Les 8 raisons qui ont poussé Donald Trump à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël?

Avec Jean-Eric Branaa Spécialiste des questions relatives à la société et à la politique aux Etats-Unis, maître de conférences à l’université de Paris II Assas

DONALD TRUMP USA
U.S. Vice President Mike Pence listens as U.S. President Donald Trump announces that the United States recognizes Jerusalem as the capital of Israel and will move its embassy there, during an address from the White House in Washington, U.S., December 6, 2017. REUTERS/Kevin Lamarque

L’incompréhension règne dans le monde alors que rien ne laissait présager voici quelques jours encore qu’une telle annonce allait intervenir avant la fin de cette année. La soudaineté de cette décision a été vécue comme une véritable brutalité et la recherche d’une explication rationnelle a très vite mené sur la piste de l’entourage du Président. Une liste a même été dressée par plusieurs observateurs ou journalistes. Outre sa fille Ivanka, qui s’est convertie au judaïsme, et son gendre, Jared Kushner, omniprésent aux côtés du président, on retrouve des personnalités très influentes: David Friedman, Jason Greenblatt, Steven Mnuchin, Stephen Miller, Gary Cohn, Boris Epshteyn David Shulkin, Reed Cordish...

De là à écrire que le président des Etats-Unis est sous influence, c’est un pas que certains ont allègrement franchi, notamment dans les milieux d’extrême droite. Cette critique revient régulièrement, en particulier aux Etats-Unis et Andrew Anglin, qui est le fondateur du webzine néo-nazi Daily Stormer, avait ainsi écrit l’été dernier, après les événements de Charlottesville, que « le président est devenu maintenant l’otage des juifs, qui ont pris le contrôle de son administration. »

Des juifs-américains méfiants

HamasCet avis n’est pas forcément partagé par la communauté juive américaine: ils n’ont été que 24% à voter pour lui en novembre 2016 et n’ont pas été satisfaits par son début de présidence. Par sa rhétorique de campagne et ses propos virulents contre le «politiquement correct», Donald Trump a libéré en quelques mois la parole de toute une frange gravitant autour des mouvances extrémistes américaines. La communauté juive lui reproche d’avoir implicitement encouragé l’émergence d’un climat propice à la recrudescence des actes antisémites qui, de fait, se sont multipliés depuis son élection avec notamment une série d’incidents perpétrés contre des centres juifs à Birmingham, en Alabama, à Tampa, en Floride, à Saint Paul, dans le Minnesota, à Buffalo, ou encore à Amherst, ou dans l’État de New York. Il y a aussi des actes concrets qui entretiennent les tensions entre Trump et ce groupe comme ce raté lors de la Journée de l’Holocauste, le 27 janvier 2017, quand Donald Trump a oublié, volontairement ou pas, de citer nommément les juifs dans son communiqué. C’est un oubli qui n’est pas passé.

Un changement de discours

La mutation dans l’attitude du président vis-à-vis des juifs a été très remarquée. Car Donald Trump a effectivement largement corrigé le tir depuis : d’abord dans un discours prononcé le 23 avril, puis par son voyage en Israël, rassurant la communauté juive et désespérant ses soutiens d’extrême droite. Dans un autre discours prononcé devant l’assemblée plénière du Congrès Mondial des Juifs, Donald Trump a exprimé clairement que « l’Holocauste est le chapitre le plus sombre de l’histoire des hommes. » Lors de sa visite à Yad Vashem, il a encore été plus loin, affirmant même « qu’il n’y a pas de mots pour décrire cette horreur. » « Plus jamais ça » a-t-il conclu dans les deux occasions.

Le déplacement en Israël

DONALD TRUMPET ISRAEL ledebativoirien.negtLa visite en Israël a été très observée par la communauté juive-américaine. Le manque de clarté en politique étrangère a dérangé beaucoup de ses membres mais un vent d’optimisme a également soufflé, en voyant l’amitié forte qui était exprimée par les deux pays. Durant ce voyage, le président des Etats-Unis a pris le temps de visiter trois sites majeurs dans la ville trois fois sainte. Le lundi matin, il est devenu le premier président en exercice à se rendre sur le site le plus sacré de la religion juive: le Mur des Lamentations. L’image a été très forte: le mur avait été placé sous le contrôle de la Jordanie jusqu’en 1967 et la controverse se poursuit depuis pour savoir qui doit en avoir le contrôle. Les présidents américains successifs ont toujours choisi de ne pas s’impliquer et, en conséquence, d’éviter de s’y rendre. Avec un tel acte, le président Trump a montré qu’il suivait une approche très traditionnelle dans le conflit israélo-palestinien, même s’il a précisé alors –déjà– qu’il favorisait la solution de deux Etats. Cela a été vécu comme un soulagement par les juifs-américains. Pourtant, on sent bien que la seule motivation de plaire à cette communauté n’est pas suffisante pour justifier le chaos qui a été créé cette semaine.

