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Des militaires gangrenés par la corruption
La corruption n’est pas un vain mot quand on s’intéresse au fonctionnement des appareils sécuritaires de bien des États africains. Les armées, en particulier, sont touchées par toute une variété de problèmes qui affectent directement leur capacité à lutter contre les groupes djihadistes :
contrebande et revente d’armes volées dans les arsenaux des casernes militaires; collusion dans divers trafics avec des mouvements insurrectionnels ; détournement des soldes qui mine le moral des troupes et provoque des mutineries contre la hiérarchie ; surfacturation et non réalisation des contrats d’approvisionnement qui laissent les soldats livrés à eux-mêmes, sans équipements ; népotisme des officiers au détriment de la formation, du professionnalisme et du mérite ; impunité et indiscipline qui favorisent les abus autant que les désertions, etc.
Le Mali n’échappe pas à ces problèmes. Avant la crise de 2012, certains de ses officiers étaient déjà suspectés de tremper dans les trafics de drogue au Sahara. Depuis lors, l’intervention de la France et de la communauté internationale n’a pas mis fin aux pratiques de corruption, bien au contraire puisqu’il y a davantage d’argent à partager. En privé, les bailleurs de fonds de l’aide se plaignent ainsi du détournement des équipements fournis.
Il se murmure même que c’est pour mieux surveiller l’utilisation de l’argent versé aux militaires maliens qu’ils ont poussé au déménagement du quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel depuis Sévaré jusqu’à Bamako, officiellement pour permettre la reconstruction d’un site entièrement détruit par une attaque djihadiste le 29 juin 2018. Dans un tel contexte, est-il envisageable que l’armée française puisse remédier à la situation en encadrant de plus près l’appareil sécuritaire des pays menacés par des groupes djihadistes ? C’est improbable et pas faisable à moyen terme.
D’abord pour des raisons de souveraineté :
les résistances nationalistes sont fortes et les États africains ne veulent pas se soumettre aux injonctions des anciennes puissances coloniales. Bien souvent, la classe dirigeante elle-même ne souhaite pas vraiment lutter contre les mécanismes d’une corruption qui lui permet de gagner les élections et de conforter ses réseaux clientélistes pour rester au pouvoir.
De plus, la France n’a ni les moyens ni la volonté d’aller se substituer à des États défaillants. Enfin et surtout, la tâche est absolument dantesque. En effet, le souci n’est pas seulement que les forces de l’ordre entretiennent les insurrections djihadistes par leurs exactions, leurs abus, leur corruption et leurs dégâts dans la population civile. En amont, le problème est aussi que, bien souvent, elles exacerbent la situation en ajoutant une strate de violence, en poussant les protestataires à basculer dans la lutte armée et en nourrissant le ressentiment contre les autorités établies, quitte à légitimer des protestations fondées sur la morale islamique.
Pour améliorer la situation, il faudrait en fait que la France entreprenne de refondre entièrement les systèmes de sécurité des pays sahéliens, sans oublier de pallier les déficiences des appareils judiciaires et pénitentiaires d’États dont la fragilité n’est plus à démontrer. Le problème est structurel. Qu’elle suive un modèle jacobin et français ou régionaliste et britannique, la forme centralisée ou fédérale de l’État postcolonial importe finalement assez peu à cet égard. Dans la tradition politique francophone, les fonctionnaires sont postés en brousse par le pouvoir central, tandis qu’au Nigeria anglophone l’administration territoriale est davantage constituée d’élus du cru.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, l’État est très peu présent en milieu paysan. Au Nigeria, les bâtiments administratifs des collectivités locales rurales restent désespérément vides car les fonctionnaires préfèrent rester vivre avec leur famille en ville ; au Niger, au Mali ou au Burkina Faso, les instituteurs et les médecins de campagne pratiquent un absentéisme routinier. Autrement dit, la manifestation concrète de l’État dans les campagnes se réduit surtout à l’arrivée de percepteurs d’impôts ou de « corps habillés », à savoir des hommes en uniforme de la police ou de l’armée qui sont souvent étrangers à la région et qui ne parlent pas les langues locales.
