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Urgent-période électorale: quelle influence de la nationalité sur le vivre ensemble communautaire?   Geoffroy-Julien Kouao, politologue répond

Au cours de la conférence prononcée, le samedi 19 décembre 2020 à l’espace Gemas de la Riviera, à l’invitation de l’ONG CWAP (Collectif des webactivistes pour la paix et la cohésion sociale), sur la nationalité et l’élection en côte d’Ivoire, Geoffroy-Julien Kouao Politologue et Ecrivain abordant, traitant du thème : «L’influence de la nationalité sur le vivre ensemble communautaire en période électorale»,  a clairement  posé les conditions et bases d’une pais durable, notamment  pré et postélectorale.

Voici ce qu’il dit

« Un Etat, c’est cumulativement un territoire, un pouvoir politique et une population. Ensemble des nationaux et des non nationaux, la population est  donc une des conditions d’existence de l’Etat.

Les nationaux sont toutes les personnes qui ont la nationalité de l’Etat où ils vivent. Par contraste, les non nationaux ont une nationalité autre  que celle de l’Etat ou ils sont. Il est donc possible de vivre sur un territoire étatique dont on n’a pas la nationalité.  La nationalité n’est donc pas sociologique. Elle est juridique. C’est quoi donc la nationalité ? Selon le lexique juridique, la nationalité est un lien juridique et politique qui lie une personne physique ou morale à un Etat. Par exemple, un individu qui a lien juridique avec l’Etat de Côte d’ivoire est un ivoirien. Est donc ivoirien, celui qui a la nationalité ivoirienne. Et selon le code de la nationalité ivoirienne, on est ivoirien de trois manières.

D’abord, on est ivoirien par attribution, c’est-à-dire que l’enfant dont les deux parents ou un des parents est ivoirien, qu’il naisse en Côte d’ivoire ou hors du territoire national. Ensuite, on est ivoirien par acquisition soit de plein droit, c’est l’exemple d’un enfant adopté par un couple ivoirien, c’est aussi  l’exemple de la femme non ivoirienne qui contracte un mariage avec un ivoirien, il en de même de l’homme non ivoirien qui se marie à une ivoirienne ; soit par décision de l’autorité publique, c’est l’exemple de la naturalisation ou de la réintégration.

Dans tous les cas de figure, la nationalité parce que attribut de l’Etat permet de faire la différence entre les composantes de la population, c’est-à-dire, entre les nationaux et les étrangers. La population ivoirienne est, selon le recensement général  de la population et de l’Habitat (RGPH 2014),  de 23.671.331 Habitants dont 5.490.222 de non ivoiriens, soit 24,2%.

La nationalité confère aux nationaux la plénitude de la citoyenneté dont le corolaire est la jouissance   de droits politiques dont le plus emblématique est le droit de vote. En effet, selon le droit positif, seuls les nationaux peuvent être électeurs  et éligibles. Le vote est une question de nationalité et non de territorialité. Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, si l’article 5 de la constitution du 3 novembre 1960 réservait le droit de vote aux seuls ivoiriens et faisait donc de la nationalité, la condition juridique et substantielle  de la citoyenneté, dans la pratique, depuis 1960, les  ressortissants de la Communauté Economique De l’Afrique l’Ouest  avaient toujours pu voter et, en  1980, la loi électorale accordait  même le droit de vote aux non-ivoiriens d’origines africaines inscrits sur les listes électorales.

Si cette participation des étrangers au jeu électoral ne posait pas de problème dans le cadre du monopartisme, à partir de 1990, après l’instauration des élections concurrentielles, le retrait de la participation des étrangers au vote devient la principale revendication de l’opposition. En effet, l’opposition ivoirienne voit en l’électorat non ivoirien, «un bétail électoral» pour l’ancien parti unique. Cette problématique électorale, sera dans la décennie 90, l’explication majeure de la fracture sociale entre ivoiriens et étrangers surtout les ressortissants de la sous région.

Au delà du corps électoral, la nationalité devient un critère essentiel de l’éligibilité.

Quoi de plus normal, diraient les juristes. Le hic est qu’un amalgame fâcheux est fait entre la nationalité, notion purement juridique et l’autochtonie, notion socio-anthropologique. En effet, la loi électorale de 1994 dispose que «Nul ne peut être président de la république s’il n’est pas âgé  d’au moins 40 ans révolus et s’il n’est ivoirien  de naissance, de père et de mère eux même ivoirien de naissance ».

Cette disposition du code électoral, fondement légal ; selon certains analystes, de l’ivoirité va empoisonner la vie politique et sociale ivoirienne pendant trois décennies. Les différents accords nés de la crise militaro-politique de 2002 vont permettre de cette de juguler cette contradiction sans la résoudre réellement. Depuis 1995, la période électorale rime au rythme de la fracture sociale, surtout entre les nationaux et les non nationaux. Et pourtant, la constitution, d’abord, le code électoral, ensuite,  sont d’une extrême  clarté. «Sont électeurs les nationaux ivoiriens des deux sexes»

De ce qui précède, le recensement du corps électoral, première étape de l’opération électorale, ne concerne que les seuls nationaux, exclusion faite des étrangers. Et pourtant, la suspicion est grande sur la fraude de la nationalité. En effet, d’abord, dans la décennie 90, c’est l’opposition  qui accusait le pouvoir PDCI de brader la nationalité ivoirienne pour constituer sa base électorale.

Ensuite, aujourd’hui, l’opposition accuse le pouvoir RHDP d’en faire autant et il n’est pas rare de voir dans les journaux proches de l’opposition des cartes nationales d’identité ou des certificats de nationalité ivoiriennes de personnes présumées de nationalités étrangères. Souvent la confusion entre l’ethnie et la nationalité est grande et alimente ces suspicions.

