« …ce groupe de pasteurs, a-t-il le monopole de la foi ? La propriété exclusive de l’usage du nom de Jésus Christ ? «
Par ledebativoirien.net/ Geoffroy Julien KOUAO : Politologue et écrivain
Contrairement à une opinion admise, les mouvements prophétiques, où des personnes prétendant avoir une nature divine, ne sont pas nouveaux en Côte d’Ivoire. En effet, c’est à l’aube du 20è siècle que tout commence avec le Harrisme du prophète William Wade Harris venu du Libéria voisin. Les prophètes Djava Dagri dit Papa nouveau d’abord, Albert Atcho, ensuite, vont asseoir leur notoriété « christique » dans le sud ivoirien.
En 1990, c’est le mouvement évangélique qui produit les prophètes dont le plus emblématique fut Kakou Séverin. Aujourd’hui, on peut citer le cas de Gédeon de la Chétchouva.
Du côté de l’église catholique, on peut noter «la communauté mère du divin Amour» du frère Clément Akobé, «le sacerdoce royal» du frère Abraham Marie Pio et la «communauté Maria Rosa Mystica» de maman Pauline à Yopougon.
A l’observation, depuis le siècle dernier on assiste à un bouillonnement religieux en Côte d’Ivoire, où les uns et les autres n’hésitent pas à s’autoproclamer sinon Jesus Christ du moins sa réincarnation tropicale. C’est dans ce contexte, dans cette continuité que s’inscrit le « Jésus de Patmos» ou «le Jésus baoulé», arrêté et écroué à la Maca, selon la presse ivoirienne, pour trouble à l’ordre public. Cette arrestation « du Jésus Baoulé » pose une double question juridique. D’abord constitutionnel, ensuite pénal.
La neutralité signifie que l’Etat doit être à équidistance des religions. L’idéologie relative à l’organisation et au fonctionnement de l’Etat ne doit pas avoir pour fondement la religion. La Côte d’ivoire, selon la constitution, n’est pas une théocratie comme l’Etat juif d’Israël, la république islamique d’Iran ou l’Etat Catholique du Vatican. La neutralité ne signifie pas que l’Etat de Côte d’ivoire ne reconnaît pas l’existence des religions. Bien au contraire. Et l’Etat doit les mettre sur le même pied d’égalité.
L’égalité signifie qu’en Côte d’ivoire, aucune région ne doit être privilégiée ou désavantagée par rapport aux autres. Quant à la discrétion, elle veut dire que la religion relève de la sphère privée. L’espace public doit être épargné par les pratiques religieuses.
De ce qui précède, et pour faire simple, selon la loi fondamentale, chacun est libre de croire ou de ne pas croire en quelque chose. A l’observation, le « Jésus baoulé » ne fait que respecter un droit constitutionnel encadré par l’article 19 en ces termes «la liberté de pensée et la liberté d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion philosophique et de conviction religieuse ou de culte, sont garanties à tous. Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées… ».
Le dernier alinéa de l’art 19 est éclairant : « Toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre ou d’encourager la haine raciale, tribale ou religieuse est interdite ». Sauf erreur d’analyse et d’observation de ma part, je n’ai pas entendu ou vu, dans ses supports visuels ou audio, « Jesus de Patmos » appeler à la haine religieuse.
Dans l’espèce, quel est l’intérêt de ce groupe de pasteurs ? A-t-il le monopole de la foi ? La propriété exclusive de l’usage du nom de Jésus Christ ? Affirmer qu’on est Jésus Christ relève-t-il de l’usurpation telle que définie par les articles 331 et suivants du code pénal ? L’article 331 du code pénal dispos que «quiconque, sans titre, s’immisce dans les fonctions publiques, administratives, judiciaires ou militaires, ou fait les actes d’une de ses fonctions, est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 300.000 à 3.000.000 de francs » ;
l’article 332 « Quiconque, publiquement et sans y avoir droit, porte un costume, un uniforme, un insigne ou une décoration légalement réglementée, est puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans d’une amende de 150.000 à 1.500.000 francs ».
L’administration judiciaire aurait-elle agit par anticipation, dans le cadre de la police administrative ? Dans cette posture, l’action de l’administration judiciaire est salvatrice. En effet, selon des sources concordances, «Jésus de Patmos» aurait demandé à ses fidèles de se préparer au grand voyage, ce qui laisserait craindre, aux yeux des autorités, une possibilité de suicide collectif.
Ce sont des choses à ne pas prendre avec légèreté. Les suicides collectifs dans les sectes sont récurrents. En effet, Le 17 mars 2000, le gourou d’une secte apocalyptique ougandaise, le prophète Joseph Kibwetere, 68 ans, avait convaincu 400 de ses fidèles d’un suicide collectif. Il a mis le feu à l’église. Sa femme, ses enfants et lui étant restés dehors. En 1978, dans la ville de Jonestown au Guyana, 914 disciples du gourou Jin Jones meurent à la suite d’un suicide collectif.
Les exemples de suicides ou d’actes irréparables sur ordre « divin » des gourous abondent, malheureusement. Dans tous les cas de figure, l’arrestation du « Jésus Baoulé » fera jurisprudence dans une Côte d’Ivoire où on assiste à un bouillonnement prophétique qui malheureusement ne glorifie toujours pas Dieu.
Ledebativoirien.net
Geoffroy Julien KOUAO
Politologue et écrivain, auteur de
« Violences électorales et apologie de l’impolitique,
Faut-il désespérer de la Côte d’Ivoire ? »