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 ‘‘Une guerre  perdue au MALI’’ (13) : des inconvénients pratiques de l’obsession religieuse, Prévention et dé-radicalisation

 

Par Marc Antoine  Perouse de Montclos

Ledebativoirien.net traverse toujours ‘‘la France au sahel acte 13: une guerre perdue, dans une pérégrination guidée  par Marc Antoine  Perouse de Montclos, dans  ‘‘une guerre  perdus’’. ‘‘Pourquoi la france doit quitter le mali’’ est dédié à sa mère, infatigable voyageuse décédée des suites d’une longue maladie le 29 décembre 2018. Et aussi à Didier de Montclos, son grand-oncle qu’il a peu connu, enterré à Sikasso où il qui a créé le plus gros lycée du Mali. Plongeons dans  une guerre  perdue…dans cette partie avec des inconvénients pratiques de l’obsession religieuse…

     Les modalités de recrutement des combattants dits djihadistes obligent alors à revenir sur les inconvénients pratiques d’une lecture par trop religieuse des dynamiques insurrectionnelles à travers le Sahel. L’obsession des décideurs politiques et des militaires français quant à la puissance d’attraction et d’endoctrinement du salafisme a en effet conduit à privilégier un traitement du problème en termes de « prévention des violences extrémistes » et de « dé-radicalisation » des esprits. Consacrées par les spécialistes de l’antiterrorisme, ces expressions sont censées fournir des solutions aux deux extrémités des crises, avant et après les hostilités. Le problème est qu’elles barrent la route aux options alternatives, quitte à reproduire les travers de l’usage abusif du mot « terrorisme ».

La notion de « radicalisation » est en réalité assez réductrice, voire filandreuse. Sa diffusion paraît surtout répondre à un effet de mode. Bien que ses promoteurs s’en défendent, la notion est étroitement associée aux perceptions des décideurs quant à l’impact d’un fanatisme bien spécifique, celui de l’islam dit «radical». Elle n’était pas utilisée à propos des terroristes européens des années 1970 et fait implicitement référence aux djihadistes depuis les attentats contre le World Trade Center à New York en 2001. Au Sahel, plus particulièrement, son usage permet d’occulter les causes politiques des insurrections islamistes en se focalisant sur les modalités de recrutement à un niveau individuel, plutôt que de s’intéresser aux raisons profondes d’un basculement communautaire dans la violence.

Pourtant, on sait fort bien que les personnes dites « radicales » ne passent pas forcément à l’acte et, inversement, que d’autres peuvent être très violentes sans professer d’idées radicales. Dans le même ordre d’idées, il arrive que des militants se désengagent d’une lutte armée sans pour autant se dé-radicaliser et renier leurs idées extrémistes : ils quittent plutôt une organisation rebelle en considérant que leurs chefs ont trahi des idéaux révolutionnaires. Publiées pour l’essentiel en anglais, les recherches sur la « radicalisation » ne sont en fait pas très convaincantes. D’après les spécialistes, près de la moitié d’entre elles ne sont pas rigoureuses, tant sur le plan méthodologique qu’empirique.

À peine 1 % se base sur des enquêtes de terrain et des entretiens avec les combattants. Les autres consistent plutôt à recycler des matériaux de seconde main et à critiquer des articles déjà parus ! Aujourd’hui, il semble d’ailleurs que les décideurs soient en train de prendre leurs distances avec une notion contestée et contestable. Bien souvent, on parle désormais de désengagement plutôt que de déradicalisation. Certains évoquent aussi des trajectoires de «conversion au terrorisme » pour évoquer un basculement brusque dans la violence, plutôt qu’un lent glissement vers la lutte armée. En général, on continue néanmoins de parler de radicalisation plutôt que de mobilisation ou d’engagement, notions qui reviendraient à reconnaître le caractère politique du combat djihadiste.

