Publié le 28 juin 2018 par Jeune Afrique sous la plume de Vincent Duhem à Abidjan, ce dossier pourrait ouvrir une brèche de mémoire sur l’acharnement du régime d’Abidjan contre Maurice Kakou Guikahué, le Secrétaire Exécutif du PDCI-RDA incarcéré, depuis le 3 novembre 2020. En écrivant ses lignes, le journaliste ne pensait pas faire une révélation sur ce qui attendait Kakou Guikahué. Lisez ce qu’il publiait, depuis 2018, très proche de 2020…
Il est plus de 23 heures, ce dimanche 17 juin 2018, quand s’achève le 13è bureau politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), à Cocody. Le quartier est encore bouclé.
Après six heures d’âpres débats, l’intégration au parti unifié RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) a été repoussée ; elle n’interviendra qu’après l’élection présidentielle de 2020. Dans l’auditorium, la tension retombe. Les participants se lèvent et se mettent à chanter.
Guikahué était devenu l’homme à abattre, celui qui empêchait la fusion des deux poids lourds ivoiriens
Favorable au maintien de l’alliance RHDP dans sa forme actuelle plutôt qu’à la création d’une formation unifiée, Guikahué était devenu l’homme à abattre, celui qui empêchait la fusion des deux poids lourds ivoiriens.
À chacun son autonomie
«Cela montre que la base n’était pas favorable au parti unifié, confirme un autre cadre. Bédié a fixé le cap depuis 2015 : pour lui, le parti unifié, c’est la réunification du PDCI-RDA et pas autre chose. Il n’a pas varié depuis. Comme le RDR [Rassemblement des républicains] ne veut pas revenir au PDCI, Bédié préfère que chacun garde son autonomie».
Si ce fervent catholique de 67 ans au physique imposant a vécu ces dernières semaines avec le calme et la détermination qui le caractérisent, il avait tout de même confié à l’un de ses proches qu’il n’excluait pas de démissionner si le bureau politique ne suivait pas sa ligne.
Parcours
Biberonné au Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (Meeci) dès les années 1970, ce cardiologue a fait partie des derniers médecins de Félix Houphouët-Boigny, et c’est au chevet du père de l’indépendance qu’il a fait la connaissance d’Henri Konan Bédié.
Il sera ministre de la Santé sous sa présidence, jusqu’au coup d’État de 1999–une période marquée par le scandale du détournement d’une aide de 18 milliards de F CFA (27 millions d’euros) que l’Union européenne destinait au secteur de la santé.
Mais, lors de l’élection de 2000, Guikahué a choisi, comme une partie du PDCI, de soutenir le «tombeur» de Bédié, le général Robert Gueï. Un écart de conduite qu’aiment rappeler ses adversaires, mais que le Sphinx de Daoukro paraît lui avoir pardonné.
Relation complice
Depuis, les deux hommes ont noué une relation complice. Secrétaire exécutif du mouvement de Bédié depuis 2013, Guikahué semble avoir parfaitement compris le rôle qui lui était attribué.
«Il connaît le parti et l’homme par cœur. Il ne prend pas de décision sans l’en informer. Le secrétariat exécutif est comme le gouvernement de Bédié. Guikahué est son Premier ministre. Son rôle est de défendre son président et de faire appliquer ses directives sans états d’âme», explique un baron du PDCI.
De fait, en 2015, lorsque Bédié lance son appel de Daoukro et demande à ses militants de soutenir Alassane Ouattara, Guikahué ravale sa fierté pour faire accepter la décision du chef auprès de la base et de cadres particulièrement hostiles à cette idée. Et, aujourd’hui encore, il est capable de parcourir des centaines de kilomètres pour dix minutes d’audience avec son chef.
Cette proximité en agace plus d’un au sein du PDCI. Certains l’accusent d’avoir exacerbé la division en son sein ainsi que les tensions avec le RDR. D’autres le soupçonnent de pousser l’ancien président à se représenter en 2020. Et les proches de Daniel Kablan Duncan jugent qu’il n’est pas étranger à la dégradation des relations entre Bédié et le vice-président.
Crime de lèse-majesté
Marié à une sage-femme vivant dans le sud de la France, à qui il rend visite presque tous les mois, Guikahué est décrit par ses proches comme un homme «précis, sobre, loyal et un peu timide». Il n’en est pas moins un excellent stratège, prêt à tout pour défendre ses idées. Quitte, parfois, à prendre quelques libertés.
Plusieurs barons du PDCI lui reprochent d’avoir, par ces propos, humilié le chef de l’État-un crime de lèse-majesté chez les Akans…Mais l’intéressé estime n’avoir fait que défendre son parti.
Maurice Kakou Guikahué, la valeur sure d’Henri Konan Bédié
Aujourd’hui, Guikahué sort renforcé du bureau politique du 17 juin. Mais il sait que la décision prise par le PDCI n’est pas une fin en soi et qu’elle met le parti face à ses responsabilités. Le lendemain matin à 6 heures, le secrétaire exécutif a pris la route pour Dimbokro (Centre) afin de surveiller les opérations d’enrôlement sur les listes électorales. Pourquoi ? Parce que Bédié le lui a demandé, évidemment.
Ils y croient encore
Mais ils ne baissent pas les bras : selon nos informations, certains espèrent faire invalider les résolutions du bureau devant les tribunaux pour vice de forme. «Le bureau politique a été faussé dans son organisation, il ne traduit pas ce que la vraie base pense», affirme l’un d’eux, qui veut croire qu’Henri Konan Bédié peut encore être convaincu d’organiser un congrès extraordinaire pour débattre de la question du parti unifié.
Source : https://www.jeuneafrique.com/mag/581882/politique/cote-divoire-maurice-kakou-guikahue-la-valeur-sure-dhenri-konan-bedie/
NB : Le titre et le chapeau sont de la rédaction
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