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Démocratie- Geoffroy-Julien KOUAO (politologue,  écrivain) interroge: «Comment construire une démocratie libérale dans une république sans républicains, dans une démocratie sans démocrates, dans un libéralisme sans  libertés?» 

Prononçant la conférence inaugurale de cadrage avec pour thème: « Démocratie: Grands principes, valeurs et piliers » du séminaire de renforcement de capacités des jeunes leaders, le politologue,  écrivain, directeur du Think tank «Mou-Mou-né, Institut des libertés», Geoffroy-Julien KOUAO, a soutenu avec force que la démocratie est un système politique. « Elle n’est pas un régime politique encore moins une forme de gouvernement». A l’invitation de la fondation Konrad Adenauer Stiftung à Grand-Bassam  du 5 au 7 mai 2021, le politologue,  écrivain, emporte la jeunesse dans une interrogation, face à la démocratie…suivez.

«…Il faut éviter d’opposer la démocratie à la monarchie»

 Celle-ci s’oppose à la république. Une monarchie peut-être démocratique (Le Japon, La Belgique, Le Royaume-Uni etc.). Elle peut être également une autocratie (Les monarchies du golfe). Le contraire de la démocratie, c’est justement l’autocratie  ou la dictature[1]. Etymologiquement, la démocratie renvoie au primat de la volonté générale par opposition à la dictature ou à l’autocratie qui privilégie la volonté personnelle du prince, du tyran, c’est selon.

La démocratie est un concept valorisant. Aussi, tous les Etats, des dictatures tropicales aux autocraties orientales et Sud-Américaines, en passant par les monarchies absolues du moyen orient, s’autoproclament démocratiques. La réalité est tout autre. Très peu d’Etats peuvent s’enorgueillir d’être démocratiques. Avant de voir les critères modernes de la démocratie, faisons un peu d’histoire.

A l’origine, il n’y avait de démocratie que direct. Paradoxalement, la démocratie est née sous les gouvernances tyranniques de  Dracon, Solon,  Clisthène et Périclès dans la Grèce antique.  Oui, si le droit est d’origine romaine, la démocratie, quant à elle,  est  grecque. Elle s’exerçait dans les agoras, les ecclésias. Le pouvoir était entre les mains du peuple et,  il l’exerçait directement, sans intermédiaires ou représentants. L’honnêteté intellectuelle nous oblige à relever que certaines catégories sociales étaient exclues de la vie démocratique. Ce sont les femmes, les étrangers et surtout les pauvres. C’était donc une démocratie restreinte. Contre celle-ci, naitra, à l’époque contemporaine,  le suffrage universel pour donner à la démocratie tout son éclat sémantique.

Au XX siècle, il assistera à l’opposition entre la démocratie populaire et la démocratie libérale. La première, d’inspiration marxiste, consacrait la dictature du prolétariat. Quant à la seconde, elle mettait l’accent sur l’élection, c’est la démocratie représentative. Le pouvoir appartient au peuple, mais il en délègue l’exercice aux représentants élus. La chute du mur de Berlin et la dislocation de l’empire soviétique ont été symptomatiques des insuffisances de la démocratie populaire. Le triomphe de la démocratie libérale marque une nouvelle aire, celle de la fin de l’histoire pour paraphraser le politiste  américain Francis Fukuyama (Francis Fukuyama, né le 27 octobre 1952, à Chicago, est un chercheur en sciences politiques américain. Intellectuel influent, très connu pour ses thèses sur la fin de l’histoire, Francis Fukuyama est actuellement professeur d’économie politique internationale à la SAIS de l’université Johns-Hopkins à Washington. Son œuvre majeure est « la fin de l’histoire et le dernier homme»).

….Je vais vous parler de la démocratie libérale. Elle repose  sur trois principes distincts cumulativement exigés : L’Etat de droit (I) ; La liberté (II)   et l’Election (III)

I-L’Etat de droit

Le premier pilier de la démocratie libérale, c’est l’Etat de droit, c’est-à-dire le primat du droit. L’Etat de droit renvoie à la soumission  des gouvernants et des gouvernés au droit.  L’Etat de droit  suppose une stricte  application du principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs. Le parlement vote les lois, le gouvernement met en application les lois et la justice sanctionne la violation de l’application de la loi. La séparation des pouvoirs, dans une démocratie libérale, c’est surtout l’indépendance de la justice. Le juge doit pouvoir dire le droit   en toute liberté, en toute impartialité, en toute neutralité selon sa science (le droit) et, parfois sinon souvent, selon sa conscience (le bon sens).

L’indépendance de la justice est gage de bonne gouvernance. L’actualité internationale le montre bien. En Israël, une des rares sinon l’unique démocratie du moyen orient, le premier ministre Benjamin Netanyahou est inculpé pour corruption. L’indépendance de la justice suppose que le statut ou la carrière des magistrats ne dépende pas de l’exécutif ou du parlement. Peut-on parler d’indépendance de la justice, quand le ministre de la justice est le supérieur hiérarchique du procureur général et du procureur de la république ? Peut-on parler d’indépendance de la justice quand le magistrat du siège peut-être muté à tout moment pour nécessité de service ?