Il est vrai que le terme d’engagement peut également prêter à confusion. En effet, le ralliement à des groupes djihadistes n’est pas toujours volontaire, loin de là. Tandis que les captifs sont parfois obligés de combattre avec leurs ravisseurs, notamment les enfants soldats, beaucoup de jeunes prennent en fait les armes afin de fuir la brutalité des forces gouvernementales ; ils n’ont pas trop le choix et n’entretiennent aucune illusion sur les possibilités de réforme sociale à travers une application plus rigoureuse de la charia. Dans tous les cas, l’impact des doctrines extrémistes doit être relativisé quand on veut comprendre le déroulement des conflits et tenter d’y mettre fin.

Pour l’Élysée, il est évidemment plus facile d’imputer le djihadisme au salafisme, plutôt que de mettre publiquement en cause le rôle des alliés de la France et de leurs forces de sécurité dans le déclenchement et la poursuite des hostilités. Mais une telle approche entérine des politiques antiterroristes qui sont bien trop axées sur les questions religieuses et qui, sous prétexte de vouloir « dé-radicaliser » les esprits, s’interdisent de mettre en œuvre les procédures de démobilisation habituellement utilisées pour terminer les guerres contre-insurrectionnelles. Le décalage est d’autant plus manifeste qu’une amélioration de la gouvernance des alliés africains de la France et de leur réponse militaire au défi djihadiste reste le préalable indispensable à toute sortie de crise.

Une gestion plus fine des conflits permettrait par exemple de tirer parti des atrocités commises par les insurgés pour les couper de leur base sociale, plutôt que de les légitimer en brutalisant les civils. En attendant, ce ne sont pas les politiques de dé-radicalisation qui, en Afrique subsaharienne, permettent de limiter la diffusion des idéologies extrémistes en provenance du Moyen-Orient, mais, bien plutôt, le racisme des djihadistes arabes et leur profond mépris pour des Noirs considérés comme des descendants d’esclaves.

Dans une vidéo diffusée le 5 mai 2014, le chef du « canal historique » de Boko Haram, Abubakar Shekau, déclarait ainsi qu’il n’accepterait jamais de passer sous les ordres d’un Saoudien. « Je sais bien que je suis noir, disait-il. Ces salauds d’Arabes trompent le monde sous prétexte qu’ils ont la peau blanche et qu’ils parlent mieux arabe que moi. Mais Boko Haram, c’est ma révolte et je veux seulement suivre la voie du prophète, rien d’autre. » Dans le même ordre d’idées, le leader de la katiba du Macina au Mali courant 2016, Amadou Koufa, devait dénoncer dans un prêche la lâcheté des Wahhabites qui prônaient le djihad tout en refusant d’engager le combat.

«Ce sont soit des peureux soit des hypocrites au service des Français», concluait-il. Au sein de la nébuleuse djihadiste, les conflits entre «peaux noires» et « teints clairs» ont également provoqué des dissensions. En témoignent la dissidence des Mauritaniens du MUJAO par rapport aux Algériens d’AQMI en 2011 ou le schisme en 2012 de Boko Haram entre la faction internationaliste d’Ansaru, proche d’al-Qaïda, et la mouvance locale d’Abubakar Shekau, héritière d’une secte recrutant surtout en pays kanouri dans le Borno. De ce point de vue, il apparaît que les rivalités internes aux mouvements insurrectionnels peuvent constituer un moyen efficace d’enrayer leur capacité d’action.

Les djihadistes n’hésitent pas à s’entre-tuer lorsqu’ils sont en désaccord sur des questions de stratégies, d’objectifs, de commandements ou de théologies prohibant l’assassinat de civils musulmans. Encore faudrait-il que les alliés de la France au Sahel sachent mieux exploiter ces divisions, plutôt que de succomber aux sirènes et aux financements européens ou américains des programmes de « déradicalisation».

