L’écrivain Sylvain Takoué (Auteur du livre « Gbagbo le petit ») revient sur la rencontre Ouattara-Gbagbo, le 27 juillet au palis de la présidence de la répûblique de Côte d’Ivoire. Voici ce qu’il en dit avec ledebativoirien.net.
Vous aviez publié, courant 2009-2010, un livre assez retentissant dont le titre était « Gbagbo le petit ». Environ 11 ans après, où en êtes-vous avec cette formule qui a fait mouche, en son temps ?
Oui, elle n’a pas changé.
Bien que beaucoup d’eau ait coulé sous le pont, pourrait-on se demander ?…
Vous parlez sans doute de l’actualité politique autour de l’ancien président…
Oui. Je parle tout précisément de cette mise en scène savamment organisée qui se fait autour de lui, de sa présence au pays. Ceux qui le connaissent bien dans la vie de tous les jours disent de lui qu’il aime ça, la flagornerie, être captivant, se croire le centre du monde… Regardez un peu la scène de son retour du jeudi 17 juin 2021. La liesse populaire, les émotions incontrôlées des gens déchaînés pour lui, la procession sur un parcours qui l’a mené à son Qg de la Riviera Attoban.
Et lui, qui, ensuite prend la parole comme un rédempteur. Pour dire quoi à la foule en transe ? Pour dire que le héros tant attendu, qu’il est, est enfin revenu… Non, rien n’a vraiment changé chez cet homme politique dont le talent, pour les mises en scène, n’est plus à démontrer. C’est un vrai acteur de théâtre. Et vous verrez qu’il va maintenant tout faire tourner autour de sa personne. Parce que c’est ce qu’il adore faire.
Que pensez-vous de son rapprochement avec le président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié, qu’il a rencontré dernièrement à Daoukro…
Cette rencontre s’est faite effectivement le samedi 10 juillet dernier, à Daoukro. Remarquez bien que ce n’est pas Bédié qui s’est déplacé vers Gbagbo, mais que c’est Gbagbo qui s’et déplacé vers Bédié. Ce n’est pas un geste anodin, c’est même très calculé de la part de Laurent Gbagbo. C’est important de le souligner ici, parce que chez nous, quand quelqu’un, quelque soit son âge ou sa classe sociale, sort, par exemple, d’un malheur ou qu’il a un évènement heureux, c’est lui qu’on s’en va saluer chez lui, mais ce n’est pas lui qui se déplace pour aller saluer les gens chez eux. Gbagbo le sait, il est de Gagnoa.
Surtout qu’il y a des dissonances au sein du Fpi. Et puis s’il y a un statut de chef de l’opposition, qui devra être fixé en Côte d’Ivoire, comme cela qui existe au Burkina Faso, sachez que ce ne sera pas à Bédié que cela irait, mais à Gbagbo. Il ferait tout pour cela. Il est revenu pour occuper le devant de la scène politique, et non pour être relégué en arrière-plan. Regardez bien la démarche dans laquelle il est.
Après cette rencontre effervescente avec le président Bédié à Daoukro, il a rencontré le président Alassane Ouattara. Une rencontre que même Pascal Affi N’guessan a qualifiée de « grand moment »…
C’est peut-être un « grand moment » pour Laurent Gbagbo lui-même et ses soutiens, qui veulent faire de cette rencontre celle des émotions messianiques, mais elle n’a rien d’historique. Cette théâtralisation des choses, est ce dont raffole l’ancien président. C’est son dada. Il veut que l’on dise de lui qu’il a fait ce pas inattendu vers le président Ouattara qu’on accable de fermeture d’esprit par rapport à la réconciliation nationale, et qu’à ce titre, la gloire du héros du pardon lui reviendrait, à lui Gbagbo. Sous ses airs affables et presque débonnaires, Gbagbo est un homme de calculs politiques, un tacticien des stratégies politiciennes, et non un curé de campagne, souriant béatement à tous.
