Par Marc Antoine Perouse de Montclos
Ledebativoirien.net traverse toujours ‘‘la France au sahel acte 13: une guerre perdue, dans une pérégrination guidée par Marc Antoine Perouse de Montclos, dans ‘‘une guerre perdus’’. ‘‘Pourquoi la france doit quitter le mali’’ est dédié à sa mère, infatigable voyageuse décédée des suites d’une longue maladie le 29 décembre 2018. Et aussi à Didier de Montclos, son grand-oncle qu’il a peu connu, enterré à Sikasso où il qui a créé le plus gros lycée du Mali. Plongeons dans une guerre perdue…dans cette partie avec des inconvénients pratiques de l’obsession religieuse…
Pourtant, on sait fort bien que les personnes dites « radicales » ne passent pas forcément à l’acte et, inversement, que d’autres peuvent être très violentes sans professer d’idées radicales. Dans le même ordre d’idées, il arrive que des militants se désengagent d’une lutte armée sans pour autant se dé-radicaliser et renier leurs idées extrémistes : ils quittent plutôt une organisation rebelle en considérant que leurs chefs ont trahi des idéaux révolutionnaires. Publiées pour l’essentiel en anglais, les recherches sur la « radicalisation » ne sont en fait pas très convaincantes. D’après les spécialistes, près de la moitié d’entre elles ne sont pas rigoureuses, tant sur le plan méthodologique qu’empirique.
Il est vrai que le terme d’engagement peut également prêter à confusion. En effet, le ralliement à des groupes djihadistes n’est pas toujours volontaire, loin de là. Tandis que les captifs sont parfois obligés de combattre avec leurs ravisseurs, notamment les enfants soldats, beaucoup de jeunes prennent en fait les armes afin de fuir la brutalité des forces gouvernementales ; ils n’ont pas trop le choix et n’entretiennent aucune illusion sur les possibilités de réforme sociale à travers une application plus rigoureuse de la charia. Dans tous les cas, l’impact des doctrines extrémistes doit être relativisé quand on veut comprendre le déroulement des conflits et tenter d’y mettre fin.
Une gestion plus fine des conflits permettrait par exemple de tirer parti des atrocités commises par les insurgés pour les couper de leur base sociale, plutôt que de les légitimer en brutalisant les civils. En attendant, ce ne sont pas les politiques de dé-radicalisation qui, en Afrique subsaharienne, permettent de limiter la diffusion des idéologies extrémistes en provenance du Moyen-Orient, mais, bien plutôt, le racisme des djihadistes arabes et leur profond mépris pour des Noirs considérés comme des descendants d’esclaves.
«Ce sont soit des peureux soit des hypocrites au service des Français», concluait-il. Au sein de la nébuleuse djihadiste, les conflits entre «peaux noires» et « teints clairs» ont également provoqué des dissensions. En témoignent la dissidence des Mauritaniens du MUJAO par rapport aux Algériens d’AQMI en 2011 ou le schisme en 2012 de Boko Haram entre la faction internationaliste d’Ansaru, proche d’al-Qaïda, et la mouvance locale d’Abubakar Shekau, héritière d’une secte recrutant surtout en pays kanouri dans le Borno. De ce point de vue, il apparaît que les rivalités internes aux mouvements insurrectionnels peuvent constituer un moyen efficace d’enrayer leur capacité d’action.
Les djihadistes n’hésitent pas à s’entre-tuer lorsqu’ils sont en désaccord sur des questions de stratégies, d’objectifs, de commandements ou de théologies prohibant l’assassinat de civils musulmans. Encore faudrait-il que les alliés de la France au Sahel sachent mieux exploiter ces divisions, plutôt que de succomber aux sirènes et aux financements européens ou américains des programmes de « déradicalisation».
Prévention et dé-radicalisation-Tchad, région de Bol, mi-2017
De temps en temps, on aperçoit des gazelles. C’est presque beau, même si le lac, peu profond, ne paie pas de mine. Enfin nous parvenons au camp de Koulkoumé III. Également appelés « retournés », « repentis » ou « rendus », les « revenants » de Boko Haram sont accroupis sur une natte et nous commençons la discussion sous l’œil intrigué de mon « escorte », un garde armé d’un vieux fusil. Il s’agit de pêcheurs boudouma qui vivaient sur les îles du lac. Un jour, ils ont été approchés par des combattants de Boko Haram qui ne leur ont pas donné d’autre choix que de les rejoindre ou d’être tués.
