En 2020, la Côte d’ivoire doit relever un double défi sécuritaire et politique. Sur le plan sécuritaire, la menace terroriste doit être prise au sérieux. Notre pays n’est pas une cible potentielle, il est une cible réelle. L’attentat du 13 mars 2016 à Grand-Bassam l’illustre bien. Le gouvernement doit donc renforcer sa lutte préventive contre les mouvements jihadistes qui sévissent au Mali et au Burkina Faso, deux Etats voisins.
Le clergé musulman doit davantage renforcer la formation des imams et responsables religieux dans le septentrion ivoirien. Par ailleurs, comme on le constate au Nigéria avec Boko Haram et au Mali avec les mouvements affiliés à l’Etat islamique et à al-Qaïda, les terroristes savent habilement exploiter les vulnérabilités sociales et économiques. Les régions du nord restent, nonobstant les efforts des pouvoirs publics, socialement démunies. Le taux de scolarisation reste faible. Il varie entre 43% et 53% sur l’arc allant de Minignan à Bouna, alors qu’il est de 91% au niveau national. L’accès des populations aux soins de santé, à l’électricité et à l’eau reste faible, en deçà des 61% et 60% au niveau national respectivement pour le courant et l’eau potable. Les activités économiques génératrices de revenus sont insuffisantes, bref, la paupérisation est une réalité dans le nord ivoirien. C’est une lapalissade, la pauvreté et l’ignorance rendent les populations vulnérables. L’Etat fait des efforts pour éradiquer la pauvreté et l’analphabétisme en Côte d’ivoire, il doit continuer cette politique de façon exceptionnelle pour ces quatre régions du nord pour que les populations sentent davantage sa présence, ce qui pourrait renforcer leur patriotisme et rester autistes aux discours séducteurs des islamistes. En sus, ces régions sont souvent confrontées aux conflits entre éleveurs et cultivateurs.
Au niveau politique, le défi majeur est l’organisation de l’élection du président de la république en octobre 2020. A dix mois de ce scrutin, les ivoiriens restent sceptiques voire pessimistes. L’actualité politique y est pour beaucoup. La réforme du cadre institutionnel des élections, en 2019, n’a rassuré personne. En effet, les politiques, sur la réforme de la Commission Electorale Indépendante (CEI) , se sont séparés en queue de poison. Certes, nous avons une nouvelle CEI, mais avec l’absence au sein de la commission centrale d’une partie importante voire la plus significative de l’opposition politique. C’est dans ce contexte que s’ouvrent les négociations pour la réforme du cadre juridique des élections. Dans son traditionnel discours à la nation du 31 décembre 2019, le Chef de l’Etat a annoncé la prochaine révision de la constitution et du code électoral. Comme d’habitude, les premières rencontres entre les acteurs politiques se sont soldées par de larges sourires, de chaudes poignées de mains et des accolades théâtrales voire comiques. De beaux clichés pour les médias, mais personne n’est dupe. Nos hommes et femmes politiques restent ce qu’ils ont toujours été, jamais d’accord sur l’essentiel. La société civile aussi. Ce qui est remarquable, c’est l’absence des intellectuels à ces tables de négociation. Et pourtant, le débat républicain repose sur le trépied : classe politique, société civile et communauté intellectuelle. Pourquoi le gouvernement n’invite pas les professionnels de la pensée et de la réflexion aux débats républicains alors qu’ils sont facilement identifiables et joignables ?
Je pense pour ma part que la réforme constitutionnelle et celle du code électoral doivent renforcer les acquis démocratiques et favoriser des élections ouvertes et transparentes. Pour être précis, je voudrais prendre deux points : l’âge d’éligibilité et le cautionnement. Relativement à l’éligibilité, l’âge minimum, à mon avis, doit coïncider avec l’âge de la majorité électorale, c’est-à-dire 18 ans. Comment comprendre ou expliquer que celui qui a la capacité de choisir ne l’ait pas pour diriger ou gouverner ? En sus, il faut éviter de limiter l’âge maximum pour donner au scrutin son caractère démocratique et même libéral. Quant au cautionnement, je ne cesse d’écrire qu’il est contraire au suffrage universel consacré par l’article 52 de la constitution. Le cautionnement, sauf à renoncer à l’Etat de droit, est anticonstitutionnel (aucun constitutionnaliste sérieux ne peut dire le contraire). En lieu et place, il faut instaurer le parrainage, source par excellence de légitimité. Attention ! Pas pour l’élection présidentielle d’octobre 2020. Mais après. La côte d’ivoire a les moyens humains pour organiser des élections apaisées en 2020 et la volonté politique affichée par le gouvernement pour y arriver est à saluer. Je voudrais, pour terminer cette contribution, faire une proposition. Que les initiateurs de la réforme constitutionnelle réintroduisent la disposition de la constitution de 2000 qui interdisait au président de la république d’être chef de parti politique. Le fait que le Chef de l’Etat soit le chef d’un parti politique fragilise la fonction présidentielle. En effet, selon l’article 54 de la constitution, le president de la république incarne l’unité nationale. Comment peut-il valablement incarner l’unité nationale s’il est le chef d’un camp politique ?
Geoffroy-Julien KOUAO
Juriste et politologue
Auteur de « 2020 ou le piège électoral ? L’indispensable réforme du cadre théorique, juridique et institutionnel des élections en Cote d’Ivoire »