Epris de symboles, il ira jusqu’à inviter à sa table le procureur qui, au lieu de l’expédier à la potence, obtint à ses dépens une peine de prison à vie ; et il rendra visite à la veuve d’un ancien Premier ministre, théoricien des facettes les plus abjectes de la tyrannie blanche. Quitte à dérouter cadres et militants de l’ANC. Voilà, à mon avis, ce qu’on pourrait qualifier d’actes historiques. Mais une poignée de mains et des sourires devant caméras et objectifs photos, entre le président Ouattara et l’ancien président Gbagbo, une chose qu’on a maintes fois vue dans ce pays, en quoi est-ce que ce serait historique pour Gbagbo qui recherche tellement ce côté retentissant ?
Mais ce serait tout de même utile à la réconciliation nationale, tant recherchée…
Ecoutez, comprenez bien les choses. J’ai déjà dit, en d’autres occasions, que la réconciliation nationale, ce n’est pas quand trois leaders politiques se serrent la main devant un public. Ça ne marche pas comme cela. Pas plus que ça ne se décrète. C’est une œuvre du temps. C’est quand, par exemple, un mari et sa femme sont fâchés, l’un contre l’autre.
Ah, bon ? Lequel ?
L’enjeu du positionnement pour 2025. On peut donner à voir au peuple des scènes inouïes qui font se rencontrer par exemple ces trois leaders, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. On peut aussi voir que Bédié et Gbagbo se rapprochent politiquement, comme c’est le cas en ce moment. Mais la réconciliation des trois et le jeu du rapprochement Bédié-Gbagbo, ne feront oublier à personne, d’entre ces trois, qu’il y aura l’élection présidentielle en 2025. La présidentielle de 2025 est le point de mire et d’achoppement.
Gbagbo va se servir des épaules de Bédié et du socle du Pdci-Rda pour s’y appuyer, pour remonter et affronter celui qu’il aura pour adversaire au Rhdp. Vous voyez donc que sa rencontre avec le président Alassane Ouattara, rencontre dont les gens se sont faits la gorge chaude, n’est pas en soi l’évènement du siècle.
Votre livre de 2009-2010, « Gbagbo le petit », serait-il encore d’actualité ?
Oui, sauf qu’il n’est plus au pouvoir, mais parce que les erreurs politiques, dont son pouvoir s’est rendu comptable, m’ont donné raison sur son impréparation à gouverner la Côte d’Ivoire. Même si, à l’époque, j’avais eu tort d’avoir raison trop tôt. A force d’être resté dans les petits calculs politiciens, pour s’agripper au pouvoir d’Etat, il en avait oublié qu’il y avait plus grand que lui à sauvegarder : le pays.
Seriez-vous prêt aujourd’hui à lui serrer aussi la main pour passer ce malentendu d’hier ; puisqu’il n’est plus au pouvoir ?
Mais il n’y a aucun malentendu. Ce n’était pas un problème personnel, mais d’Etat. C’est Laurent Gbagbo qui gouvernait le pays. Quand on gouverne un pays, il faut aussi tenir compte des écrivains éveillés qui tiennent à la loupe la gouvernance du pays. Ils sont des esprits critiques. J’en étais un. Le rôle de Laurent Gbagbo était de gouverner, le mien était de critiquer sa gouvernance. Et en la matière, j’ai trouvé qu’elle fut une catastrophe politique, et que le comptable politique, en l’occurrence, c’était lui. Aujourd’hui, avec le temps qui est passé, il peut s’en rendre compte, lui-même. Il avait accumulé trop d’erreurs politiques/ Mais j’irai personnellement le saluer, aujourd’hui, s’il se met dans une autre posture, qui serait nouvelle.
Laquelle ?
Celle du « grand sage », après certainement Houphouët, qui va faire la politique autrement, que de tout faire pour revenir au pouvoir en 2025. Je lui propose d’être celui que l’on consulte dans le pays, quand il y a des crises politiques et sociales, ou des blocages institutionnels, et non celui qui reviendrait gouverner à nouveau le pays. Il sortirait grandi de cette abstention présidentielle intelligente. Qu’il soit désormais le conseiller des nouvelles générations politiques, qui se mettent en place. Le temps Gbagbo, c’est terminé. Car c’était hier, pas aujourd’hui ni demain.