Les membres du parlement sont élus, le président de la république, patron de l’exécutif est élu. Pourquoi les magistrats, qui agissent, eux-aussi, au nom du peuple ne sont-ils  pas élus ? Une réforme allant dans ce sens est souhaitable. Mesdames et messieurs, l’Etat de droit, c’est aussi le contrôle de l’action gouvernementale par le parlement. Ce contrôle est permanant et se fait aux moyens des questions orales et écrites au gouvernement, aux commissions d’enquêtes et au rejet de projets de lois qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt général. Ce contrôle est assorti de sanction : La démission du gouvernement ou la révocation du ministre mis en cause. C’est là toute la pertinence du régime parlementaire ou semi-parlementaire.

Dans un régime politique où le gouvernement n’est pas responsable devant le parlement, quel est la portée ou l’intérêt  du contrôle de l’action gouvernementale par le parlement ? Nul. On comprend pourquoi, chez nous, régime dans le quel le gouvernement n’est responsable que devant le président de la république, des ministres refusent de répondre aux convocations des députés. Et puis, comme le dit le langage populaire ivoirien ; « ça ne va pas quelque part »

À côté et au coté   de l’Etat de droit, la démocratie libérale repose sur un deuxième pilier : La liberté.

II-La liberté

Le principal charme de la démocratie libérale et qui en fait sa force, c’est la liberté. Surtout, la liberté de penser, la liberté d’expression. Les politologues parlent volontiers d’expression plurielle. Elle a une triple déclinaison politique, médiatique et sociale.

Sur le plan politique, l’expression plurielle renvoie au multipartisme. Le pluralisme politique n’achève pas la définition de la démocratie mais lui donne de l’éclat. Le parti unique, la pensée unique, caractéristiques de la démocratie populaire sont contraires à la démocratie libérale. Le multipartisme est un droit constitutionnel dans une démocratie libérale. Chaque citoyen est libre de créer ou d’adherer au  parti politique de son choix. La subvention des partis politiques trouve sa justification dans leur rôle de renforcement et de consolidation de la démocratie. Les luttes démocratiques en Afrique, dans la décennie 90, avaient pour revendication principale, l’instauration du multipartisme. Ce n’est pas assez de proclamer le multipartisme, le principal consiste à permettre aux formations politiques de s’exprimer et d’agir librement.

D’où la pertinence d’une loi sur les partis politiques, leur financement et surtout le statut de l’opposition. Peut-on parler de multipartisme dans un Etat où le destin des opposants est la prison ? Peut-on parler de multipartisme dans un Etat où le parti au pouvoir monopolise les médias d’Etat ? Peut-on parler de multipartisme dans un Etat où le parti au pouvoir se confond avec l’Etat et agit en parti-Etat ? Ce serait une avancée démocratique et constitutionnelle si le président de la république ne pouvait pas,  légalement,  présider un parti politique.  Ce cumul de fonction fragilise la fonction présidentielle. Selon la constitution ivoirienne, le chef de L’Etat incarne l’unité nationale. Mais, comment peut-il, valablement, incarner l’unité nationale quand il est le chef d’un camp politique ?

L’expression plurielle, c’est aussi la pluralité médiatique

L’existence de plusieurs chaînes de télévision, de radio, de journaux, de sites d’information. Le principal ici, c’est l’indépendance des medias vis-à-vis du pouvoir étatique. En sus, les medias, mêmes privés, doivent prendre en compte la diversité d’opinion. Il ne sert à rien d’avoir plusieurs journaux, plusieurs radios, plusieurs télévisions si c’est pour faire l’apologie de la pensée unique ou le culte de la personnalité. Dans une démocratie libérale, pendant et en dehors des élections, les forces politiques ont un accès équitable  voire égal aux différends médias. Par exemple, le journal « notre voie » doit consacrer par mois, obligatoirement, une page à chaque formation politique. La RTI doit en faire de même etc. La presse abîme la démocratie  quand elle devient un instrument de propagande au service d’une personne. Les organes de régulation devraient inciter les nouveaux députés et sénateurs  à voter des lois dans le sens de l’égal et équitable  accès  de toutes les sensibilités politiques aux medias publics et privés.

Au niveau social, la liberté renvoie à la liberté syndicale, à la liberté d’association. La démocratie libérale donne la possibilité aux populations  d’être  des  citoyens. Au delà du caractère associatif, les syndicats, les ONG, les fondations, les mutuelles sont d’excellents instruments de construction et de formation à la citoyenneté. Encore faut-il espérer que les ONG et syndicats ne remettent pas en cause cette liberté en s’inféodant aux partis politiques ou à la puissance gouvernementale.

Le troisième pilier de la démocratie libérale, le plus connu,  parce que copieusement médiatisé, c’est l’élection.

III- L’élection

L’élection est consubstantielle à la démocratie libérale. L’élection, non seulement sert à légitimer le pouvoir des gouvernants, mais et surtout,  permet ou favorise l’alternance politique. Une démocratie libérale sans  possibilité  d’alternance politique régulière n’en est pas une. L’alternance politique est symptomatique d’élection régulière, libre et transparente souvent organisée par l’administration ou un organe indépendant. Une élection démocratique repose sur un triple cadre juridique, institutionnel et opérationnel.

