Par Marc Antoine Perouse de Montclos
Ledebativoirien.net traverse toujours ‘‘la France au sahel acte 12: une guerre perdue, dans une pérégrination guidée par Marc Antoine Perouse de Montclos, dans ‘‘une guerre perdus’’. ‘‘Pourquoi la france doit quitter le mali’’ est dédié à sa mère, infatigable voyageuse décédée des suites d’une longue maladie le 29 décembre 2018. Et aussi à Didier de Montclos, son grand-oncle qu’il a peu connu, enterré à Sikasso où il qui a créé le plus gros lycée du Mali. Plongeons dans une guerre perdue…dans cette partie avec : Boko Haram :
Consacrées par les spécialistes de l’antiterrorisme, ces expressions sont censées fournir des solutions aux deux extrémités des crises, avant et après les hostilités. Le problème est qu’elles barrent la route aux options alternatives, quitte à reproduire les travers de l’usage abusif du mot « terrorisme ». La notion de « radicalisation » est en réalité assez réductrice, voire filandreuse. Sa diffusion paraît surtout répondre à un effet de mode. Bien que ses promoteurs s’en défendent, la notion est étroitement associée aux perceptions des décideurs quant à l’impact d’un fanatisme bien spécifique, celui de l’islam dit « radical ».
Elle n’était pas utilisée à propos des terroristes européens des années 1970 et fait implicitement référence aux djihadistes depuis les attentats contre le World Trade Center à New York en 2001. Au Sahel, plus particulièrement, son usage permet d’occulter les causes politiques des insurrections islamistes en se focalisant sur les modalités de recrutement à un niveau individuel, plutôt que de s’intéresser aux raisons profondes d’un basculement communautaire dans la violence. Pourtant, on sait fort bien que les personnes dites «radicales» ne passent pas forcément à l’acte et, inversement, que d’autres peuvent être très violentes sans professer d’idées radicales.
À peine 1 % se base sur des enquêtes de terrain et des entretiens avec les combattants. Les autres consistent plutôt à recycler des matériaux de seconde main et à critiquer des articles déjà parus ! Aujourd’hui, il semble d’ailleurs que les décideurs soient en train de prendre leurs distances avec une notion contestée et contestable. Bien souvent, on parle désormais de désengagement plutôt que de déradicalisation. Certains évoquent aussi des trajectoires de « conversion au terrorisme » pour évoquer un basculement brusque dans la violence, plutôt qu’un lent glissement vers la lutte armée.
En général, on continue néanmoins de parler de radicalisation plutôt que de mobilisation ou d’engagement, notions qui reviendraient à reconnaître le caractère politique du combat djihadiste. Il est vrai que le terme d’engagement peut également prêter à confusion. En effet, le ralliement à des groupes djihadistes n’est pas toujours volontaire, loin de là. Tandis que les captifs sont parfois obligés de combattre avec leurs ravisseurs, notamment les enfants soldats, beaucoup de jeunes prennent en fait les armes afin de fuir la brutalité des forces gouvernementales ; ils n’ont pas trop le choix et n’entretiennent aucune illusion sur les possibilités de réforme sociale à travers une application plus rigoureuse de la charia.
Le décalage est d’autant plus manifeste qu’une amélioration de la gouvernance des alliés africains de la France et de leur réponse militaire au défi djihadiste reste le préalable indispensable à toute sortie de crise. Une gestion plus fine des conflits permettrait par exemple de tirer parti des atrocités commises par les insurgés pour les couper de leur base sociale, plutôt que de les légitimer en brutalisant les civils. En attendant, ce ne sont pas les politiques de dé-radicalisation qui, en Afrique subsaharienne, permettent de limiter la diffusion des idéologies extrémistes en provenance du Moyen-Orient, mais, bien plutôt, le racisme des djihadistes arabes et leur profond mépris pour des Noirs considérés comme des descendants d’esclaves. Dans une vidéo diffusée le 5 mai 2014, le chef du « canal historique » de Boko Haram, Abubakar Shekau, déclarait ainsi qu’il n’accepterait jamais de passer sous les ordres d’un Saoudien.
« Je sais bien que je suis noir, disait-il. Ces salauds d’Arabes trompent le monde sous prétexte qu’ils ont la peau blanche et qu’ils parlent mieux arabe que moi. Mais Boko Haram, c’est ma révolte et je veux seulement suivre la voie du prophète, rien d’autre. » Dans le même ordre d’idées, le leader de la katiba du Macina au Mali courant 2016, Amadou Koufa, devait dénoncer dans un prêche la lâcheté des Wahhabites qui prônaient le djihad tout en refusant d’engager le combat.
