Au-delà des fantasmes Quoi qu’il en soit du possible alignement de leurs politiques de communication, les connexions globales des djihadistes du Sahel sont en réalité très limitées, notamment sur le plan opérationnel. Historiquement, seuls les groupes les plus anciens de la zone ont effectivement bénéficié d’un appui logistique d’al-Qaïda, en l’occurrence en Afrique de l’Est. Fondé fin 1988, le djihad érythréen a ainsi accueilli des combattants d’outre-mer et des vétérans de la guerre contre l’Armée rouge en Afghanistan, tout en recevant un soutien direct d’Oussama Ben Laden depuis le Soudan voisin, où celui-ci a vécu entre 1992 et 1996.
Par Marc –Antoine Perousse de Montclos/Ledebativoirien.net
Au milieu des années 1990, ce dernier a effectivement organisé des attentats terroristes en France. À Alger en 1994, il a notamment pris en otage un avion d’Air France qui fut finalement arraisonné à Marseille et que les services de renseignement ont un moment soupçonné d’avoir voulu s’écraser sur la tour Eiffel, comme en prélude à l’attentat d’al-Qaïda contre les tours du World Trade Center à New York en 2001. Mais il y a loin du GIA à AQMI, à la fois dans le temps et dans l’espace. Dans le nord du Mali, en l’occurrence, AQMI est né bien des années plus tard d’une dissidence du GIA, le GSPC (Groupe salafiste pour le combat).
Si l’on considère le risque qui pesait sur la sécurité nationale en France, elle relève plutôt du registre de la guerre préventive dans un pays bien différent de celui où sévissait le GIA vingt ans auparavant. Connues sous des noms assez divers, les mouvances des Chebab, de Boko Haram et d’AQMI sont en fait très déstructurées. Leur genèse est endogène. Malgré des fantasmes récurrents sur l’existence d’une Internationale islamiste, elles ne sont pas des excroissances d’al-Qaïda ou Daech et ne répondent nullement aux ordres d’un hypothétique commandement central qui coordonnerait leurs attaques depuis le sud de la Libye. Leurs allégeances à des mouvements djihadistes globaux sont d’abord opportunistes.
Mais les « branches » locales suivent leur propre agenda et dérogent au modèle professé par Oussama Ben Laden. Certaines s’obstinent à refuser d’obéir aux instructions en provenance du monde arabe, si tant est qu’il y ait le moindre effort de concertation sur le plan stratégique. D’autres menacent quant à elles de quitter une franchise pour basculer dans le camp adverse, moins regardant sur les « canons » de l’orthodoxie djihadiste. Le cas de Boko Haram est particulièrement significatif à cet égard. Une fois que le groupe a basculé dans la clandestinité en juillet 2009, son leader Abubakar Shekau a fait exactement l’inverse de ce que lui recommandait AQMI dans une lettre écrite en octobre 2011.
Avant d’envisager toute attaque, il fallait bâtir une base sociale solide pour convaincre les croyants et gagner les cœurs et les esprits de la population. Au lieu de cela, souligne AQMI, Abubakar Shekau se lança dans des actions de représailles à courte vue, ignorant les avis de la choura du fondateur de la secte, interdit à ses fidèles de rejoindre d’autres groupes djihadistes en Somalie ou en Algérie et s’aliéna la population locale en tuant essentiellement des musulmans.
Des insurgés sans soutiens étatiques
À l’occasion, elles bénéficient seulement de la passivité de gouvernements qui ferment les yeux sur leurs activités pour se prémunir de leurs attaques et les contenir dans les pays voisins. Ce fut notamment le cas d’AQMI avec le Burkina Faso où, jusqu’à sa chute en 2014, le régime de Blaise Compaoré servit souvent d’intermédiaire pour négocier la libération d’otages. Relativement épargnée par les attaques de groupes djihadistes, la Mauritanie du général Mohamed Ould Abdel Aziz, arrivé au pouvoir en 2008, a également été soupçonnée d’avoir passé un pacte de non-agression mutuelle avec les terroristes.
Sous le coup de sanctions économiques et diplomatiques, le Soudan islamiste de Hassan el Tourabi, lui, a fini par rompre avec al-Qaïda après le départ de Khartoum d’Oussama Ben Laden en 1996. Très à la mode à propos de la menace communiste du temps de la guerre froide, la « théorie des dominos» mérite à cet égard d’être reconsidérée lorsqu’elle impute aux groupes djihadistes la capacité de renverser les gouvernements de la région à la suite les uns des autres.
En Mauritanie encore, l’attaque de la caserne de Lemgheity par des Algériens du GSPC en juin 2005 a précipité mais pas causé la chute du régime du colonel Ould Sid’Ahmed Taya deux mois plus tard. Deux ans auparavant, ce dernier avait su venir à bout d’une tentative de coup d’État supposément menée par des opposants islamistes avec l’aide de mercenaires nigérians qui auraient ensuite participé à la fondation de Boko Haram au Nigeria. Il est en fait très difficile de connaître l’état réel des connexions opérationnelles entre les différents groupes insurrectionnels de la zone. Dans un récit écrit en octobre 2011 et diffusé en avril 2017, un responsable d’AQMI devait mentionner la présence de 20 Nigérians parmi les 81 moudjahidin impliqués en septembre 2010 dans une «bataille» contre l’armée mauritanienne à Hassi Sidi, près de la frontière malienne.
Indéniablement, les coïncidences et les enchaînements de circonstances ne suffisent pas à prouver l’existence d’un grand complot islamiste constitué sur la base de connexions étroites entre divers groupes insurrectionnels qui se concerteraient entre eux. Relayées par des consultants mal informés ou des journalistes avides de sensationnalisme, les supputations à propos des Nigérians de Boko Haram sont significatives à cet égard.
À partir de témoignages très discutables, des 17 reporters britanniques devaient ainsi prétendre que ceux-ci avaient établi un camp d’entraînement de 300 hommes avec AQMI à Tombouctou dans le nord du Mali en 2012. Le Nigeria, en l’occurrence, est le pays le plus peuplé d’Afrique, bientôt le troisième du monde d’ici à 2050.
Récemment, des experts des Nations unies ont aussi prétendu qu’une faction du groupe affiliée à Daech aurait revendiqué pour la première fois un attentat sur le sol malien, en l’occurrence en avril 2019 près de Ménaka avec l’assassinat de Hadana Ag Hainaha, un commandant militaire d’une milice touarègue alliée au Français, le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). Là encore, cependant, leurs assertions ont reposé sur des informations « confidentielles » et aucun document public n’est venu étayer leur affirmation sous la forme d’une vidéo ou d’un enregistrement audio. En pratique, il reste très difficile de vérifier les faits et d’en savoir plus sur l’éventualité de la présence de djihadistes venus du Nigeria.
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