Crise: ‘‘POURQUOI LA FRANCE DOIT QUITTER LE MALI’’ (7) « Des tribunaux virtuels : loin du peuple, loin de la foi » dans  une guerre  perdue-la France au sahel

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Par Marc Antoine  Perouse de Montclos 

Ledebativoirien.net continue de parcourir avec vous, les révélations de Marc Antoine  Perouse de Montclos, avec  ‘‘une guerre  perdus-la France au sahel’’. ‘‘POURQUOI LA FRANCE DOIT QUITTER LE MALI’’.  Dans ce septième numéro  il nous conduits devant des tribunaux virtuels, avec la charia contre le droit coutumier au Mali et au Sahel conduisant à des erreurs de diagnostic.  Dans  une guerre  perdue…

guerre de la france perdue au mali, ledebativoirien.net À cet égard, force est de constater que, pour régler leurs conflits et combattre la criminalité, les populations sahéliennes recourent très peu à la justice de l’État, celle des juges en toges. Au Nigeria, par exemple, des sondages réalisés par les Nations unies en 2016 montrent que moins de 8 % des disputes liées à des querelles de voisinage, des affaires familiales, des désaccords commerciaux ou des litiges fonciers remontent jusqu’à des tribunaux. Les préventions à l’encontre de la justice étatique, en l’occurrence, ne tiennent pas seulement à des problèmes de coûts, de distance ou d’intelligibilité de la loi, mais aussi à un sentiment profondément ancré dans la population selon lequel les juges sont corrompus et ne protègent pas efficacement les droits du simple citoyen : près de la moitié des Nigérians en sont convaincus.

Des enquêtes menées au Mali et au Niger révèlent la même défiance. Si l’on en croit des sondages conduits début 2019 dans les régions centrales de Mopti et Ségou où opère la katiba du Macina, près des trois quarts des habitants estiment que les autorités coutumières sont plus impartiales que les représentants de l’État et près des deux tiers se tournent vers elles pour régler leurs conflits. Pour se protéger, la population locale préfère également monter ses propres groupes d’autodéfense car les acteurs internationaux sont considérés comme les plus inefficaces contre l’insécurité ambiante, tandis que les forces maliennes paraissent bien aussi menaçantes que les bandes armées, djihadistes ou non. De même au Niger dans la région de Diffa, où sévit Boko Haram, des sondages réalisés fin 2018 montrent que près des deux tiers des personnes interrogées estiment qu’il n’est tout simplement pas possible de saisir la justice d’État pour faire valoir ses droits face aux abus des belligérants.

Dossier (suite 4): ‘‘Pourquoi la France doit quitter le Mali’’: de l’usage immodéré de la force, ‘‘Kenya, Nairobi, mi-1998 ; Maroc, Marrakech, mi-2018, vingt ans plus tard…’’ ledebativoirien.netRésultat, les populations sahéliennes ont l’habitude de régler leurs conflits en faisant appel à des autorités religieuses et coutumières, villageoises ou claniques Paradoxalement, c’est le colonisateur qui a étendu le domaine d’application de la charia. En dehors des aires de nomadisme au Sahara, les sociétés musulmanes du Sahel avaient en effet la réputation d’être plus hiérarchisées et mieux organisées que les tribus «païennes» de l’Afrique tropicale. Une fois passé le temps de la conquête militaire, le colonisateur décida donc de consolider le pouvoir des émirs, devenus de facto ses alliés pour lever l’impôt et faire régner l’ordre. Les Britanniques, en particulier, ont poussé les clercs islamiques à juger des païens et pas seulement des musulmans. Dans le même ordre d’idées, ils ont cherché à institutionnaliser la charia en la codifiant à partir d’une traduction française d’un traité malékite du juriste égyptien Khalil ben Ishaq al-Jundi .

La charia contre le droit coutumier

Traditionnellement, les Africains pratiquaient une justice réparatrice et réformatrice, plutôt que punitive. Celle-ci correspondait assez bien aux principes islamiques de «l’arbitrage» (musalaha en arabe), de l’accord de «réconciliation» (sulh) ou de la « loi du talion » (qisas), avec le paiement d’un «prix du sang» (diya) pour compenser les victimes directes d’un meurtre et éviter l’engrenage infernal des vendettas communautaires sur la base d’une «vengeance» (thar) sans limite temporelle ou personnelle. Pour autant, la justice traditionnelle au Sahel avant la période coloniale ne suivait pas le modèle de la charia que les groupes djihadistes veulent à présent imposer par la force.