Au Mali depuis l’indépendance, la brutalité de la répression du séparatisme touareg dans le Nord et le racket incessant des gardes forestiers à l’encontre des éleveurs peuls du Macina ont ainsi constitué le terreau d’une protestation sur laquelle les djihadistes allaient facilement se greffer. Les abus ont été tels que, lors de la crise de 2012, certains habitants de Tombouctou et Gao ont perçu le retrait de l’État comme une bénédiction. De même à partir de 2015, des bergers du Macina ont été séduits par le discours du chef djihadiste Amadou Koufa vilipendant le comportement prédateur des fonctionnaires maliens.
Au nom de la préservation des aires agricoles et de la lutte contre la désertification, le service des eaux et forêts avait en effet l’habitude de racketter les éleveurs peuls de la région, en particulier depuis qu’une loi de 1986 avait alourdi le montant des amendes et officiellement autorisé ses agents à en garder un certain pourcentage pour se payer sur la bête, un peu comme les fermiers généraux de l’Ancien Régime en France. Dans une certaine mesure, on a observé des phénomènes assez similaires dans la province du Sahel au nord du Burkina Faso près de la frontière malienne, où les fonctionnaires du pouvoir central compensaient une affectation pour eux pénible en se livrant à divers trafics et rackets.
Les éleveurs peuls de la région, eux, avaient le sentiment d’être exclus de l’administration et d’être systématiquement discriminés au profit d’autres communautés en cas de conflit. Mené par Ibrahim Dicko, le groupe djihadiste Ansarul Islam a évidemment tiré parti de cette situation. La lutte antiterroriste a alors exacerbé les griefs locaux quand les forces de sécurité ont commencé à rafler des villages entiers pour éviter de compromettre leurs informateurs, arrêtés et détenus avec l’ensemble de la population.
Le Mali n’est pas le seul concerné par les abus policiers ou militaires.
Dans le nord sahélien du Nigeria, le ressentiment contre les forces de l’ordre existe aussi depuis longtemps. Du temps de la colonisation, les musulmans considéraient les casernes militaires comme des enclaves étrangères et des lieux de dépravation où l’on consommait de l’alcool et fréquentait des «femmes de mauvaise vie». Le nom qu’on leur a donné en haoussa est significatif à cet égard : dérivé du mot barracks en anglais, le terme barikanci désigne un style de vie immoral.
Aujourd’hui, la défiance reste forte car les rares représentants de l’État dans les campagnes affichent souvent un certain mépris à l’égard de la rusticité du monde paysan. Les forces de sécurité, en particulier, connaissent mal les environnements où elles sont en quelque sorte «parachutées». Pour développer un esprit de corps et éviter de possibles collusions entre les représentants de la loi et les communautés dont ils sont originaires, les autorités cherchent en effet à ventiler les effectifs policiers et militaires à travers tout le territoire national.
Au nord-est du Nigeria, une des régions les moins alphabétisées du pays, les forces déployées pour lutter contre Boko Haram se sont ainsi retrouvées en contact direct avec des civils et des musulmans qui ne parlaient pas anglais. Pour ces derniers, le sentiment d’être confronté à des troupes d’occupation a été d’autant plus fort que les soldats chrétiens et ibo en provenance du Sud ont été suspectés de vouloir venger leurs morts assassinés lors des pogroms de 1966, qui avaient été à l’origine de la guerre de sécession du Biafra. Le contexte politique devait également entretenir une certaine défiance à l’égard des forces de l’ordre. En 2011, les principaux fiefs de Boko Haram en pays kanouri dans les États du Borno et du Yobe avaient voté pour l’opposition et contre le président à l’époque au pouvoir, qui était lui-même un chrétien du Sud.
Sur le plan politique comme confessionnel, tout concourait finalement à entériner le grand divorce entre les forces de l’ordre et la population civile. Cantonnés dans des casernes en ville, policiers et militaires nigérians, eux, ont vécu dans la peur d’attaques qui pouvaient les surprendre à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Persuadés que la population musulmane leur était hostile, ils se sont méfiés de tout le monde et n’ont pas hésité à tirer dans le tas. La sauvagerie de leur répression et leur manque de retenue à l’égard des civils n’ont pas été pour rien dans la brutalisation de Boko Haram et la perpétuation des hostilités.
De la mauvaise gestion des conflits
Plutôt que de s’appesantir sur une prétendue radicalisation de l’islam, il convient ainsi de revenir sur la façon dont la mauvaise gestion des conflits a provoqué et entretenu des révoltes de type djihadiste. Les défaillances des pouvoirs publics ont joué un rôle essentiel. Dans le cas du sud de la Somalie et du nord du Mali, il est assez étonnant à cet égard d’entendre les décideurs politiques renverser la perspective en prétendant que les terroristes seraient responsables du chaos ambiant.