Le préfet de la place, Dimouya Souapebe, m’a raconté qu’il n’a bientôt plus su quoi faire de ces gens. Les conscrits boudouma de Boko Haram étaient tout à la fois des victimes et des auteurs de violences. Il a donc décidé de les installer dans le lycée momentanément laissé vacant par les civils qui avaient fui les combats. Personne ne se préoccupait de nourrir les «revenants ». Il a fallu solliciter la générosité des commerçants locaux pour leur apporter des vivres. Au bout de six mois, Dimouya Souapebe a finalement décidé de relâcher les anciens combattants de Boko Haram. Il n’y eut pas de procès, pas de programmes de dé-radicalisation, pas de tentatives de rééducation de gens qui n’avaient en fait jamais été endoctrinés. Les « revenants » boudouma de Boko Haram sont simplement repartis aux abords du lac en espérant qu’on leur donnerait des bateaux pour pouvoir recommencer à pêcher.
Maroc, Marrakech, début 2018
Il s’est proposé de lutter contre les extrémismes religieux et s’est progressivement mué en imam libéral, aujourd’hui décrié par ses amis d’autrefois parce qu’il préconise de partager les héritages à égalité entre femmes et hommes. D’une certaine manière, Mohammed Abdelwahab Rafiqi fait figure de modèle pour les partisans des programmes de dé-radicalisation qui visent à dés-endoctriner les djihadistes en prison. Il me raconte son histoire dans un français parfait. Fils unique, il est né dans une famille salafiste qui l’avait destiné à devenir imam. Il a suivi ses études à la fois à l’école coranique et à l’école publique, d’abord à Casablanca, puis à Fès. « Pas facile, dit-il : j’étais obligé d’être bon élève dans les deux ! »
De retour au Maroc, « Abou Hafs» s’installe à Fès et commence à prêcher. Jeune et idéaliste, il devient vite populaire. « Des milliers de gens venaient m’écouter. Je n’étais pas un djihadiste pur et dur. Je ne préconisais pas le djihad au Maroc, qui est déjà un pays musulman. Mais je parlais du djihad mondial en Afghanistan, aux Philippines, etc. J’évoquais avec beaucoup d’enthousiasme l’idée d’aller aider les autres peuples musulmans en lutte contre les Américains. Si bien que j’ai rapidement eu des problèmes avec les autorités. J’ai été arrêté une première fois et détenu pendant trois mois.
Aussitôt libéré, on m’a de nouveau arrêté et condamné à trois mois de prison. J’étais derrière les barreaux quand se sont produits les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. Je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’on m’accuserait d’avoir soutenu et inspiré les auteurs de ces actes, que j’ai publiquement condamnés. Quand je parlais du djihad et de l’Afghanistan, je faisais référence à al-Qaïda, à Oussama Ben Laden, aux attentats du 11 Septembre contre les États-Unis. Mais je ne pensais pas au Maroc. » Les attentats de Casablanca ont en l’occurrence fait 43 morts, dont trois Français et deux Espagnols. Ils ont choqué la société marocaine et provoqué une vague de répression contre les milieux fondamentalistes.
Certes, il y avait deux promenades par jour avec les autres détenus, une le matin et une le soir. Mais après, quand les gardiens refermaient la porte de ma cellule, je me retrouvais tout seul. Et moi, comme j’aime beaucoup lire la nuit et que je n’arrivais pas à dormir, je manquais souvent la promenade du matin. C’est le soir que je partageais mes réflexions nocturnes avec les autres prisonniers. Je leur donnais les livres que j’avais fini de lire. Beaucoup de détenus se sont dé-radicalisés grâce à moi. Même des vrais terroristes : des gens qui avaient commis des actes violents. »
A SUIVRE :UN PLACEBO PLUTOT QU’UN VACCIN
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