBLÈMES ET HISTOIRE DES NOUVELLES TRANSPARENCES »

Conformément à l’objectif qui lui a été assigné, ce colloque a été le cadre de la mise en perspective des relations humaines au regard de leurs expressions multiformes dans les réseaux sociaux numériques. Sa pluridisciplinarité, la variété des problématiques qui y ont été abordées démontrent la curiosité que suscite le paradigme des réseaux sociaux en ligne, au point que ceux qui en l’occurrence y réfléchissent émanent d’un domaine autre que celui dont il relèverait naturellement.

En effet, durant ces trois jours, des spécialistes de littératures, de sciences du langage, de psychologie, de sciences de l’art, de philosophie nous ont permis d’explorer ce que le Pr Jean-Marie Kouakou, dans sa conférence inaugurale, a qualifié de « Terre nouvelle ». Située à côté de notre monde, pour paraphraser le conférencier, cette terre où nous n’allons pas toujours en totalité de nous-mêmes se distingue par sa souveraineté qui n’est pas autonomie, par ses nouveaux paradigmes, par ses citoyens, les amis, terme dont le sens n’est pas celui ancien que l’on sait.

Prof Jean-Marie Kouakou, professeur des universités, président du comité scientifique du colloque international d’Abidjan sur les réseaux sociaux
Prof Jean-Marie Kouakou, professeur des universités, président du comité scientifique du colloque international d’Abidjan sur les réseaux sociaux

 C’est ainsi ce monde virtuel, les enjeux du franchissement de ses frontières, la mise à l’épreuve de l’individu réel et ses interconnexions humaines dans cet univers, que les contributeurs ont tenté d’analyser, chacun sous l’un des trois axes du colloque ainsi que lors du forum.

À travers le premier axe intitulé « construction sémio-discursive », c’est à l’analyse des enjeux des ressources sémiotiques utilisées sur la toile que se sont pliés les contributeurs.

La langue et les émoticônes, notamment, sont mis au service d’un discours traduisant toute la subjectivité que charrie la prise de parole d’énonciateurs poussés vers les réseaux sociaux numériques par le besoin de se scénariser. Le discours de la toile est ainsi le lieu de la construction de l’éthos, notamment celui d’hommes politiques, un ethos aux reflets panégyriques. Il se présente aussi comme une réappropriation de la langue détournée du système traditionnel vers un usage particulier, remettant ainsi en question la norme linguistique.

Ce discours du soi se déploie, par ailleurs, à travers des pratiques artistiques telles que les performances et les chansons populaires montrant ainsi que les réseaux sociaux en ligne sont aussi le lieu de l’expression de l’intermédialité.

Olivier Yro,president-de l'OJPCI, paneliste
Olivier Yro,president-de l’OJPCI, 

panéliste

Le deuxième axe de réflexion, « épistémologie de soi », s’est intéressé principalement à l’individu comme point de mire des réseaux sociaux en ligne.

Il a été le lieu d’investigations épistémologique, psychologique et scripturale où les contributeurs se sont interrogés sur la signification, les implications de cette mise en scène de soi.

Ici, certains des questionnement ont porté sur la mise à l’épreuve de l’intimité  dans l’espace publique que constitue la toile, révélant le paradoxe du désir d’exposer son moi tout en cédant à la tentation du port d’un masque pour contrebalancer le risque de la traçabilité de ce moi.  D’autres ont rendu compte des nouveaux comportements qu’induit la présence du moi sur la toile et de l’hyperconnectivité que peut provoquer ce besoin de s’exhiber.

panelElles décrivent un individu en perte d’authenticité qui cherche, à travers les réseaux sociaux, un ancrage dans le regard de l’autre, ancrage qu’il espère salutaire. Il peut aussi, cependant, s’agir d’un individu développant un comportement inadapté à la société, caractérisé par la phobie, des tensions, le repli sur soi, qui mettent à mal le rapport du moi à l’Autre.

Cet axe de réflexion a également été le cadre d’exposés sur la problématique de l’identité. Celle-ci a été déclinée à travers la signification de l’identité hybride sur la toile, les dangers que pourraient comporter une identification de soi à travers des contenus au sens équivoques et le processus de construction d’une identité en crise sujette aux modèles et aux interactions ayant cours sur les réseaux sociaux numériques.

Enfin, les réseaux sociaux numériques apparaissent comme de nouveaux territoires scripturaires, champs virtuels de la création littéraire et nouveaux domaines de l’extranéité littéraire. Il y est, par ailleurs prôné, à l’image de la poésie du XXIè siècle les vertus de la liberté et de la communication sources d’épanouissement.

Le troisième axe portant sur la question de la sociabilité a regroupé des interventions développées autour des thèmes de l’interconnexion sociale, de l’activisme en ligne et de l’imaginaire numérique.

prof-adama-kone-president-du-grathelPartant de l’exemple de Facebook, les contributions relatives à l’interconnexion sociale ont analysé les enjeux du lien social virtuel créé sur les réseaux sociaux en ligne. C’est un lien qui paraît de nature intéressé dans la mesure où l’individu qui entre en connexion avec un autre sur la toile espère de ce lien une valorisation de son individualité. C’est également un lien source d’épanouissement pour ceux qui sont appelés les « facebookeurs », mais qui, par contrecoup, peut avoir des conséquences néfastes sur l’évolution professionnelle de ces derniers lorsque cette pratique des réseaux sociaux présente un caractère débridé. Ce lien traduit aussi l’émergence de nouvelles formes de sociabilité ayant leurs propres normes fondées sur l’intimité des internautes, leurs histoires, leurs fantasmes et leurs relations.

Relativement à l’activisme en ligne

pan les communications du panel neuf, tout comme la conférence du ministre de la culture, ont souligné l’impact déterminant des cyberactivistes sur l’évolution démocratique de certains pays, le rôle de catalyseur des réseaux sociaux en ligne dans les révolutions africaines contemporaines. Ces réseaux apparaissent ainsi comme le lieu d’émergence d’une conscience collective portée par des intérêts communs dont l’individualisme ayant cours dans la société réelle sonne quelquefois le glas.

L’imaginaire numérique à l’œuvre sur les réseaux sociaux, dernière problématique abordée sous l’axe de la sociabilté, peut renvoyer à un univers science-fictionnel où l’idée de sociabilité est l’inverse de celle que reflète bien souvent la vie sur les réseaux sociaux. Dans le cyberespace, il n’est pas question de s’exposer, mais de se terrer. L’imaginaire numérique peut aussi s’appliquer à la scénographie du corps qui quitte la sphère privé pour faire irruption dans le domaine public.

colloqueOutre ces trois axes de réflexion, ce colloque a également vu la contribution sous la forme d’un forum, de professionnels du secteur du numérique, venus partager une vision et une expérience extra universitaires du phénomène des réseaux sociaux qui concerne toutes les couches de la société. Leurs interventions ont porté sur trois sujets : «  réseaux sociaux en ligne et croissance économique », « l’impact des réseaux sociaux en ligne sur la conscience politique et la conscience citoyenne », et « le journalisme face aux médias sociaux ».

panelistes-au-ciarsPour clore notre propos, de par la diversité et la richesse des réflexions dont nous venons d’essayer de rendre compte, nous pouvons avancer que le sujet des réseaux sociaux en ligne recèle encore de nombreux aspects à explorer tant l’évolution du numérique est galopante et tant, à l’ère de la mondialisation, le lien social n’a pas fini de se déporter de notre monde vers la toile qui réduit les distances avec l’Autre »..

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