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‘‘Une guerre perdue au MALI’’ : «Au-delà des fantasmes-Boko Haram, Al-Qaïda, Daech et le Mali : une série de mésalliances »

 

Au-delà des fantasmes Quoi qu’il en soit du possible alignement de leurs politiques de communication, les connexions globales des djihadistes du Sahel sont en réalité très limitées, notamment sur le plan opérationnel. Historiquement, seuls les groupes les plus anciens de la zone ont effectivement bénéficié d’un appui logistique d’al-Qaïda, en l’occurrence en Afrique de l’Est. Fondé fin 1988, le djihad érythréen a ainsi accueilli des combattants d’outre-mer et des vétérans de la guerre contre l’Armée rouge en Afghanistan, tout en recevant un soutien direct d’Oussama Ben Laden depuis le Soudan voisin, où celui-ci a vécu entre 1992 et 1996.

Par Marc –Antoine Perousse de Montclos/Ledebativoirien.net

Les islamistes somaliens du groupe al-Itehad (« Union »), qui naquit dans la ville de Hargeisa en 1983, ont aussi bénéficié à la même époque d’un appui d’al-Qaïda. Mais ces deux mouvances ont rapidement disparu. Au cours des années 2000, les organisations qui ont pris la suite du djihad érythréen deviendront même des alliés objectifs des États-Unis pour combattre le gouvernement d’Asmara, coupable d’appuyer les Chebab en Somalie. Quant au groupe alItehad, il s’est autodissous à la fin des années 1990. Seule une toute petite poignée de ses membres a décidé de poursuivre le combat en rejoignant les rangs des Chebab en 2006, à l’image de Hassan Dahir Aweys, un Hawiye de Mogadiscio et un ancien colonel de la dictature du général Siad Barré avant 1991.

Aujourd’hui, les Chebab sont en fait les seuls à disposer d’un véritable relais outre-mer à travers la diaspora somali, avec quelques migrants de seconde génération qui ont pu revenir dans la Corne de l’Afrique pour commettre des attentats. Contrairement à Daech, en revanche, les nébuleuses de Boko Haram et d’AQMI ne sont guère attractives pour les candidats au djihad venus d’Europe, d’Amérique ou du monde arabe. Leur recrutement est très local, à l’intérieur d’espaces aux frontières poreuses. En outre, aucun d’entre eux n’a commis d’attentats outre-mer, à la différence de Daech et d’al-Qaïda. Il serait trompeur à cet égard d’imaginer qu’AQMI au Mali serait un simple prolongement du GIA (Groupe islamique armé) en Algérie.

Au milieu des années 1990, ce dernier a effectivement organisé des attentats terroristes en France. À Alger en 1994, il a notamment pris en otage un avion d’Air France qui fut finalement arraisonné à Marseille et que les services de renseignement ont un moment soupçonné d’avoir voulu s’écraser sur la tour Eiffel, comme en prélude à l’attentat d’al-Qaïda contre les tours du World Trade Center à New York en 2001. Mais il y a loin du GIA à AQMI, à la fois dans le temps et dans l’espace. Dans le nord du Mali, en l’occurrence, AQMI est né bien des années plus tard d’une dissidence du GIA, le GSPC (Groupe salafiste pour le combat).

Certains de ses vétérans ont pu faire référence aux luttes d’antan. Fin 2012, par exemple, Mokhtar Belmokhtar a fondé au Mali un groupe éphémère, les Signataires par le sang (Al Mouwaqi’oun Biddam), qui a repris le nom du commando des pirates de l’air du GIA à Alger en 1994. Pour autant, AQMI s’est surtout immergé dans les milieux rebelles des Touaregs. En dépit de leurs invectives contre «l’impérialisme» français, ses combattants n’avaient plus rien à voir avec le GIA et n’ont jamais été en mesure de monter des attaques dans l’Hexagone. De ce point de vue aussi, l’opération Serval ne peut pas se comparer à l’intervention militaire des Américains en Afghanistan, en représailles aux attentats de New York en 2001.

Si l’on considère le risque qui pesait sur la sécurité nationale en France, elle relève plutôt du registre de la guerre préventive dans un pays bien différent de celui où sévissait le GIA vingt ans auparavant. Connues sous des noms assez divers, les mouvances des Chebab, de Boko Haram et d’AQMI sont en fait très déstructurées. Leur genèse est endogène. Malgré des fantasmes récurrents sur l’existence d’une Internationale islamiste, elles ne sont pas des excroissances d’al-Qaïda ou Daech et ne répondent nullement aux ordres d’un hypothétique commandement central qui coordonnerait leurs attaques depuis le sud de la Libye. Leurs allégeances à des mouvements djihadistes globaux sont d’abord opportunistes.