MALI PEULS criseLe monde nomade, en particulier, était a priori rétif aux enseignements et aux préceptes d’une religion qui, depuis La Mecque, s’était d’abord développée en milieu urbain en étant révélée par un prophète soucieux de se distinguer de la barbarie préislamique des Bédouins. Dans une très large mesure, le Sahara occidental et la Mauritanie constituaient ainsi une sorte de no man’s land juridique qui échappait tout à la fois à l’autorité des sultans du Maroc au Nord et des imams peuls du royaume du Fouta Toro au Sud. Les théologiens musulmans le percevaient plutôt comme un espace en proie à l’anarchie, au brigandage perpétuel, à la razzia permanente et à la guerre civile (fitna) : le «lieu du désordre» (bilad al sayba) par opposition à «l’aire de dissidence» (bilad al siba) ou au «pays administré» (bilad al makhzan) dans le royaume chérifien.

En l’absence de tout gouvernement institutionnalisé, un tel environnement se prêtait mal à l’application de la charia, mode de justice qui dépendait de l’exécutif en ce sens que ses pouvoirs étaient généralement délégués par un émir, un sultan ou un imam. En pratique, l’exercice du droit islamique en milieu saharien et nomade dut s’appuyer sur les règles de solidarité lignagère (asabiyya). Pour éviter la guerre entre musulmans, notamment, la charia ne pouvait être appliquée qu’à partir du moment où les groupes en conflit appartenaient à une même aire tribale et acceptaient l’arbitrage d’un médiateur reconnu de tous. Une telle caractéristique dérogeait aux ambitions universalistes de l’islam et d’une communauté de croyance qui, précisément, visait à transcender les clivages ethniques et à promouvoir le respect d’un droit contractuel indispensable au développement du commerce transsaharien.

mali et boko haram12Dans le monde nomade, la loi du Clan l’emportait sur la loi de Dieu. Lorsqu’il n’était pas satisfait d’une sentence, par exemple, un plaignant ne se gênait pas pour bafouer l’autorité d’un cadi en allant solliciter le verdict d’une autre tribu. La justice semblait d’autant moins religieuse qu’un « arbitre » (muslih) pouvait tout aussi bien être un chef tribal qu’un juge (qadi) ou un savant (alim) islamiques. Dans le nord du Nigeria, notamment, les Britanniques ont littéralement fonctionnarisé les cadis et les oulémas chargés de rendre la justice islamique. Dans une région qui, à la différence du monde arabe, n’avait pas vu se développer de fondations pieuses à caractère caritatif (awqaf, sg. waqf), ces derniers avaient l’habitude de vivre d’aumônes et de dons versés pour les remercier de leurs enseignements, de leur copie des textes sacrés et de leur supervision des cérémonies religieuses.

Avec les Britanniques, en revanche, ils ont commencé à recevoir des salaires et à percevoir des honoraires, évolution qui ne fut d’ailleurs pas sans susciter des protestations de la part des croyants qui estimaient que l’accès à la justice divine devait être gratuit. Républicains et laïcs, les Français, eux, montrèrent moins d’enthousiasme à l’idée d’institutionnaliser la charia et les cadis. Bien souvent, les historiens tendent ainsi à opposer les deux modes d’administration des principales puissances impérialistes qui colonisèrent le Sahel. Car autant les Britanniques gouvernèrent en s’appuyant sur les émirs du Nigeria et du Soudan, autant les Français mirent en place une gestion plus directe de leurs territoires, en l’occurrence sous la houlette de commandants de cercles au Mali ou au Niger.

mali et hollande1Dans des pays comme le Tchad, cependant, le colonisateur allait légaliser une justice coutumière qui, en pratique, revint à confier à des cadis le soin de rendre des sentences s’appliquant aussi à des populations non musulmanes. Certes moins visible qu’au Nigeria, la charia à la mode française fut en quelque sorte dissoute dans des modes de règlement tribaux. Le moment des indépendances bouleversa évidemment la donne.

