Par Marc Antoine Perouse de Montclos
Ledebativoirien.net traverse toujours ‘‘la France au sahel acte 12: une guerre perdue, dans une pérégrination guidée par Marc Antoine Perouse de Montclos, dans ‘‘une guerre perdus’’. ‘‘Pourquoi la france doit quitter le mali’’ est dédié à sa mère, infatigable voyageuse décédée des suites d’une longue maladie le 29 décembre 2018. Et aussi à Didier de Montclos, son grand-oncle qu’il a peu connu, enterré à Sikasso où il qui a créé le plus gros lycée du Mali. Plongeons dans une guerre perdue…dans cette partie avec : Boko Haram :
une violence idéologiquement programmée ?
À cet égard, le cas de Boko Haram est significatif car il symbolise bien la façon dont la réaction de l’État nigérian a fait dégénérer la situation. Comme on l’a vu dans le chapitre II, les abus de la police lors de funérailles de membres de la secte ont en l’occurrence incité le fondateur de la secte, Mohamed Yusuf, à proclamer le djihad en 2009. Les exécutions extrajudiciaires et la brutalité de la répression militaire ont ensuite précipité la radicalisation du groupe qui, une fois rentré dans la clandestinité, a basculé dans la violence terroriste.
Pour analyser l’impact des idéologies extrémistes, la question serait donc de savoir si une meilleure gestion de la crise aurait permis d’éviter le pire ou bien si la violence terroriste était inéluctable : programmée, en quelque sorte, par le fanatisme religieux.
À première vue, le récit rétrospectif que fait de Boko Haram un fils de Mohamed Yusuf affilié à l’État islamique, Abu Yusuf Al-Barnawi, laisse à penser que le groupe a prêché le djihad dès ses débuts. Mais il est possible que cette version de l’histoire ait surtout eu pour objectif de démontrer la compatibilité stratégique entre les deux organisations. En Irak et en Syrie, l’État islamique a en effet prôné la lutte immédiatement, à la différence d’al-Qaïda, qui préconisait d’abord de prêcher la parole prophétique et de patienter jusqu’à ce que les conditions soient favorables à l’émergence d’une révolution obéissant aux préceptes du Coran.
D’après le récit d’Abu Yusuf Al-Barnawi, la militarisation de Boko Haram a en fait été progressive, à mesure que la secte prenait de l’ampleur et poussait les autorités à prendre des mesures coercitives pour en limiter l’influence. Parmi les différents comités dont l’organisation s’est dotée, le militaire a été le dernier à être mis en place, en l’occurrence pour protéger les émirs du groupe et former leur garde rapprochée. Si l’on en croit Abu Yusuf Al-Barnawi, les fidèles de la secte à Maiduguri avaient déjà réussi à se procurer des kalachnikovs et des explosifs lorsque la crise a éclaté en 2009.
Dans les États voisins du Bauchi et du Yobe, en revanche, ils n’avaient pas d’armes et ils sont partis au combat en bravant la mort avec de simples bâtons pour aller piller les arsenaux des commissariats de police de la ville de Potiskum. Pour justifier l’option de la lutte armée, l’État islamique a aussi cherché à mettre en évidence la persécution que, de manière plus générale, les croyants auraient subie à l’échelle du Nigeria tout entier. Dans son hagiographie de Boko Haram, Daech a notamment rappelé le tragique épisode des massacres de Zango Kataf dans l’État de Kaduna en 1992, lorsque des musulmans pourchassés par des chrétiens tentèrent en vain de trouver refuge dans des casernes militaires et des commissariats de police où ils furent livrés à leurs assaillants.
Le récit de l’État islamique devait ainsi insister sur la nécessité de venger les enfants et les femmes qui, pour certaines enceintes, auraient alors été lynchées et brûlées vives par les « Croisés », après qu’on les eut forcées à chanter des cantiques. Avant que la crise n’éclate en 2009, les prêches de Boko Haram ont également appelé les fidèles à résister spirituellement et physiquement à l’impiété du pouvoir politique, à l’ostracisme de l’establishment musulman et aux brutalités policières.