En effet, les Subsahariens sont parfaitement capables de manipuler les Arabes suivant les besoins du moment. De l’aveu même d’un document interne à l’État islamique, le chef du «canal historique» de Boko Haram, Abubakar Shekau, a ainsi prêté allégeance à Daech en 2015 pour se maintenir au pouvoir, écraser ses opposants et faire face à la coalition antiterroriste qui venait de se monter contre lui avec les armées du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun . Sur le plan idéologique, les errements des Chebab, de Boko Haram ou d’AQMI montrent, à cet égard, toutes les limites des politiques de franchise de Daech ou d’al-Qaïda. Pour les deux frères ennemis du djihad global, les groupes africains servent surtout à conforter leurs ambitions planétaires tout en se livrant à une sorte de guerre de communiqués.

Mais les « branches » locales suivent leur propre agenda et dérogent au modèle professé par Oussama Ben Laden. Certaines s’obstinent à refuser d’obéir aux instructions en provenance du monde arabe, si tant est qu’il y ait le moindre effort de concertation sur le plan stratégique. D’autres menacent quant à elles de quitter une franchise pour basculer dans le camp adverse, moins regardant sur les « canons » de l’orthodoxie djihadiste. Le cas de Boko Haram est particulièrement significatif à cet égard. Une fois que le groupe a basculé dans la clandestinité en juillet 2009, son leader Abubakar Shekau a fait exactement l’inverse de ce que lui recommandait AQMI dans une lettre écrite en octobre 2011.

À l’époque, les franchisés d’Oussama Ben Laden au Mali mettaient en garde leurs « frères nigérians » contre toute improvisation en matière militaire. AQMI invitait Boko Haram à patienter avant de lancer le djihad. Son conseil : mieux valait se concerter avec d’autres groupes dans le monde afin de frapper ensemble et d’avoir un impact global. Mieux valait aussi consulter les clercs islamiques afin de légitimer le recours à la lutte armée.

Avant d’envisager toute attaque, il fallait bâtir une base sociale solide pour convaincre les croyants et gagner les cœurs et les esprits de la population. Au lieu de cela, souligne AQMI, Abubakar Shekau se lança dans des actions de représailles à courte vue, ignorant les avis de la choura du fondateur de la secte, interdit à ses fidèles de rejoindre d’autres groupes djihadistes en Somalie ou en Algérie et s’aliéna la population locale en tuant essentiellement des musulmans.

Des insurgés sans soutiens étatiques

* Il convient ainsi de relativiser l’influence des modèles révolutionnaires d’al-Qaïda ou Daech en Afrique subsaharienne. Le contraste est saisissant quand on songe à l’envergure mondiale que les rivalités Est-Ouest 15 donnaient d’emblée à des rébellions sahéliennes dont les connexions régionales s’inséraient dans le grand jeu militaro-diplomatique de la guerre froide. À présent, les insurrections qualifiées de djihadistes ne sont pas soutenues par des États, à la différence des guérillas d’autrefois.

À l’occasion, elles bénéficient seulement de la passivité de gouvernements qui ferment les yeux sur leurs activités pour se prémunir de leurs attaques et les contenir dans les pays voisins. Ce fut notamment le cas d’AQMI avec le Burkina Faso où, jusqu’à sa chute en 2014, le régime de Blaise Compaoré servit souvent d’intermédiaire pour négocier la libération d’otages. Relativement épargnée par les attaques de groupes djihadistes, la Mauritanie du général Mohamed Ould Abdel Aziz, arrivé au pouvoir en 2008, a également été soupçonnée d’avoir passé un pacte de non-agression mutuelle avec les terroristes.

Selon certains auteurs, les Algériens, eux, auraient facilité l’implantation au Mali du groupe qui allait prendre le nom d’AQMI en 2007 : leur objectif était de se débarrasser ainsi de leurs propres djihadistes après la guerre civile qui avait suivi l’annulation de la victoire électorale du Front islamique de salut à Alger en 1990-1991. Pour autant, aucun pays de la zone n’a officiellement soutenu les insurgés, à la différence des alliances formelles conclues avec des mouvements de lutte armée du temps de la guerre froide. L’Érythrée est sans doute le seul État du Sahel à avoir délibérément entrepris de livrer des armes aux Chebab de Somalie, en l’occurrence pour gêner l’ennemi éthiopien à la suite d’une guerre de frontière en 1998-1999.