En réalité, la nature a horreur du vide. C’est justement l’absence d’un État régulateur, arbitre impartial des conflits, qui a favorisé l’émergence de groupes djihadistes dans des contextes déjà très violents. Au Mali, par exemple, il est de bon ton de prétendre que l’importation des idées salafistes des pays du Golfe, l’infiltration de terroristes en provenance d’Algérie et la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye seraient à l’origine de la victoire d’AQMI, dont les combattants ont réussi à prendre le contrôle de Tombouctou en juin 2012.
Une telle explication permet aux autorités et aux militaires maliens de se défausser de leurs profondes responsabilités dans l’aggravation de la crise. Pourtant, les relations entre les Touaregs et le pouvoir central étaient tendues depuis fort longtemps. En octobre 2011, la mort de Mouammar Kadhafi n’a fait que précipiter les événements. À meilleure preuve, les exilés touaregs de Libye ont traversé le Niger sans s’y arrêter lorsqu’ils sont revenus à Tombouctou proclamer l’indépendance de l’Azawad en avril 2012.
Fondamentalement, l’élément déclencheur de la crise a été la situation de vide politique au Mali, de pair avec le retrait total de l’armée du nord du pays. À Bamako, le coup d’État du capitaine Amadou Haya Sanogo, qui renversa le président élu Amadou Toumani Touré, a été le véritable déterminant de la prise du pouvoir par les djihadistes.
N’en déplaise aux partisans de la coopération militaire, on pourrait multiplier les exemples démontrant que les forces de sécurité africaines portent en fait une lourde part de responsabilité dans l’éclosion et le développement de révoltes, notamment dans des régions à majorité musulmane. Dès 1991, la chute de la dictature Siad Barre en Somalie et l’annulation de la victoire électorale du Front islamique de salut par les militaires en Algérie ont ainsi ouvert la voie à un basculement des protestations islamistes dans la lutte armée et le djihad.
C’est particulièrement flagrant dans la Corne de l’Afrique.
En 2006, les troupes éthiopiennes ont en effet débarqué à Mogadiscio pour y renverser le gouvernement de l’Union des tribunaux islamiques. Leur occupation du pays a alors conduit les milices du cru à se radicaliser et a précipité la transformation en guérilla du «mouvement de la jeunesse», les Chebab, afin de bouter «l’envahisseur chrétien» en dehors du territoire somalien. Depuis lors, l’intervention des troupes de la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) n’a pas mis un terme au conflit.
Venues pour l’essentiel du Kenya, de l’Ouganda et de l’Éthiopie, celles-ci sont également perçues comme des forces allogènes et sont régulièrement accusées de revendre leurs munitions en se livrant à toutes sortes de trafics depuis l’aéroport international de Mogadiscio. Le contingent kényan, en particulier, a été accusé de tremper dans l’exportation illégale de charbon de bois depuis les ports sous son contrôle dans la région de Kismayo : un commerce qui, en l’occurrence, finance aussi les Chebab de la même manière que l’armée nigériane a contribué à assurer la survie des combattants de Boko Haram en recélant et revendant le bétail volé par les insurgés autour du lac Tchad.
Quant à l’armée somalienne, elle est censée se reconstituer sous les auspices de la communauté internationale mais n’est guère en mesure de sortir de la capitale et encore moins de reprendre le contrôle des campagnes aux mains des Chebab. Les spécialistes le disent eux-mêmes : ses soldats sont moins disciplinés que les insurgés et ils passent une bonne partie de leur temps à se disputer entre eux . Beaucoup ont déserté avec armes et bagages pour rejoindre les milices de leurs clans ou rallier les Chebab, soit par conviction, soit, tout simplement, parce qu’ils n’étaient pas payés et que leurs soldes avaient été détournées par le gouvernement en place à Mogadiscio.
D’autres ne se sont pas gênés non plus pour vendre des munitions et des informations sensibles aux insurgés, à tel point que les Nations unies ont renoncé à lever leur embargo sur les armes, une option un moment envisagée pour soutenir la formation d’une armée nationale. En dehors des frontières de la Somalie, les Chebab ont aussi réussi à étendre leur base sociale dans la Corne de l’Afrique en tirant parti des manœuvres répressives des États voisins et des griefs accumulés par leurs minorités musulmanes.
