‘‘Pari démocratique sur fond de guerre froide en Afrique de l’Ouest ; On ne gagne jamais une bataille par procuration’’-Tribune de Geoffroy-julien Kouao (politologue écrivain) 

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Une tribune de Geoffroy-Julien KOUAO ; Politologue et essayiste auteur de ‘‘Faut-il désespérer de la Côte d’Ivoire ?’’

 

CRISE AU MALI VUE PAR GEOFFROY KOUAO 1 Copie 2Nous assistons au retour de la guerre froide, dans ce qu’il convient de nommer désormais «le problème malien». Ce qui se passe au Mali est loin d’être anecdotique dans la bataille de leadership que se livre l’occident et la Russie.

Les européens et leur ami étasunien ont mal digéré l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie et le soutien victorieux de Moscou à Bachar El Assad en Syrie. Aujourd’hui, Bruxelles et Washington  jouent leur crédibilité dans la crise ukrainienne.  Vladimir Poutine, le tsar russe, ne se contente pas de ses victoires en Europe de l’est et au moyen orient, il veut conquérir l’Afrique.

Sa présence militaire en Centrafrique a permis au président Faustin Ange Touadera de repousser les rebelles des zones qu’ils contrôlaient. L’opération militaire française «Sangaris», dans ce pays de l’Afrique centrale,  ne fut pas un succès. C’est peu de l’écrire. Auréolée de ce succès, la Russie, à travers sa nébuleuse militaire «Wagner» est présente au pays de Soundiata Keita. Une présence qui ne plait pas aux partenaires traditionnels de Bamako. Paris, le premier.

Ce qui se joue, actuellement au Mali, est symptomatique de l’avènement d’une nouvelle géopolitique ouest africaine. L’inefficacité de l’opération Barkhane, la montée du sentiment anti-français et les rapports tumultueux en le palais de Koulouba et l’Elysée, obligent Bamako a changé de stratégie et de partenaires dans sa lutte contre les mouvements terroristes.

C’est dans ce contexte qu’interviennent les décisions atomiques de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le régime de la transition malienne: la fermeture des frontières, la rupture de relations diplomatiques, le gel des avoirs du Mali à la BECEAO. La réaction du Mali ne s’est pas fait attendre. Il applique aux 13 autres Etats de la CEDEAO le principe de la réciprocité.

Quels sont les enjeux géopolitiques et militaires de ce bras de fer entre Abuja et Bamako ?

CRISE AU MALI VUE PAR GEOFFROY KOUAO 11 CopieLa transition malienne n’a pas le choix. Elle fera davantage appel  à Vladmir Poutine, éventuellement,  à Xi Jinping et à Recep Tayyip Erdogan. La Russie, la Chine et la Turquie ne cachent pas leurs ambitions africaines. Cette crise est une aubaine pour elles. La Guinée Conakry, dirigée par une junte militaire, qui est également dans le viseur de la CEDEAO, sera-t-elle solidaire des autres Etats membres ? A l’évidence, non.

La junte militaire au pouvoir à Conakry a, dans un communiqué, affirmé sa solidarité au peuple malien. Que devient le G5 Sahel, dont sont membres le Burkina Faso et le Niger ? Comment ces deux Etats et le Mali vont-ils gérer leur coordination militaire dans la zone sensible des trois frontières ? La fermeture des frontières méridionales, occidentales n’oblige-telle pas Bamako à se tourner vers la Mauritanie et l’Algérie ? Si le Mali quitte la CEDEAO,  comme le souligne le communiqué des autorités de la transition, l’association sous régionale aura-t-elle les moyens juridiques de faire pression sur Bamako ?

Par ailleurs, question inaugurale, le Mali, fragilisé par plusieurs années de guerre contre le terrorisme, par une instabilité politique chronique, par la crise sanitaire de la covid 19, a-t-il les moyens d’une résilience économique et sociale ?

Au delà de ces interrogations, le gel des avoirs du Mali à la BECEAO montre que la question de la souveraineté monétaire n’est plus une question de pertinence, mais de survie étatique. L’UEMOA ne peut pas prendre une telle mesure contre Conakry. La Guinée a sa propre monnaie. Le Mali qui avait quitté l’UEMOA en 1962 avant de revenir des années plus tard, pourrait de nouveau quitter le navire CFA.

CRISE AU MALI VUE PAR GEOFFROY KOUAOSanctionner sévèrement la 5e puissance économique de son espace sous régional, est un signal fort envoyé par la CEDEAO contre les adversaires de la démocratie. Parce que, c’est de ça qu’il s’agit. La situation exceptionnelle du Mali ne saurait justifier l’instauration d’une autocratie. Les coups d’Etat et les tripatouillages constitutionnels pour refuser l’alternance politique sont inacceptables. Dans cette optique, la CEDEAO fait bien et joue utile.

Seulement, elle doit faire attention, d’abord, on ne gagne jamais une bataille par procuration. Ensuite, dans une crise asymétrique, la victoire n’est pas toujours du côté du plus fort. Enfin, la CEDEAO est une  fédération qu’une association d’Etats, c’est-à-dire que chaque Etat membre reste souverain et avisera selon ses intérêts avec le Mali.

Geoffroy-Julien KOUAO (Politologue et essayiste)

ledebativoirien.net


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