Prononçant la conférence inaugurale de cadrage avec pour thème: « Démocratie: Grands principes, valeurs et piliers » du séminaire de renforcement de capacités des jeunes leaders, le politologue, écrivain, directeur du Think tank «Mou-Mou-né, Institut des libertés», Geoffroy-Julien KOUAO, a soutenu avec force que la démocratie est un système politique. « Elle n’est pas un régime politique encore moins une forme de gouvernement». A l’invitation de la fondation Konrad Adenauer Stiftung à Grand-Bassam du 5 au 7 mai 2021, le politologue, écrivain, emporte la jeunesse dans une interrogation, face à la démocratie…suivez.
«…Il faut éviter d’opposer la démocratie à la monarchie»
La démocratie est un concept valorisant. Aussi, tous les Etats, des dictatures tropicales aux autocraties orientales et Sud-Américaines, en passant par les monarchies absolues du moyen orient, s’autoproclament démocratiques. La réalité est tout autre. Très peu d’Etats peuvent s’enorgueillir d’être démocratiques. Avant de voir les critères modernes de la démocratie, faisons un peu d’histoire.
A l’origine, il n’y avait de démocratie que direct. Paradoxalement, la démocratie est née sous les gouvernances tyranniques de Dracon, Solon, Clisthène et Périclès dans la Grèce antique. Oui, si le droit est d’origine romaine, la démocratie, quant à elle, est grecque. Elle s’exerçait dans les agoras, les ecclésias. Le pouvoir était entre les mains du peuple et, il l’exerçait directement, sans intermédiaires ou représentants. L’honnêteté intellectuelle nous oblige à relever que certaines catégories sociales étaient exclues de la vie démocratique. Ce sont les femmes, les étrangers et surtout les pauvres. C’était donc une démocratie restreinte. Contre celle-ci, naitra, à l’époque contemporaine, le suffrage universel pour donner à la démocratie tout son éclat sémantique.
….Je vais vous parler de la démocratie libérale. Elle repose sur trois principes distincts cumulativement exigés : L’Etat de droit (I) ; La liberté (II) et l’Election (III)
I-L’Etat de droit
Le premier pilier de la démocratie libérale, c’est l’Etat de droit, c’est-à-dire le primat du droit. L’Etat de droit renvoie à la soumission des gouvernants et des gouvernés au droit. L’Etat de droit suppose une stricte application du principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs. Le parlement vote les lois, le gouvernement met en application les lois et la justice sanctionne la violation de l’application de la loi. La séparation des pouvoirs, dans une démocratie libérale, c’est surtout l’indépendance de la justice. Le juge doit pouvoir dire le droit en toute liberté, en toute impartialité, en toute neutralité selon sa science (le droit) et, parfois sinon souvent, selon sa conscience (le bon sens).
L’indépendance de la justice est gage de bonne gouvernance. L’actualité internationale le montre bien. En Israël, une des rares sinon l’unique démocratie du moyen orient, le premier ministre Benjamin Netanyahou est inculpé pour corruption. L’indépendance de la justice suppose que le statut ou la carrière des magistrats ne dépende pas de l’exécutif ou du parlement. Peut-on parler d’indépendance de la justice, quand le ministre de la justice est le supérieur hiérarchique du procureur général et du procureur de la république ? Peut-on parler d’indépendance de la justice quand le magistrat du siège peut-être muté à tout moment pour nécessité de service ?
Dans un régime politique où le gouvernement n’est pas responsable devant le parlement, quel est la portée ou l’intérêt du contrôle de l’action gouvernementale par le parlement ? Nul. On comprend pourquoi, chez nous, régime dans le quel le gouvernement n’est responsable que devant le président de la république, des ministres refusent de répondre aux convocations des députés. Et puis, comme le dit le langage populaire ivoirien ; « ça ne va pas quelque part »
À côté et au coté de l’Etat de droit, la démocratie libérale repose sur un deuxième pilier : La liberté.
II-La liberté
Le principal charme de la démocratie libérale et qui en fait sa force, c’est la liberté. Surtout, la liberté de penser, la liberté d’expression. Les politologues parlent volontiers d’expression plurielle. Elle a une triple déclinaison politique, médiatique et sociale.
Sur le plan politique, l’expression plurielle renvoie au multipartisme. Le pluralisme politique n’achève pas la définition de la démocratie mais lui donne de l’éclat. Le parti unique, la pensée unique, caractéristiques de la démocratie populaire sont contraires à la démocratie libérale. Le multipartisme est un droit constitutionnel dans une démocratie libérale. Chaque citoyen est libre de créer ou d’adherer au parti politique de son choix. La subvention des partis politiques trouve sa justification dans leur rôle de renforcement et de consolidation de la démocratie. Les luttes démocratiques en Afrique, dans la décennie 90, avaient pour revendication principale, l’instauration du multipartisme. Ce n’est pas assez de proclamer le multipartisme, le principal consiste à permettre aux formations politiques de s’exprimer et d’agir librement.