Les Somali du nord-est du Kenya, en particulier, avaient le sentiment très net d’être stigmatisés et discriminés par les élites au pouvoir dans la capitale. À la différence des notables de Bamako vis-àvis des Touaregs dans le nord du Mali, ces dernières étaient chrétiennes, ce qui a pu contribuer à accentuer les divergences. Dès l’indépendance en 1963, la minorité somalie du Kenya a ainsi tenté de faire sécession et, en 1998, l’attentat d’al-Qaïda contre l’ambassade américaine à Nairobi n’a évidemment pas calmé les suspicions à son encontre.
Tant et si bien qu’en 2011 l’armée kenyane a décidé d’occuper le sud de la Somalie pour sécuriser la frontière et créer une zone tampon entre les deux pays. À Nairobi autant qu’à Mombasa sur la côte swahélie où se concentre la minorité musulmane du pays, des prédicateurs extrémistes comme Ahmad Iman Ali et Aboud Rogo ont alors généralisé leurs critiques en dénonçant la guerre menée par le Kenya et son allié américain contre l’ensemble des croyants, et non plus seulement les Somaliens.
Le premier devait rejoindre les rangs des Chebab en 2009 tandis que le second fut tué par balles en 2012, vraisemblablement par des escadrons de la mort qui n’avaient pas accepté son acquittement à la suite d’un procès pour terrorisme en 2005. Son assassinat, qui provoqua des émeutes, contribua à radicaliser les salafistes de Mombasa qui allaient former le groupe al-Hijra (« Hégire ») et prêter allégeance à al-Qaïda. La mort d’Aboud Rogo annonça aussi la répression à venir et les événements qui devaient pousser de jeunes musulmans kenyans à combattre pour une lutte qui, au départ, n’était pas la leur.
De fait, les rafles se multiplièrent dans les quartiers de peuplement somali. Lors de l’opération dite Usalama Watch en mars 2014, le chef de la police de Mombasa annonçait ainsi la couleur en affirmant publiquement sa volonté de liquider les suspects sur place car «ces gens-là ne méritent pas d’être poursuivis en justice». Du fait de sa plus grande proximité avec le Mali et de son poids économique et politique dans la bande sahélienne, le Nigeria est bien aussi significatif des errements des forces de sécurité engagées dans la lutte contre le terrorisme.
La mauvaise gestion du conflit avec Boko Haram y a précipité le glissement de la secte islamiste dans la violence après l’exécution extrajudiciaire de son fondateur en juillet 2009 à Maiduguri, fief historique du groupe. La chronologie des événements présente à cet égard d’étonnantes similitudes avec la répression du mouvement Maitatsine près de trente ans plus tôt. Dans un cas comme dans l’autre, la police a procédé à des arrestations arbitraires, molesté des innocents et refusé de rendre des comptes aux commissions d’enquête mises en place par les autorités.
Les opérations lancées à l’époque pour écraser les protestataires portaient également des noms quasi identiques : Flush Out en octobre 1982 ; Flush en juin 2009. Coïncidence ou reflet du manque d’imagination des forces de l’ordre ? Nul ne le sait. Quoi qu’il en soit, ces opérations «Nettoyage» se sont accompagnées de nombreux abus qui ont aggravé la situation, précipité les rebelles dans la clandestinité et déplacé le conflit vers d’autres localités.
Maitatsine et Boko Haram : même combat ?
Concernant le mouvement Maitatsine, les autorités ont d’abord voulu empêcher un rassemblement des fidèles de la secte devant le palais traditionnel du Shehu du Borno à Maiduguri. L’objectif était d’éviter que ne se renouvelle la séquence qui, deux ans auparavant, avait dégénéré et provoqué la mort de plus de 4 000 personnes à la suite d’affrontements devant la résidence de l’émir de Kano et la mosquée centrale de la ville, capturée par les rebelles.
À Maiduguri en octobre 1982, la police s’est ainsi lancée à la poursuite des protestataires en raflant les passants qui lui tombaient sous la main à Zajiri dans le quartier populaire de Bolori, un futur fief de Boko Haram. Elle cibla notamment les habitants de la banlieue de Bullum-Kutu où les fidèles de la secte Maitatsine s’étaient retranchés après de premiers incidents au cours desquels un inspecteur de police avait été tué en 1979, avant d’être rejoints par d’autres membres du groupe fuyant la répression militaire à Kano fin 1980.