Sous le coup de sanctions économiques et diplomatiques, le Soudan islamiste de Hassan el Tourabi, lui, a fini par rompre avec al-Qaïda après le départ de Khartoum d’Oussama Ben Laden en 1996. Très à la mode à propos de la menace communiste du temps de la guerre froide, la « théorie des dominos» mérite à cet égard d’être reconsidérée lorsqu’elle impute aux groupes djihadistes la capacité de renverser les gouvernements de la région à la suite les uns des autres.

À Niamey, par  exemple, le régime du président Mamadou Tanja est tombé en juin 2010 pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec des attaques terroristes. Il en va de même pour le président Blaise Compaoré suite à des manifestations de rues à Ouagadougou en octobre 2014.

En Mauritanie encore, l’attaque de la caserne de Lemgheity par des Algériens du GSPC en juin 2005 a précipité mais pas causé la chute du régime du colonel Ould Sid’Ahmed Taya deux mois plus tard. Deux ans auparavant, ce dernier avait su venir à bout d’une tentative de coup d’État supposément menée par des opposants islamistes avec l’aide de mercenaires nigérians qui auraient ensuite participé à la fondation de Boko Haram au Nigeria. Il est en fait très difficile de connaître l’état réel des connexions opérationnelles entre les différents groupes insurrectionnels de la zone. Dans un récit écrit en octobre 2011 et diffusé en avril 2017, un responsable d’AQMI devait mentionner la présence de 20 Nigérians parmi les 81 moudjahidin impliqués en septembre 2010 dans une «bataille» contre l’armée mauritanienne à Hassi Sidi, près de la frontière malienne.

Mais il ne précisait pas si ceux-ci avaient vraiment été envoyés par la mouvance de Boko Haram à Maiduguri, à près de 4 000 kilomètres de là. Il est possible que ces 20 Nigérians aient simplement participé à un mauvais coup parce qu’ils étaient arrivés en Mauritanie pour trouver du travail en étant prêts à se vendre au plus offrant. Nul ne le sait et, dans tous les cas, ni l’attaque de la caserne de Lemgheity en 2005 ni la bataille de Hassi Sidi en 2010 n’ont jamais menacé sérieusement le pouvoir dans la capitale Nouakchott.

Indéniablement, les coïncidences et les enchaînements de circonstances ne suffisent pas à prouver l’existence d’un grand complot islamiste constitué sur la base de connexions étroites entre divers groupes insurrectionnels qui se concerteraient entre eux. Relayées par des consultants mal informés ou des journalistes avides de sensationnalisme, les supputations à propos des Nigérians de Boko Haram sont significatives à cet égard.

À partir de témoignages très discutables, des 17 reporters britanniques devaient ainsi prétendre que ceux-ci avaient établi un camp d’entraînement de 300 hommes avec AQMI à Tombouctou dans le nord du Mali en 2012. Le Nigeria, en l’occurrence, est le pays le plus peuplé d’Afrique, bientôt le troisième du monde d’ici à 2050.

Il n’y a donc rien d’étonnant à trouver certains de ses ressortissants impliqués dans des trafics de drogue en Amérique latine ou dans de lointains combats djihadistes en Libye ou sur la péninsule arabique. Mais cela ne suffit pas à démontrer qu’ils auraient été envoyés à l’étranger sur ordre de Boko Haram, une nébuleuse elle-même très fragmentée et déstructurée, en l’absence d’un véritable commandement central.

Récemment, des experts des Nations unies ont aussi prétendu qu’une faction du groupe affiliée à Daech aurait revendiqué pour la première fois un attentat sur le sol malien, en l’occurrence en avril 2019 près de Ménaka avec l’assassinat de Hadana Ag Hainaha, un commandant militaire d’une milice touarègue alliée au Français, le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). Là encore, cependant, leurs assertions ont reposé sur des informations « confidentielles » et aucun document public n’est venu étayer leur affirmation sous la forme d’une vidéo ou d’un enregistrement audio. En pratique, il reste très difficile de vérifier les faits et d’en savoir plus sur l’éventualité de la présence de djihadistes venus du Nigeria.

A SUIVRE: BOKO HARAM, AL-QAÏDA, DAECH ET LE MALI : UNE SERIE DE MESALLIANCES… DES REBELLES INCAPABLES DE GOUVERNER

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