Dans les années 1960, la mode était au nationalisme et au socialisme. On parla donc moins de la charia. Celle-ci n’avait pas pour autant disparu du débat politique. La question de son application revint en force au moment où l’argent facile du choc pétrolier des années 1970 permit aux pays du Golfe de financer des campagnes de prosélytisme à tout va. La fin de la guerre froide et l’écroulement des dernières illusions que des rebelles africains entretenaient encore à propos du marxisme consacrèrent alors le triomphe de l’islamisme comme alternative à l’échec du projet nationaliste des États postindépendance.

Avantages et inconvénients de la charia

En pratique, la charia n’avait en fait jamais disparu comme mode de règlement plus ou moins formalisé des disputes qui pouvaient agiter les populations de l’Afrique sahélienne. Les musulmans lui trouvaient plusieurs avantages. D’abord sa simplicité et sa rapidité : en l’absence d’un véritable juge d’instruction, il suffisait d’identifier un coupable (dhâlim) et une victime (madhlûm) pour rendre un verdict. Dans les affaires pénales, en particulier, l’objectif était surtout de superviser le versement d’une compensation de pair avec un pardon qui devait permettre de désamorcer l’engrenage infernal des vendettas.

atiba brigade du Macina Mohamed Yusuf au Nigeria et Amadou Koufa au MaliLa charia avait aussi le mérite d’être efficace et peu onéreuse. Elle ne réservait guère de mauvaises surprises car ses jugements étaient largement prédictibles, quitte à outrepasser les droits de la défense. De plus, elle était généralement moins chère que la justice tribale, qui nécessitait le paiement de prêtres traditionnels et le sacrifice de quelques bêtes. En principe, un cadi n’était pas censé réclamer quoi que ce soit : il rendait son verdict pour plaire à Dieu et non pour son gain personnel, même s’il recevait bien volontiers un dédommagement sous forme d’aumônes. Au Mali et dans le nord du Cameroun ou du Nigeria, par exemple, la charia a pu sembler d’autant plus attractive que les chefs coutumiers ont vu leur légitimité s’éroder au cours du temps. Avant la colonisation, déjà, ceux-ci vivaient de l’exploitation d’une main-d’œuvre servile et du tribut versé par leurs vassaux.

Après l’indépendance, ils ont en quelque sorte été «fonctionnarisés», «politisés» et «corrompus». Aujourd’hui, ils dépendent désormais du bon vouloir des largesses de l’État, dont ils relaient bon gré mal gré les politiques sécuritaires, voire prédatrices, et ils n’ont pas forcément les vertus que les opérateurs de l’aide internationale leur prêtent pour devenir les courroies de transmission des politiques publiques de développement dans le monde rural. Plus que les paysans, cependant, les milieux marchands des villes sont généralement les premiers à être favorables à une application plus stricte de la charia. En effet, la référence aux préceptes universels du Coran légitime leur commerce, garantit le droit contractuel et permet de s’affranchir de l’étroitesse du clientélisme «tribal» pour viser des marchés plus vastes sur la base d’une communauté de croyance.

guerre perdue au malien 00131   D’un point de vue économique, la charia semble parfois si performante que, dans le nord du Nigeria, il n’est pas rare que des commerçants chrétiens recourent aux tribunaux islamiques pour se faire payer des créances détenues par des musulmans. Pour autant, il convient de ne pas surestimer l’attractivité de la charia. Au Sahel, les sondages disponibles permettent difficilement d’apprécier la popularité d’un modèle islamique qui n’exprime jamais qu’une demande de justice sociale par défaut d’État.

En effet, la charia ne se réduit nullement à la catégorie pénale, dite hudud, des châtiments les plus sévères prévus pour l’adultère, le vol avec violence ou le meurtre : fouet, lapidation, amputation des mains, décapitation, etc. Elle est, beaucoup plus généralement, un code de conduite et un manuel de savoir-vivre. Demander à un musulman s’il est pour ou contre la charia revient un peu à demander à un chrétien de se prononcer pour ou contre l’ensemble des enseignements de la Bible.