Pour autant, la répression n’a pas mis un terme aux activités des rebelles. Le chef du mouvement Maitatsine à Maiduguri, Ibrahim Yatu, parvint à échapper au massacre final et les fidèles de la secte se retrouvèrent plus au sud dans les villes de Yola puis Gombe, où de nouveaux affrontements avec les forces de l’ordre firent plus d’un millier de morts en février mars 1984 puis avril 1985. Concernant Boko Haram, les protestataires venus des quartiers populaires de la ville avaient également des velléités à se rassembler devant le palais du Shehu afin d’occuper un espace hautement symbolique du pouvoir à Maiduguri.
Mais l’affaire a surtout démarré à la suite d’un accident de voiture. Dans le cadre de l’opération Flush, le gouverneur du Borno avait en effet imposé aux motocyclistes le port du casque afin de mater les fidèles de la secte qui refusaient d’enlever leurs turbans lorsqu’ils défilaient à moto dans les rues de la ville pour conspuer l’impiété et la corruption de la classe dirigeante. Quand les membres de Boko Haram ont voulu organiser la procession des funérailles de leurs «frères» tués dans un banal accident de voiture près de la ville de Biu en juin 2009, la police leur tira alors dessus car ils ne portaient pas de casque de moto.
Dix-neuf d’entre eux furent grièvement blessés et les autorités leur interdirent d’aller se faire soigner à l’hôpital de Maiduguri. Rencontré dans une prison du Niger, un membre de Boko Haram témoin direct de ces événements m’a ainsi raconté l’énorme frustration des fidèles de la secte. Pendant que certains de leurs «frères» achevaient de mourir chez eux des suites de leurs blessures, les policiers responsables du carnage continuaient de faire tranquillement la circulation dans les rues de Maiduguri, comme pour les narguer.
Les rancœurs s’étaient accumulées.
Auparavant, plusieurs membres de la secte avaient été bastonnés car ils refusaient de dire bonjour aux agents de police en référence à un hadith selon lequel le prophète Mohammed avait invité les fidèles à ne pas saluer en premier les juifs et les chrétiens. Les funérailles des victimes de l’accident de voiture furent en quelque sorte la goutte d’eau qui fit déborder le vase et, depuis l’Irak, l’État islamique n’a évidemment pas manqué d’en tirer parti pour chanter les louanges des martyrs du Nigeria et justifier l’affiliation d’une faction de Boko Haram en 2015.
Les chantres du djihad mondial racontent ainsi comment l’armée empêcha les fidèles musulmans d’aller donner leur sang aux blessés transférés dans les centres hospitaliers de Bauchi et de Maiduguri. D’après le récit de l’État islamique, le fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, lança alors son djihad avec «des milliers de moudjahidin» commandés par des «émirs» au nom de guerre difficilement identifiable, «le Bornouan» (Abu Amir al-Barnawi) et «l’Homme de Maiduguri» (Sheikh Abdullah Maiduguri), qui furent rapidement tués au cours des affrontements.
La vengeance fut terrible. À Maiduguri, poursuit la propagande de l’État islamique, «les moudjahidin ont égorgé les flics comme des moutons», se sont emparés de la plupart des quartiers de la ville et ont réussi à détruire les hauts lieux de la «mécréance» : bars, maisons closes, églises… Encerclés dans leur centre religieux appelé markaz, près de la gare de Maiduguri, les derniers combattants de Boko Haram durent cependant se résoudre à fuir et à se disperser avant d’aller se cacher en brousse et de passer à des actions de guérilla.
Mohamed Yusuf, lui, fut capturé par l’armée, livré à la police et exécuté sommairement, sans aucun procès. Les forces de l’ordre enterrèrent son corps à la va-vite avec des centaines de fidèles liquidés dans des conditions similaires, souvent en pleine rue, au vu et au su de tous. Maiduguri retrouva un calme précaire, annonciateur de la tempête à venir.
A SUIVRE : DE L’IMPUNITE AU NOM DE LA SECURITE…ANTICOLONIALISME, ISLAMISME ET REVOLTE SOCIALE
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