Le fondateur de la secte, Mohamed Yusuf, ne préconisait cependant pas d’attaquer directement les représentants de l’État, à la différence d’éléments extrémistes connus sous le nom de «Talibans du Nigeria». Peu nombreux et plus ouverts à des idéologies djihadistes globales, ceux-ci avaient commencé dès 2003-2004 à attaquer des postes de police dans des régions frontalières du Niger et du Cameroun. Poursuivis par l’armée, ils avaient ensuite dû se réfugier à Maiduguri, où ils s’étaient rapprochés du prêcheur le plus vindicatif de la ville, Mohamed Yusuf. Mais ce dernier était davantage porté au compromis.
Il avait cherché à négocier avec les autorités une application plus radicale de la charia et avait conclu des arrangements politiques avec le gouverneur à l’époque au pouvoir dans l’État du Borno. Les témoignages de l’époque rapportent ainsi qu’en dépit de la vigueur de ses prêches, Mohamed Yusuf faisait partie des « colombes » qui cherchèrent à tempérer l’ardeur guerrière des « faucons » issus des rangs des «Talibans du Nigeria »..
De la diversité des facteurs de recrutement dans le djihad
D’une manière générale au Sahel, les enquêtes disponibles sur la trajectoire des combattants qualifiés de djihadistes invitent en fait à relativiser le rôle déterminant que les décideurs politiques veulent assigner à des idéologies extrémistes. Parmi la soixantaine de membres supposés de Boko Haram que j’ai pu rencontrer en liberté ou en prison au Nigeria, au Niger et au Tchad entre 2010 et 2017, par exemple, seulement un disait avoir rejoint le groupe en écoutant les prêches du fondateur de la secte, c’est-à-dire avant que le mouvement ne rentre dans la clandestinité suite aux massacres de l’armée et de la police nigérianes en 2009.
De même en Somalie, un seul des Chebab interviewés dans un « centre de déradicalisation» de Mogadiscio en 2018 citait des raisons religieuses pour expliquer son ralliement aux insurgés, en l’occurrence après avoir adhéré au discours nationaliste des imams opposés à l’invasion éthiopienne de 2006. Dans la plupart des cas, les combattants du groupe étaient surtout motivés par un sentiment de discrimination économique et politique à l’égard de leur communauté. Des enquêtes menées au Mali en 2016 auprès de 63 anciens djihadistes confirmaient également que le motif religieux avait occupé une place marginale dans la mobilisation des fantassins au sein d’AQMI et de ses diverses « succursales ».
Bien entendu, on pourra toujours arguer que ces échantillons sont trop ténus pour être représentatifs de la situation en général au Sahel. De plus, les motivations des combattants peuvent évoluer au cours du temps. Mais des études plus larges des Nations unies confirment la tendance en relativisant le rôle de l’endoctrinement religieux dans la mobilisation djihadiste. Surtout, elles font apparaître une multitude de motivations qui ne sont finalement pas très différentes de celles des guérilleros des mouvements qualifiés de marxistes du temps de la guerre froide. Les réseaux familiaux et les liens d’amitié facilitent indéniablement les recrutements. On prend les armes pour venger des parents assassinés et se protéger des exactions des forces gouvernementales, des seigneurs de guerre ou de clans rivaux. Ou bien on se bat par opportunisme économique : pour participer aux pillages, pour défendre ses intérêts, son troupeau, son lignage, son territoire…
À sa manière, le djihad exprime aussi la révolte des jeunes contre le pouvoir et l’immobilisme des Anciens. L’accès aux femmes a joué un rôle non négligeable à cet égard. En effet, les salafistes ont condamné le syncrétisme des cérémonies traditionnelles et le coût de la dot africaine, dénoncée comme une coutume préislamique. Ils ont ainsi permis aux jeunes d’avancer l’âge du mariage en échappant aux pesanteurs familiales et aux prescriptions des Anciens. On a retrouvé ce phénomène dans les rangs de Boko Haram au Nigeria aussi bien que des Chebab en Somalie. De même dans le nord du Burkina Faso, les prêches de Malam Ibrahim Dicko et du groupe Ansarul Islam ont attiré les jeunes en dénonçant l’ostentation et le fardeau financier de mariages traditionnels qui, en brousse, pouvaient coûter jusqu’à dix fois plus que le salaire minimum mensuel en ville.