Quoi qu’il en soit des sondages, l’engouement pour le droit coranique n’est en fait pas si évident. Dans le nord du Nigeria au sortir de la dictature militaire en 1999, par exemple, des politiciens musulmans ont promis monts et merveilles en prônant une islamisation de la justice afin de gagner des voix aux élections. Mais l’expérience n’a guère été concluante. Comme avant, les tribunaux islamiques ont surtout traité de litiges familiaux en matière de divorce ou d’héritage, sachant que, statutairement, ils n’avaient pas le droit de régler les conflits fonciers en milieu urbain. En pratique, les affaires pénales sont, pour l’essentiel, restées du domaine des cours de justice héritées du colonisateur britannique. Contrairement à l’Arabie saoudite, aucune peine de mort n’a été exécutée au nom d’un tribunal appliquant la charia.

mali ua 1De même, personne n’a été lapidé ou décapité à la suite du jugement d’un cadi. Quant aux condamnations à des amputations, elles ont pratiquement toutes été suspendues, à l’exception de deux cas dans l’État de Zamfara en 2000 puis 2001 et d’un autre à Sokoto en 2001. En effet, les gouverneurs en place ont généralement été réticents à confirmer des sentences qui pouvaient ternir leur réputation à l’international. Dans l’État de Kano, le plus peuplé du nord du Nigeria, les autorités ont ainsi accepté de prendre en charge le paiement du « prix du sang » (diya) pour éviter que, dans le cas de meurtres commis par des indigents, les familles des victimes ne soient tentées de réclamer une punition corporelle suivant la « loi du talion » (qisas).

En fin de compte, le domaine d’application de la charia est resté à peu près le même qu’avant 1999. À présent, l’immense majorité des litiges continue d’être tranchée de façon informelle, même si les cours islamiques voient désormais passer plus des trois quarts des affaires poursuivies en justice, bien plus que les tribunaux relevant d’autres catégories . Il faut dire que l’application de la charia pose de nombreux problèmes dans le cadre d’États modernes, en particulier au sein de sociétés multiconfessionnelles. Les contradictions semblent inévitables. Au Nigeria, par exemple, l’arrestation, l’inculpation et le transfert des suspects à des tribunaux islamiques sont censés être effectués par la police nationale, institution fédérale qui compte beaucoup d’agents chrétiens et qui ne cache pas sa réticence à promouvoir la charia.

Urgent au Mali- après l’expulsion de l’ambassadeur de France: «On peut gravir des échelons supplémentaires», Christian Cambon ledebativoirien.netCe sont également des avocats du ministère de la Justice qui décident du type d’instances devant lesquelles les prévenus doivent comparaître. Les tribunaux islamiques, enfin, n’ont pas échappé aux pressions de l’exécutif. Il est arrivé que des cadis acceptent des pots-de-vin et se révèlent aussi corrompus que la classe dirigeante qui les avait mis en place et que conspuaient les groupes djihadistes. De ce point de vue, il est clair que la charia n’a pas tenu ses promesses. Les pauvres ont été les premières victimes de l’extension du domaine d’application pénale du droit coranique, tandis que les riches ont continué de piller les caisses de l’État en toute impunité. Les croyants en ont été pour leurs frais.

La situation actuelle au Sahel et dans l’Afrique tropicale tranche avec l’ère précoloniale, quand des plaignants se convertissaient à l’islam pour être autorisés à solliciter le jugement d’un cadi et échapper à l’ordalie des modes de règlement tribaux de la justice traditionnelle. À présent, il est fréquent de voir des suspects renier leur religion et se dire non musulmans pour se soustraire à la brutalité des sentences de la charia. Les djihadistes eux-mêmes ont contribué à rendre la charia inapplicable. Au cours des années 2000 et 2010, les deux États de la fédération nigériane les plus touchés par l’insurrection de Boko Haram, le Borno et le Yobe, ont ainsi été ceux qui enregistraient le plus faible taux d’affaires portées devant des tribunaux islamiques. En effet, les rebelles s’en sont pris à tous les symboles de l’État : commissariats de police, bâtiments administratifs, écoles publiques, etc. Ils n’ont donc pas hésité à brûler des tribunaux islamiques qui, selon eux, avaient le tort d’avoir été institués par un État impie ; à l’occasion, ils ont aussi tué des cadis, au moins quatre selon certains décomptes.

Le retour du politique

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La leçon est amère. Au Sahel, le contexte politique fait dire à certains que, finalement, les pays soumis à l’épreuve du djihadisme n’ont le choix qu’entre devenir intègres ou intégristes ! Or aucune option n’a abouti. D’un côté, la charia n’a pas satisfait les demandes de justice sociale des musulmans qui y voyaient une sorte de remède miracle contre la corruption ambiante.