L’expression plurielle, c’est aussi la pluralité médiatique
L’existence de plusieurs chaînes de télévision, de radio, de journaux, de sites d’information. Le principal ici, c’est l’indépendance des medias vis-à-vis du pouvoir étatique. En sus, les medias, mêmes privés, doivent prendre en compte la diversité d’opinion. Il ne sert à rien d’avoir plusieurs journaux, plusieurs radios, plusieurs télévisions si c’est pour faire l’apologie de la pensée unique ou le culte de la personnalité. Dans une démocratie libérale, pendant et en dehors des élections, les forces politiques ont un accès équitable voire égal aux différends médias. Par exemple, le journal « notre voie » doit consacrer par mois, obligatoirement, une page à chaque formation politique. La RTI doit en faire de même etc. La presse abîme la démocratie quand elle devient un instrument de propagande au service d’une personne. Les organes de régulation devraient inciter les nouveaux députés et sénateurs à voter des lois dans le sens de l’égal et équitable accès de toutes les sensibilités politiques aux medias publics et privés.
Le troisième pilier de la démocratie libérale, le plus connu, parce que copieusement médiatisé, c’est l’élection.
III- L’élection
L’élection est consubstantielle à la démocratie libérale. L’élection, non seulement sert à légitimer le pouvoir des gouvernants, mais et surtout, permet ou favorise l’alternance politique. Une démocratie libérale sans possibilité d’alternance politique régulière n’en est pas une. L’alternance politique est symptomatique d’élection régulière, libre et transparente souvent organisée par l’administration ou un organe indépendant. Une élection démocratique repose sur un triple cadre juridique, institutionnel et opérationnel.
Le cadre juridique renferme l’arsenal juridique qui balise l’organisation des scrutins. Il s’agit précisément de la constitution et du code électoral. L’élaboration ou l’établissement de ces deux textes juridiques, dans le cadre démocratique, est le résultat d’un consensus politique entre les forces et mouvements politiques. Il faut un consensus d’abord, sur la définition du corps électoral, c’est-à-dire, qui peut être électeur ou non. Ensuite, le mode de scrutin et enfin, l’organe chargé d’organiser le scrutin et le contentieux électoral.
A l’inverse, le suffrage censitaire donne le droit de vote ou d’éligibilité aux seuls riches. L’histoire récente de la Côte d’ivoire nous enseigne que c’est à deux jours de la fin de la date du dépôt des candidatures à la présidentielle de 1990, que le président Houphouët-Boigny, hostile à une élection concurrentielle a fait voter, par le parlement, la loi instaurant le cautionnement de 20.000.000F. Une mesure qui avait scandalisé l’opposition et les juristes. Malheureusement, cette opposition, arrivée au pouvoir, a conservé la mesure, mieux, en 2019, elle l’a augmenté de 30.000.000 F, c’est-à-dire de vingt millions à cinquante millions. Dans tous les cas de figures, sauf à renoncer à l’Etat de droit, le cautionnement est, juridiquement, anticonstitutionnel et moralement, inacceptable. Dans une démocratie libérale, on ne peut pas juger la capacité d’un citoyen à diriger à l’aune de sa bourse. Par ailleurs, contrairement à l’opinion commune, le système de parrainage, institué à la présidentielle, viole le caractère secret et libre du suffrage dans notre pays.
Relativement au cadre institutionnel, il s’agit des institutions chargées d’organiser les élections d’une part, et de vider le contentieux électoral d’autre part. Dans une démocratie libérale, l’administration publique, parce que neutre et impartiale, est chargée d’organiser le scrutin. De ce qui précède, et contrairement à une idée admise, l’existence d’une commission électorale indépendante n’est pas symptomatique d’une avancée démocratique. Dans notre pays, par exemple, la composition de la CEI et les soupçons qui pèsent sur elle sont l’une des explications des violences électorales. Devrions-nous revenir à l’ancienne méthode ?
L’élection, c’est enfin le cadre opérationnel. Le recensement électoral, l’établissement de la liste électorale, le contentieux de la liste électorale, la campagne électorale, la proclamation des résultats et le contentieux électoral. Tout le processus électoral doit se faire dans la transparence totale, dans la paix.
A l’analyse, les violences électorales, depuis trois décennies, traduisent éloquemment le refus de la démocratie par les élites politiques ivoiriennes. Ce refus se traduit par le non respect et la manipulation des textes juridiques, par la culture fantasmagorique de la présidence à vie, par le refus du dialogue politique et la monopolisation de l’espace médiatique. D’où la question finale, comment construire une démocratie libérale dans une république sans républicains, dans une démocratie sans démocrates, dans un libéralisme sans libertés? ».