Par Marc Antoine Perouse de Montclos
Ledebativoirien.net procurera avec vous, ce livre de Marc Antoine Perouse de Montclos, dans ‘‘une guerre perdus-la France au sahel’’. ‘‘POURQUOI LA FRANCE DOIT QUITTER LE MALI’’ est dédié à sa mère, infatigable voyageuse décédée des suites d’une longue maladie le 29 décembre 2018. Mais, la pensée de l’auteur va au aussi à Didier de Montclos, son grand-oncle qu’il a peu connu, enterré à Sikasso où il qui a créé le plus gros lycée du Mali. Plongeons dans une guerre perdue…
À l’époque, l’objectif était seulement d’appuyer une éventuelle opération de paix des Nations unies pour rétablir l’ordre à Bamako, où des mutins avaient pris le pouvoir, avant d’essayer de repartir à la conquête des territoires du Nord tombés dans l’escarcelle de groupes djihadistes.
À peine sortie de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, l’armée française allait faire exactement l’inverse. Elle partit d’abord à l’assaut des djihadistes avant d’accompagner le retour à un ordre constitutionnel à Bamako. Le ton martial de l’Élysée était d’autant plus étonnant que le président n’avait pas la réputation d’être un foudre de guerre. Comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy, François Hollande avait officiellement proclamé la fin de la « FrançAfrique » et adopté les mots d’ordre de la communauté internationale en vue de promouvoir «des solutions africaines aux problèmes africains». Dans un tel contexte, l’idée n’était sûrement pas de voir l’ancienne puissance coloniale débarquer des milliers de soldats pour suppléer aux défaillances de l’État malien.
D’emblée cette intervention militaire me met mal à l’aise
En tant que chercheur, j’essaie surtout de rester le plus objectif possible. Alors d’où me vient cette répugnance pour l’opération Serval, le nom que les militaires français ont donné à leur intervention au Mali ? D’abord d’un sentiment d’infaisabilité : je suis profondément convaincu que le déploiement de soldats en provenance de l’ancienne puissance coloniale est condamné à l’échec lorsqu’il s’agit de mener une guerre longue contre des groupes insurrectionnels. De plus, je constate très vite une forme d’autisme de la part de la classe dirigeante.
La France républicaine et laïque a le beau rôle : elle combat la barbarie djihadiste. Il n’y a donc pas lieu de la critiquer, à moins d’être un « idiot utile » de l’islamisme – voire de se rendre complice des insurgés comme l’avait laissé entendre le ministre de l’Intérieur Manuel Valls à propos de certains sociologues dont les analyses avaient été accusées de complaisance parce qu’elles revenaient prétendument à excuser ou disculper les terroristes en cherchant à les comprendre.
C’est aussi le constat auquel arrivent les spécialistes et collègues qui ont participé à un livre collectif écrit dans l’urgence. Avec un appel à contributions lancé peu après le début de l’opération Serval, en janvier 2013, et des manuscrits reçus trois mois plus tard, notre ouvrage sort en librairie le jour de l’élection du président Ibrahim Boubacar Keita à Bamako en juillet suivant : un temps record pour les standards habituels du monde académique, mais nos analyses ne sont guère entendues des politiques.
À l’Élysée,
le président François Hollande et son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian sont à la manœuvre et restent complètement focalisés sur la menace terroriste djihadiste. Les diplomates qui, comme Laurent Bigot en 2012, soulignaient le rôle joué dans la crise par la corruption de l’État malien seront renvoyés sans ménagements.
Je devrai moi-même renoncer à mes fonctions de rédacteur en chef de la revue Afrique contemporaine quand l’organisme public qui la finançait, l’AFD (Agence française de développement), décidera de suspendre sine die la parution d’un numéro consacré aux conflits du Mali. Le professeur canadien qui coordonnait ce dossier y constatait en effet l’échec de la communauté internationale à résoudre les problèmes de fond d’un «État prédateur et corrompu».
Mais une telle analyse ne plaisait guère au nouveau directeur de la revue, Thomas Mélonio, un ancien responsable de la cellule Afrique du président François Hollande. L’affaire provoquera la démission d’une partie du conseil scientifique d’Afrique contemporaine et fera la une du Monde le 29 mars 2019 .
La question méritait pourtant d’être posée :
Mais elles ont permis d’éviter le pire et, surtout, elles ne se sont pas éternisées, à la différence du cas malien. En privé, des militaires français reconnaissent d’ailleurs que l’opération Serval, qui a démarré en janvier 2013, aurait dû se terminer au bout de six mois, la période légale au cours de laquelle l’exécutif peut engager l’armée sans demander l’autorisation du Parlement. Les fondements mêmes de l’intervention au Mali font débat. Le récit officiel veut que, le 7 janvier 2013, des pick-up chargés de djihadistes se soient ébranlés en direction de la petite localité de Konna, dont les insurgés allaient s’emparer trois jours plus tard.
Celle-ci est présentée comme le dernier verrou stratégique avant que la déferlante djihadiste ne s’empare de Bamako, à près de 700 kilomètres de là. Il faut donc agir rapidement. Sinon, les insurgés vont renouveler les exploits des talibans entrant à Kaboul le 27 septembre 1996. Le scénario est dantesque. Une fois Bamako tombé, d’autres capitales pourraient suivre : Niamey, Ouagadougou, Nouakchott…
À terme, c’est tout le « Sahelistan » – pour reprendre une formule à la mode – qui pourrait tomber dans l’escarcelle des « fous de Dieu ».