De l’autre, les États sahéliens n’ont pas réussi à améliorer leur gouvernance de façon significative. Certes, l’ère des dictatures militaires a pratiquement disparu depuis la fin de la guerre froide ; des régimes autoritaires sont également tombés au Soudan en 2019, au Burkina Faso en 2014 ou au Niger en 2010-2011.

Mais les fondamentaux n’ont pas vraiment évolué. Au contraire, la guerre contre le terrorisme a justifié la mise en place d’états d’exception et d’urgence qui ont favorisé les violations du droit et assuré l’impunité des forces de l’ordre. Aujourd’hui au Mali et dans la région du lac Tchad, on ne voit pas d’alternative se profiler pour réoccuper les territoires autrefois tenus par les insurgés. L’État reste désespérément absent, comme avant, et la France n’en peut mais. Ainsi, on en revient toujours au même problème : la réponse à la menace djihadiste doit d’abord être politique et sociale, bien plus que militaire.

guerre perdue au malienAu Sahel, le défi est encore et toujours de construire l’État. De pair avec une croissance économique plus dynamique et inclusive, une démocratisation des régimes en place pourrait aussi permettre, en théorie, de désamorcer les tensions car le principe des élections est censé faciliter la résolution des conflits autrement que par la violence.

Il n’en demeure pas moins que, concrètement, personne ne sait trop comment améliorer la gouvernance des pays de la région. La question reste donc entière : qu’est-ce que l’armée française est venue faire dans cette galère ? Parmi les cinq pays couverts par l’opération Barkhane, le Mali est particulièrement significatif. C’est là que le déni de la crise de l’État a été le plus criant. Dès le début de l’opération Serval en janvier 2013, l’armée française a donné l’impression de se tromper de cible : elle est partie à la conquête de Tombouctou au lieu d’aller à Bamako mettre un terme aux affrontements entre les différentes factions de militaires maliens qui se disputaient le pouvoir depuis les mutineries et le coup d’État de mars 2012.

En décembre 2012, pourtant, la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU avait clairement établi les priorités. Le premier objectif, le plus crucial, était de rétablir l’ordre constitutionnel à Bamako, avant de restaurer la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, y compris au Nord. Or, François Hollande et son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ont fait exactement l’inverse, soi-disant sous la pression des événements.

aJA LEDRIAN IBK AVIONAinsi, ils ont décidé de s’occuper d’abord de la charpente de la maison Mali en débarrassant le grenier septentrional de ses nuisibles, avant de descendre à Bamako tenter de construire les fondations d’un semblant d’État moderne et démocratique en organisant l’élection sur mesure du président Ibrahim Boubacar Keïta en juillet 2013. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette erreur de diagnostic. La haine des valeurs qu’incarnent les djihadistes a en effet conduit l’élite républicaine et laïque de la France, tous partis confondus, à développer une analyse tronquée des enjeux de la crise en niant le caractère politique des demandes de justice que les insurgés exprimaient sous une forme religieuse.

L’incompréhension est manifeste et se décline à travers quatre principaux registres qui sont étudiés dans les chapitres suivants et qui ont trait à des questions de terminologie, de globalisation, d’endoctrinement islamiste et, dans leur version matérialiste, de pauvreté. De fait, la crise du Sahel est quasi systématiquement appréhendée en termes de terrorisme et non d’insurrection, ce qui contribue à fausser son analyse et à légitimer la mise en place de régimes d’exception qui violent l’état de droit. De plus, le djihadisme est largement perçu comme une menace globale et importée du monde arabe, ce qui permet aux gouvernements des pays concernés de botter en touche, de nier les racines locales des affrontements et d’occulter leur dimension politique.

JA JEAN YVES LEDRIANDans le même ordre d’idées, le problème est imputé à une « radicalisation de l’islam » et à une mauvaise interprétation du Coran, prisme religieux qui, encore une fois, déporte le regard ailleurs en dédouanant les alliés africains de la France de leurs responsabilités dans la poursuite des hostilités. Enfin, la crise du Sahel est mise sur le compte de la pauvreté et non de l’accaparement des ressources par la classe dirigeante, une autre manière de dépolitiser le djihadisme en entretenant de grandes illusions sur les mérites de l’aide publique au développement pour acheter la paix sociale.

A SUIVRE : DES ERREURS DE DIAGNOSTIC….LE PRISME DU TERRORISME : UN JEU DANGEREUX

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