En effet, pour l’opinion commune, un Ouédraogo, un Béhanzin, un Diop, un Garba etc ne peut pas être un ivoirien. A l’inverse, un Digbeu, un Kouao, un Dibopieu, un Soro est forcement un ivoirien.  Ce qui à l’évidence n’est pas toujours vrai. Vous pouvez vous appeler  Kouao, né d’un père et d’une mère agni et ne pas être ivoirien. L’ethnie n’est pas un critère de  définition de la nationalité. Vous pouvez vous appelez Marwane, de père et de mère arabes et être ivoirien.  Peut-on compter le nombre de Bété , d’Attié , de Wobé etc., qui sont français, américains, canadiens donc qui ne sont  pas ivoiriens,  puisque la Côte d’ivoire ne reconnait pas la double nationalité. A l’observation, il faut une véritable éducation voire une formation des populations au vocabulaire juridique et électoral.

La période électorale, c’est  aussi la campagne électorale.

Un étranger peut-il prendre part à la campagne d’un candidat dont il partage le programme ? Si oui, n’est-ce pas une immixtion dans le jeu électoral ivoirien ? Si non, bien qu’étranger,  n’est-il pas un citoyen ? La nationalité détermine-t-elle toujours la citoyenneté ? A l’évidence, la réponse est malaisée et souvent l’immixtion des étrangers dans la campagne électorale est très mal acceptée par les nationaux.

Une autre étape de la période électorale, le vote. Evidemment, seuls les électeurs, donc les nationaux  peuvent voter. Ici, également la confusion malheureuse entre la nationalité et l’ethnie ou le patronyme donne l’impression que des étrangers participent frauduleusement au vote.

A l’analyse, la cohésion sociale repose essentiellement sur le respect de l’Etat de droit, c’est-à-dire, des règles qui balisent la société. Certes, tous les êtres naissent libres et égaux, mais cette belle proclamation est à relativiser   car, dans un Etat, les nationaux jouissent de plus de droits que les étrangers. Par exemple, seul un ivoirien peut-être magistrat en Côte d’ivoire.  Cependant, l’intégration des étrangers dans le corps social voir politique devrait être une préoccupation pour les pouvoirs publics, mais attention, car ici,  surgit une question, celle de  l’identité.

Quelle est la place de la question identitaire dans la rhétorique politique et électorale en Côte d’Ivoire?

Faut-il aborder la question identitaire (l’ivoirité)  ou l’éluder ? La préférence nationale est une idéologie politique. Elle constitue un critère de distinction entre la droite et la Gauche, les nationalistes et les universalistes, les souverainistes et les mondialistes.  En France, par exemple, la première force politique, le Rassemblement national est pour la préférence nationale : Les français d’abord.  Celle-ci pose la question de l’accueil et de l’intégration des non nationaux, c’est-à-dire, les étrangers dans le corps social, économique et politique du pays où ils vivent.

Pour revenir à notre pays, la question des étrangers en Côte d’Ivoire ne doit pas être un sujet tabou. Dans une démocratie républicaine, il n’ya pas de sujets tabous. L’ivoirité, rhétorique politique qui prétend mettre l’accent sur la préférence nationale ne doit pas être diabolisée à défaut d’être acceptée. L’ivoirité n’est pas une faute politique encore moins une erreur idéologique. Elle met l’accent sur la préférence nationale. C’est tout. Le problème est de savoir si nous avons les instruments et les aptitudes démocratiques nécessaires pour aborder une telle question pour en faire une dynamique de développement. Est-ce que notre démocratie est assez forte pour porter et construire qualitativement le débat public relativement à l’ivoirité ?  La qualité de notre personnel politique et l’absence  de débats publics contradictoires me laissent sceptique.

Personnellement, je pense que l’étranger, ce n’est pas le mal, au contraire,  c’est un atout, un avantage. Nous pouvons faire de l’intégration des étrangers une dynamique de développement. C’est ma position. Cependant, je comprends que des personnes et des forces politiques ou sociales aient des opinions contraires.

 Les débats publics contradictoires organisés régulièrement par la presse publique et privée devraient permettre aux citoyens d’avoir une idée claire des différentes opinions politiques et de les départager dans les urnes le moment venu. La démocratie est simple. La population ivoirienne est, selon le recensement général  de la population et de l’Habitat (RGPH 2014),  de 23.671.331 Habitants dont 5.490.222 de non ivoiriens, soit 24,2%.

Comment faire de cette forte présence d’étrangers sur notre sol, un atout politique ?

Dans mon dernier essai intitulé «Côte d’ivoire, une démocratie sans démocrates,  la ploutocratie n’est pas la démocratie», je propose la participation des étrangers à l’élection des conseillers municipaux et des conseillers régionaux, en qualité d’électeurs.

La raison est simple, nous avons des villes, des communes et même des régions où le nombre de personnes non ivoiriennes est égal, voire supérieur  à celui des nationaux. Dans le district d’Abidjan, pour prendre ce seul exemple,   toujours selon la référence précitée, nous avons à Yopougon  environ 14% d’étrangers,  à Abobo 23%, le Plateau environ 24%, Cocody  28%. A Adjamé, il y a 49,6% d’étrangers ; à Attécoubé, 50,6% ; à Koumassi 43,7% ; à Marcory 44,8% ; à Port-Bouët 45,3% et à Treichville 50,4%.

Notre gouvernance politique, au niveau local, doit tenir compte de ces données démographiques et sociales, parce que, tout simplement,  c’est ce que nous sommes. Je vous remercie ».

Par GEOFFROY-JULIEN KOUAO

Politologue et Ecrivain

Dernier livre paru aux éditions KAMIT « Côte d’Ivoire : Une démocratie sans démocrates, ploutocratie n’est pas la démocratie »

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