Heureusement, la France veille au grain. En montant l’opération Serval, elle va sauver le Mali de ses tourments et le monde occidental du péril djihadiste. C’est tout au moins la façon dont le président François Hollande et son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, présentent les choses. Mais les partenaires de la France ne l’entendent pas tous ainsi.
Les États-Unis, eux, ne se font aucune illusion sur la corruption du gouvernement malien et sa capacité à lutter contre le terrorisme. Un mois avant le début de l’opération Serval, leur représentante aux Nations unies, l’ambassadrice Susan Rice, décrit tout simplement comme de la « merde » (crap) les plans français de reconquête militaire du Septentrion malien. Quelles étaient donc les options envisagées et envisageables pour le président François Hollande en janvier 2013?
Il faudra un jour que les historiens dépouillent les archives de l’Élysée et de l’armée française pour nous aider à décrypter le récit dominant à l’époque. Les djihadistes de Konna étaient-ils vraiment en mesure de descendre jusqu’à Bamako à bord de deux ou trois centaines de pick-up ? En Irak le 10 juin 2014, les combattants de l’État islamique ont réussi à s’emparer de Mossoul avec un nombre équivalent de véhicules. Mais ils avançaient en terrain conquis car la ville était acquise aux réseaux sunnites et baasistes qui voulaient en découdre avec Bagdad et les Américains.
Ce n’était pas du tout le cas à Bamako, où l’on détestait les Touaregs du Nord. À Tombouctou, ville dix fois moins peuplée que la capitale du Mali, les djihadistes avaient en fait réussi à prendre le pouvoir en tirant parti de griefs fort anciens contre les abus du pouvoir central. Ils n’auraient pas pu tenir le terrain si leur projet politico-religieux n’avait pas, à sa manière, exprimé les aspirations séparatistes ou autonomistes d’une partie de la population locale, notamment celles des Touaregs.
Mais la configuration était très différente à Bamako début 2013.
Malgré le coup d’État qui avait renversé le gouvernement, l’administration centrale continuait en effet de (mal) fonctionner et la population était foncièrement hostile aux Touaregs qui avaient proclamé l’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2012. Dans le pire des cas, on aurait peut-être assisté à un raid djihadiste sur la capitale malienne, suivi d’un retrait vers les positions acquises dans le Nord.
Mais l’hypothèse de l’établissement d’une république islamique et d’un État terroriste à l’échelle de tout le pays est très discutable. Consciemment ou inconsciemment, les autorités françaises ont indûment dramatisé la situation. Avec les opérations Serval puis, à partir de 2014, Barkhane, elles sont tombées dans un piège et se sont enlisées dans une intervention militaire sans fin.
Leur retraite a alors évité à l’armée française des combats urbains qui auraient pu être autrement plus meurtriers. La configuration du théâtre d’opérations a aussi permis de ne pas se retrouver dans la position délicate des soldats de la mission de l’Union africaine en Somalie, qui, entre 2007 et 2017, ont perdu plus de 1 500 hommes en essayant de défendre la capitale, Mogadiscio, d’où les Chebab avaient été chassés par les troupes éthiopiennes fin 2006 : dans le cas du Mali, rappelons-le, les djihadistes n’avaient jamais pu occuper Bamako.
Dans la région, l’armée française ne peut en fait que colmater les brèches. Lui demander de stabiliser la situation politique à plus long terme relève de l’impossible car il faudrait alors construire un État au Mali, et pas seulement le reconstruire. Un pareil effort se projette sur plusieurs décennies et est clairement au-dessus de nos moyens. De toute évidence, il sort aussi du domaine de compétence de nos soldats, à moins de les engager dans une œuvre de conquête territoriale et de recolonisation politique afin de reprendre entièrement en main l’administration du Mali ! 5
Aujourd’hui, le constat est à l’échec. Les mouvances djihadistes ont proliféré et étendu leur rayon d’action en dehors du Mali. De plus, les groupes signataires des accords de paix conclus à Alger en 2015 n’ont pas désarmé. Enfin, les violences intercommunautaires se sont multipliées, le banditisme de grand chemin sévit toujours et l’État malien continue d’avoir une présence très faible en dehors des grandes villes. La question maintenant est de savoir si, pour l’armée française, il vaut mieux rester en vain, sans être en mesure d’améliorer la situation, ou bien se retirer, pour se dédouaner de toute responsabilité directe dans les événements en cours, quitte à laisser le Mali prendre lui-même en charge ses défis sécuritaires, pour le meilleur comme pour le pire.
Ce livre, on le voit, se focalise donc sur l’engagement militaire de la France et de ses alliés.
Il ne préjuge en rien de la poursuite d’une aide au
le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Sont aussi évoquées les expériences d’autres luttes antiterroristes engagées avec le Nigeria contre Boko Haram autour du lac Tchad ou avec le Kenya contre les Chebab de Somalie dans la Corne de l’Afrique.
À sa manière, le cas malien illustre en effet des problématiques beaucoup plus générales sur l’ensemble de la zone. Réciproquement, les modalités de la réponse d’autres pays africains au défi djihadiste nous aident à mieux comprendre les difficultés de l’armée française dans la région aujourd’hui. Les problématiques se recoupent souvent. Deux des quatre pays membres de la coalition qui lutte contre Boko Haram, le Niger et le Tchad, combattent ainsi aux côtés de l’armée nigériane tout en faisant partie de la force dite du « G5 Sahel » qui est censée prendre le relais de la France au Mali….A suivre-‘‘UN PARI INTENABLE’’…
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Par Marc Antoine Perouse de Montclos