Le cadre juridique renferme l’arsenal juridique qui balise l’organisation  des scrutins. Il s’agit précisément de la constitution et du code électoral. L’élaboration ou l’établissement de ces deux textes juridiques, dans le cadre démocratique, est le résultat d’un consensus politique entre les forces et mouvements politiques. Il faut un consensus d’abord,  sur la définition du corps électoral, c’est-à-dire, qui peut être électeur ou non. Ensuite, le mode de scrutin et enfin, l’organe chargé d’organiser le scrutin et le contentieux électoral.

La constitution et le code électoral ne doivent pas se contredire ou être contraires aux valeurs démocratiques. Par exemple, quand la constitution dispose que le suffrage est universel, libre, et égal, et que le code électoral instaure un cautionnement de 50.000.000FCFA à l’élection du président de la république, il ya problème. En effet, le cautionnement consacre le suffrage restreint, précisément, le suffrage censitaire, c’est-à-dire, la ploutocratie. Le suffrage universel, justement, est né en réaction contre le suffrage censitaire. Le suffrage universel donne le droit de vote et d’éligibilité et aux pauvres et aux riches.

A l’inverse, le suffrage censitaire donne le droit de vote ou d’éligibilité  aux seuls riches. L’histoire récente de la Côte d’ivoire nous enseigne que c’est à deux jours de la fin de la date du dépôt des candidatures à la présidentielle de 1990,  que le président Houphouët-Boigny, hostile à une élection concurrentielle a fait voter, par le parlement, la loi instaurant le cautionnement de 20.000.000F.  Une mesure qui avait scandalisé l’opposition et les juristes. Malheureusement,  cette opposition,  arrivée au pouvoir, a conservé la mesure, mieux, en 2019, elle l’a augmenté de 30.000.000 F, c’est-à-dire de vingt millions à cinquante millions. Dans tous les cas de figures, sauf à renoncer à l’Etat de droit, le cautionnement est, juridiquement,  anticonstitutionnel et moralement, inacceptable. Dans une démocratie libérale, on ne peut pas juger la capacité d’un citoyen à diriger à l’aune de sa bourse. Par ailleurs, contrairement à l’opinion commune, le système de parrainage, institué à la présidentielle,  viole le caractère secret et libre du suffrage dans notre pays.

Relativement au cadre institutionnel, il  s’agit des institutions chargées d’organiser les élections d’une part, et de vider le contentieux électoral d’autre part. Dans une démocratie libérale, l’administration publique, parce que neutre et impartiale, est chargée d’organiser le scrutin. De ce qui précède, et contrairement à une idée admise, l’existence d’une commission électorale indépendante n’est pas symptomatique d’une avancée démocratique. Dans notre pays, par exemple, la composition de la CEI et les soupçons qui pèsent sur elle sont l’une des explications des violences électorales. Devrions-nous revenir à l’ancienne méthode ?

  C’est-à-dire, confier l’organisation des élections au ministère de l’intérieur ?  A cette question un  citoyen  m’a répondu « On ne quitte pas dans ça va aller pour aller dans ça ne va du tout » Qu’en est-il des juridictions chargées du contentieux électoral ? Le conseil constitutionnel, le conseil d’Etat ? Le mode de nomination de leurs membres ne fait-il pas d’eux des obligés du chef de l’Etat, Chef de parti politique et candidat au jeu électoral ? Pourquoi ne pas élire les membres du conseil constitutionnel ? Ces questions s’adressent à nous tous.

L’élection, c’est enfin le cadre opérationnel. Le recensement électoral, l’établissement de la liste électorale, le contentieux de la liste électorale, la campagne électorale, la proclamation des résultats et le contentieux électoral. Tout le processus électoral doit se faire dans la transparence totale, dans la paix.

A l’analyse, les violences électorales, depuis trois décennies,  traduisent éloquemment le refus de la démocratie par les élites politiques ivoiriennes. Ce refus se traduit par le non respect et la manipulation des textes juridiques, par la culture fantasmagorique de la présidence à vie, par  le refus du dialogue politique et la monopolisation de l’espace médiatique. D’où la question finale, comment construire une démocratie libérale dans une république sans républicains, dans une démocratie sans démocrates, dans un libéralisme sans  libertés? ».

Geoffroy-Julien KOUAO, politologue,  écrivain, directeur du Think tank « Mou-Mou-né, Institut des libertés» est auteur des plusieurs essais dont: -Cote d’ivoire : la troisième république est mal partie;-Et si la Côte d’Ivoire refusait la démocratie ?;-Le premier ministre : Un prince nu. Repenser la nature du régime politique ivoirien ;-2020 ou le piège électoral ? Une redéfinition du cadre théorique, juridique et institutionnel des élections en Côte d’Ivoire ;-Côte d’ivoire, une démocratie sans démocrates ? La ploutocratie n’est pas la démocratie.

 ledebativoirien.net

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