Les évangélistes sont satisfaits

TRUMP ET LE HAMAS ledebatIvoirien.netOn a aussi trouvé un complément d’explication à l’annonce de mardi soir par la nouvelle proximité de Donald Trump avec les évangélistes américains. Lui même est presbytérien, mais il s’est rapproché de ce groupe religieux extrême en constatant qu’ils lui ont apporté un soutien incontestable, à 81% d’entre eux, soit un quart de l’électorat américain. A l’université Liberty, qui est dirigé par le fils d’un évangéliste célèbre des années 80, Jimmy Falwell, Trump a déclaré « qu’on ne chérit pas son gouvernement mais qu’on chérit son Dieu ». Ce groupe était très favorable à la reconnaissance de la capitale de l’Etat d’Israël, au nom « d’un arc biblique » qui unirait les deux religions juive et chrétienne. La décision du président aurait donc été motivée par l’idée de leur faire plaisir, dans un souci de politique intérieure, pour « parler à sa base ». Ce n’est certainement pas entièrement faux, mais cela ne suffit pas non plus comme explication, même complémentaire.

L’impopularité de Trump augmente

Car, paradoxalement, c’est au sein de ce groupe que Donald Trump a récemment perdu le plus de voix. Le Pew Research Center vient de publier une étude démontrant qu’ils étaient 78% à le soutenir encore en décembre, mais qu’ils ne sont plus que 61% aujourd’hui. Une perte de 17 points en quelques mois! Il faut donc arrêter d’appeler ces évangélistes « sa base », car si sa base se trouve en partie là, elle est visiblement plus étendue: la côte générale de Donald Trump, elle, n’a pas bougé dans le même laps de temps. De quoi affoler les plus fins analystes politiques! En tout cas, cela disqualifie l’idée qu’il s’agirait de récompenser ce groupe pour sa fidélité sans faille.

Une nouvelle crédibilité politique

1078262 des manifestants palestiniens brulent un portrait du president americain donald trump et montrent unLa recherche d’un motif crédible amène donc à s’intéresser à la réaction des politiciens américains face à cette annonce. Et là la surprise est de taille: pas une voix discordante, pas un reproche, pas de front unis contre ce président et personne n’a dit qu’il est fou ou incontrôlable! Même les plus grandes voix démocrates approuvent la décision qui a été annoncée au monde: Nancy Pelosi, leader des démocrates à La Chambre, Chuck Schumer, leader du même groupe au Sénat, mais aussi de nombreuses voix d’opposants « traditionnels » à Donald Trump, y compris John McCain ou encore compris Bob Corker, qui semble avoir juré d’agir pour la chute du président jusqu’au dernier jour de son mandat qu’il perd pour sa part dans quelques mois à cause de cet homme, tous ont déclaré leur soutien et leur approbation sans réserve.

Un respect des institutions

Il faut alors se rendre compte et tirer cette conclusion qui déplaît au monde entier: Donald Trump a agi dans le respect des décisions prises avant son élection, du moins sur le plan intérieur. Peu importe les règles du droit international dont il s’affranchit, en particulier la résolution 465 de l’ONU de 1980 ou la 2334 du 23 décembre dernier. Donald Trump ne se préoccupe que de son pays. Fidèle à ce qu’il fait depuis le départ, il rend au Congrès l’entièreté de son pouvoir législatif et renvoie hors de la Maison-Blanche ce qui n’a rien à y faire, selon lui.

Or, la décision de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu est une décision entérinée par une loi votée par le Congrès américain le 23 octobre 1995, le Jerusalem Embassy Act. Donald Trump n’a fait que la respecter en refusant de signer un énième report de six mois, comme l’ont fait tous ses prédécesseurs. Le congrès est donc satisfait puisque ses prérogatives sont conservées. Il est également satisfait parce que les grand élus américains sont tous favorables à la cause d’Israël depuis très longtemps: en mars 2015, John Boehner –alors président de la Chambre des représentants– avait invité Benjamin Netanyahu a venir s’exprimer à la tribune de l’Assemblée américaine, alors même que le président de l’époque, Barack Obama, refusait de lui accorder une audience à la Maison-Blanche.

Trump et la politique

Donald Trump ledebativoirien.netLe 45e président américain aurait donc fait de la politique intérieure avec cette affaire, satisfaisant au passage, les juifs-américains, les évangélistes, le Congrès, les élus républicains et même les élus démocrates. C’est une opération pleinement réussie, d’autant qu’elle renforce son image d’un homme fort, déterminé et prêt à faire face au courroux général, fut-il mondial. Le fameux « il tient ses promesses » est désormais attaché à sa personne et deviendra sans nul doute une marque indélébile et qui soutiendra sa prochaine campagne.

Mais cette opération a aussi, encore une fois, montré son incapacité à comprendre la dimension symbolique d’une présidence et d’appréhender le ressenti des populations et les aspects émotionnels. Il répète encore qu’il souhaite la paix et qu’il œuvrera dans ce but sans relâche: il ne perçoit pas qu’il s’est disqualifié tout seul du rôle de modérateur neutre, tel que l’a remplit son pays jusqu’à présent dans ce conflit compliqué. La brutalité est parfois demandée dans certaines actions et il en est même qui l’apprécie ; mais elle n’est pas le meilleur chemin pour calmer les blessures qui sont à vif, ce qui est justement le cas dans cette région du monde.

donal trump président USALes électeurs américains se rendent bien compte du climat actuel et du reproche adressé à leur pays: la cote de leur président a aussitôt dégringolée pour atteindre le niveau le plus bas depuis son élection. Mais cela reste une chute contrôlée: cela durera un temps et reprendra le niveau de stabilité que l’on observe depuis des mois. Donald Trump est déjà reparti vers d’autres fronts et les Américains continuent à observer le tourbillon qui s’est abattu sur leur pays. Le reste du monde fait maintenant de même.

KEVIN LAMARQUE / REUTERS

© 2017, redaction. All rights reserved.

Du même auteur