Prévention et dé-radicalisation-Tchad, région de Bol, mi-2017

Nous errons en brousse aux abords du lac Tchad, quelque part entre Baga Sola et Bol. La nuit ne va pas tarder à tomber et il nous reste peu de temps pour aller à la rencontre des « revenants » de Boko Haram, ces « personnes en situation de reddition », comme disent les humanitaires. On m’a dit pouvoir les trouver dans le camp de Koulkoumé III. Il n’y a pas de GPS pour localiser l’endroit, pas plus évidemment que d’indications ou de panneaux de signalisation. Les dunes sont sablonneuses mais le terrain reste suffisamment dur pour que notre Land Cruiser puisse les franchir sans trop de difficultés.

De temps en temps, on aperçoit des gazelles. C’est presque beau, même si le lac, peu profond, ne paie pas de mine. Enfin nous parvenons au camp de Koulkoumé III. Également appelés « retournés », « repentis » ou « rendus », les « revenants » de Boko Haram sont accroupis sur une natte et nous commençons la discussion sous l’œil intrigué de mon « escorte », un garde armé d’un vieux fusil. Il s’agit de pêcheurs boudouma qui vivaient sur les îles du lac. Un jour, ils ont été approchés par des combattants de Boko Haram qui ne leur ont pas donné d’autre choix que de les rejoindre ou d’être tués.

Leur formation militaire et religieuse a été des plus succinctes et ils ont vite été envoyés participer aux attaques de la secte. Dès qu’ils ont pu, ils ont alors cherché à s’enfuir. Certains craignaient des rétorsions contre leurs familles restées entre les mains des insurgés. D’autres s’inquiétaient du sort que leur réserverait l’armée tchadienne s’ils se rendaient. Ils ont en l’occurrence été désarmés quand ils sont arrivés sur l’île de Kaiga Kindjine. Transférés et placés en détention à Baga Sola, ils ont été longuement interrogés par les services de sécurité et dûment identifiés par les notables de la région.

Le préfet de la place, Dimouya Souapebe, m’a raconté qu’il n’a bientôt plus su quoi faire de ces gens. Les conscrits boudouma de Boko Haram étaient tout à la fois des victimes et des auteurs de violences. Il a donc décidé de les installer dans le lycée momentanément laissé vacant par les civils qui avaient fui les combats. Personne ne se préoccupait de nourrir les «revenants ». Il a fallu solliciter la générosité des commerçants locaux pour leur apporter des vivres. Au bout de six mois, Dimouya Souapebe a finalement décidé de relâcher les anciens combattants de Boko Haram. Il n’y eut pas de procès, pas de programmes de dé-radicalisation, pas de tentatives de rééducation de gens qui n’avaient en fait jamais été endoctrinés. Les « revenants » boudouma de Boko Haram sont simplement repartis aux abords du lac en espérant qu’on leur donnerait des bateaux pour pouvoir recommencer à pêcher.

Maroc, Marrakech, début 2018

L’imam « Abou Hafs » est relativement connu au Maroc. Mohammed Abdelwahab Rafiqi de son vrai nom, il a été accusé d’avoir cautionné les attentats terroristes les plus meurtriers du pays, qui visaient des lieux touristiques à Casablanca en 2003. Au total, il a passé neuf bonnes années en prison, où il a opéré une profonde transformation intérieure et mentale. En 2010, il rejetait publiquement l’usage de la violence ; en 2012, il était finalement gracié par le roi Mohammed VI. À sa sortie de prison, « Abou Hafs », redevenu Mohammed Abdelwahab Rafiqi, a ensuite rejoint une petite formation, Renaissance et Vertu, qui accueillait d’anciens détenus salafistes et qui venait de quitter le giron du parti islamiste Justice et Développement.