Les djihadistes n’hésitent pas à s’entre-tuer lorsqu’ils sont en désaccord sur des questions de stratégies, d’objectifs, de commandements ou de théologies prohibant l’assassinat de civils musulmans. Encore faudrait-il que les alliés de la France au Sahel sachent mieux exploiter ces divisions, plutôt que de succomber aux sirènes et aux financements européens ou américains des programmes de « déradicalisation ».
PRÉVENTION ET DÉ-RADICALISATION
Tchad, région de Bol, mi-2017
Nous errons en brousse aux abords du lac Tchad, quelque part entre Baga Sola et Bol. La nuit ne va pas tarder à tomber et il nous reste peu de temps pour aller à la rencontre des « revenants » de Boko Haram, ces « personnes en situation de reddition », comme disent les humanitaires. On m’a dit pouvoir les trouver dans le camp de Koulkoumé III. I
Enfin nous parvenons au camp de Koulkoumé III. Également appelés « retournés », « repentis » ou « rendus », les « revenants » de Boko Haram sont accroupis sur une natte et nous commençons la discussion sous l’œil intrigué de mon « escorte », un garde armé d’un vieux fusil. Il s’agit de pêcheurs boudouma qui vivaient sur les îles du lac. Un jour, ils ont été approchés par des combattants de Boko Haram qui ne leur ont pas donné d’autre choix que de les rejoindre ou d’être tués. Leur formation militaire et religieuse a été des plus succinctes et ils ont vite été envoyés participer aux attaques de la secte.
Dès qu’ils ont pu, ils ont alors cherché à s’enfuir. Certains craignaient des rétorsions contre leurs familles restées entre les mains des insurgés. D’autres s’inquiétaient du sort que leur réserverait l’armée tchadienne s’ils se rendaient. Ils ont en l’occurrence été désarmés quand ils sont arrivés sur l’île de Kaiga Kindjine. Transférés et placés en détention à Baga Sola, ils ont été longuement interrogés par les services de sécurité et dûment identifiés par les notables de la région. Le préfet de la place, Dimouya Souapebe, m’a raconté qu’il n’a bientôt plus su quoi faire de ces gens.
Maroc, Marrakech, début 2018
L’imam « Abou Hafs » est relativement connu au Maroc. Mohammed Abdelwahab Rafiqi de son vrai nom, il a été accusé d’avoir cautionné les attentats terroristes les plus meurtriers du pays, qui visaient des lieux touristiques à Casablanca en 2003. Au total, il a passé neuf bonnes années en prison, où il a opéré une profonde transformation intérieure et mentale. En 2010, il rejetait publiquement l’usage de la violence ; en 2012, il étaitfinalement gracié par le roi Mohammed VI. À sa sortie de prison, « Abou Hafs », redevenu Mohammed Abdelwahab Rafiqi, a ensuite rejoint une petite formation, Renaissance et Vertu, qui accueillait d’anciens détenus salafistes et qui venait de quitter le giron du parti islamiste Justice et Développement.
« Pas facile, dit-il : j’étais obligé d’être bon élève dans les deux ! » Encore adolescent, il a décidé de partir tout seul à Peshawar faire un grand voyage en Afghanistan. « L’ambassade du Pakistan au Maroc m’a immédiatement octroyé un visa, sans poser la moindre question. On était en 1989-1990. À l’époque, l’Armée rouge était en train de quitter l’Afghanistan mais les moudjahidin continuaient de combattre le régime communiste au pouvoir à Kaboul. Moi, j’avais quinze ans et j’ai tout vu : la guerre, les groupes islamistes à Peshawar.
J’évoquais avec beaucoup d’enthousiasme l’idée d’aller aider les autres peuples musulmans en lutte contre les Américains. Si bien que j’ai rapidement eu des problèmes avec les autorités. J’ai été arrêté une première fois et détenu pendant trois mois. Aussitôt libéré, on m’a de nouveau arrêté et condamné à trois mois de prison. J’étais derrière les barreaux quand se sont produits les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. Je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’on m’accuserait d’avoir soutenu et inspiré les auteurs de ces actes, que j’ai publiquement condamnés.
« Ce n’était pas facile, explique-t-il. J’ai entamé des grèves de la faim pour avoir la permission de faire entrer des livres. Neuf ans, dont sept dans une cellule individuelle, et rien d’autre à faire que de lire, jour et nuit ! Certes, il y avait deux promenades par jour avec les autres détenus, une le matin et une le soir. Mais après, quand les gardiens refermaient la porte de ma cellule, je me retrouvais tout seul. Et moi, comme j’aime beaucoup lire la nuit et que je n’arrivais pas à dormir, je manquais souvent la promenade du matin. C’est le soir que je partageais mes réflexions nocturnes avec les autres prisonniers. Je leur donnais les livres que j’avais fini de lire. Beaucoup de détenus se sont dé-radicalisés grâce à moi. Même des vrais terroristes : des gens qui avaient commis des actes violents. »
A SUIVRE : UN PLACEBO PLUTOT QU’UN VACCIN
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