Iyad Ag Ghali : un cas d’islamisation de la radicalité au Mali
La variété des motifs d’entrée dans une rébellion djihadiste oblige ainsi à reconsidérer l’impact de la variable religieuse. Dans le nord du Mali, par exemple, on a assisté à une sorte d’islamisation de la radicalité plutôt qu’à une radicalisation de l’islam. La jonction entre les rébellions touarègues et les insurrections de type djihadiste est très révélatrice à cet égard. Elle est particulièrement bien illustrée par la trajectoire d’Iyad Ag Ghali, aujourd’hui ennemi public numéro un de l’armée française en tant que leader du « Groupe pour la victoire de l’islam et des musulmans » (Jamaat Nusrah al-Islam wal-Muslimin).
Issu de la noblesse du clan des Ifoghas et fils d’un chef mort lors de la première rébellion touarègue à l’indépendance, en 1963-1964, celui-ci était d’abord parti en exil, où il avait combattu dans les rangs de la Légion islamique de Mouammar Kadhafi en Libye puis de l’Organisation de libération de la Palestine au Liban. À l’époque, il avait la réputation d’être un bon noceur et ne rechignait pas à boire de l’alcool. De retour au pays, Iyad Ag Ghali a ensuite fondé le Mouvement populaire de l’Azawad en 1990 et pris la tête d’une révolte séparatiste qui devait se conclure par un accord de paix censément appliqué à partir de 1996.
Officiellement réconcilié avec le gouvernement à Bamako, il fut alors nommé en 2007 consul du Mali à Djeddah, en Arabie saoudite, avant d’en être expulsé pour ses liens supposés avec al-Qaïda en 2010. Les contacts avec les djihadistes d’AQMI, en l’occurrence, avaient été facilités par son cousin Abdelkrim alTargui, qui avait fondé une katiba (« brigade ») touarègue appelée AlAnsar. Écarté des courants indépendantistes coalisés au sein du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Iyad Ag Ghali en profita pour se réinsérer dans le jeu politique en lançant sa propre faction islamiste, Ansar Dine (« Les défenseurs de la foi »), début 2012.
D’aucuns estiment ainsi que son parcours a été très pragmatique, voire opportuniste, adoptant les idéologies du moment suivant les besoins de sa cause. Dans le même ordre d’idée, certains observateurs soulignent que les Peuls du nord du Mali ont commencé à rejoindre le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) pour protéger leurs troupeaux et échapper aux exactions des Touaregs du MNLA en 2012, et non pas parce qu’ils auraient été fanatisés par des imams radicaux. Des considérations d’ordre matériel et non spirituel ont également poussé de simples éleveurs à rallier la katiba du Macina dans le centre du Mali ou le groupe Ansarul Islam dans la région du Liptako-Gourma au Burkina Faso.
A SUIVRE : DES INCONVENIENTS PRATIQUES DE L’OBSESSION RELIGIEUSE-DES INCONVENIENTS PRATIQUES DE L’OBSESSION RELIGIEUSE
Ledebativoirien.net
Sauf autorisation de la rédaction ou partenariat pré-établi, la reprise des articles de www.ledebativoirien.net, même partielle, est strictement interdite. Tout contrevenant s’expose à des poursuites.
En savoir plus sur LE DEBAT IVOIRIEN
Subscribe to get the latest posts sent to your email.