Il s’est proposé de lutter contre les extrémismes religieux et s’est progressivement mué en imam libéral, aujourd’hui décrié par ses amis d’autrefois parce qu’il préconise de partager les héritages à égalité entre femmes et hommes. D’une certaine manière, Mohammed Abdelwahab Rafiqi fait figure de modèle pour les partisans des programmes de dé-radicalisation qui visent à dés-endoctriner les djihadistes en prison. Il me raconte son histoire dans un français parfait. Fils unique, il est né dans une famille salafiste qui l’avait destiné à devenir imam. Il a suivi ses études à la fois à l’école coranique et à l’école publique, d’abord à Casablanca, puis à Fès. « Pas facile, dit-il : j’étais obligé d’être bon élève dans les deux ! »

Encore adolescent, il a décidé de partir tout seul à Peshawar faire un grand voyage en Afghanistan. « L’ambassade du Pakistan au Maroc m’a immédiatement octroyé un visa, sans poser la moindre question. On était en 1989-1990. À l’époque, l’Armée rouge était en train de quitter l’Afghanistan mais les moudjahidin continuaient de combattre le régime communiste au pouvoir à Kaboul. Moi, j’avais quinze ans et j’ai tout vu : la guerre, les groupes islamistes à Peshawar. Tout ! J’ai tout vu ! Mes camarades m’ont accueilli en héros quand je suis revenu au Maroc terminer mes études. J’étais un élève brillant et j’ai voulu me spécialiser dans une branche scientifique, la physique-chimie. Mais mon père n’était pas d’accord. Il a voulu que je continue mon cursus religieux. Alors je suis allé quatre ans en Arabie saoudite étudier à l’université islamique de Médine. »

De retour au Maroc, « Abou Hafs» s’installe à Fès et commence à prêcher. Jeune et idéaliste, il devient vite populaire. « Des milliers de gens venaient m’écouter. Je n’étais pas un djihadiste pur et dur. Je ne préconisais pas le djihad au Maroc, qui est déjà un pays musulman. Mais je parlais du djihad mondial en Afghanistan, aux Philippines, etc. J’évoquais avec beaucoup d’enthousiasme l’idée d’aller aider les autres peuples musulmans en lutte contre les Américains. Si bien que j’ai rapidement eu des problèmes avec les autorités. J’ai été arrêté une première fois et détenu pendant trois mois.

Aussitôt libéré, on m’a de nouveau arrêté et condamné à trois mois de prison. J’étais derrière les barreaux quand se sont produits les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. Je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’on m’accuserait d’avoir soutenu et inspiré les auteurs de ces actes, que j’ai publiquement condamnés. Quand je parlais du djihad et de l’Afghanistan, je faisais référence à al-Qaïda, à Oussama Ben Laden, aux attentats du 11 Septembre contre les États-Unis. Mais je ne pensais pas au Maroc. » Les attentats de Casablanca ont en l’occurrence fait 43 morts, dont trois Français et deux Espagnols. Ils ont choqué la société marocaine et provoqué une vague de répression contre les milieux fondamentalistes.

« Abou Hafs » a beau proclamer son innocence, il écope d’une peine de trente ans : une erreur judiciaire, comme le gouvernement le reconnaîtra bien plus tard. Placé en détention à Casablanca et à Rabat, puis en cellule individuelle à Fès, il se met à lire beaucoup. « Ce n’était pas facile, explique-t-il. J’ai entamé des grèves de la faim pour avoir la permission de faire entrer des livres. Neuf ans, dont sept dans une cellule individuelle, et rien d’autre à faire que de lire, jour et nuit !

Certes, il y avait deux promenades par jour avec les autres détenus, une le matin et une le soir. Mais après, quand les gardiens refermaient la porte de ma cellule, je me retrouvais tout seul. Et moi, comme j’aime beaucoup lire la nuit et que je n’arrivais pas à dormir, je manquais souvent la promenade du matin. C’est le soir que je partageais mes réflexions nocturnes avec les autres prisonniers. Je leur donnais les livres que j’avais fini de lire. Beaucoup de détenus se sont dé-radicalisés grâce à moi. Même des vrais terroristes : des gens qui avaient commis des actes violents. »

A SUIVRE :UN PLACEBO PLUTOT QU’UN VACCIN

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