Geoffroy-Julien KOUAO- Dans une interview fleuve accordée au quotidien l’Inter N° 7215 du mercredi 27 juillet 2022, le député de Koumassi fait l’apologie de la polygamie. Ce n’est pas surprenant, et c’est légitime. Il est l’initiateur de la proposition de loi relative à la polygamie. Cependant, l’argumentaire du parlementaire soulève quelques observations d’ordre juridique.
Pour lui, la polygamie est une valeur culturelle usitée en Côte d’Ivoire à laquelle il faut donnée une forme légale. Pour les besoins de son argumentation, il convoque le préambule de la constitution ivoirienne du 8 novembre 2016 : «Nous peuple de Côte d’Ivoire,…affirmons notre attachement au respect de nos valeurs culturelles, spirituelles et morales…». La démarche méthodologique est formellement respectable, mais factuellement critiquable.
Non, monsieur le député, la polygamie n’est pas une valeur culturelle, elle est une infraction. Nuance. En effet, selon l’article 455 du code pénal : «Qquiconque étant engagé dans les liens du mariage en contracte un autre avant la dissolution du précédent est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 50.000 francs à 500.000 francs». C’est l’infraction de bigamie. Mariage sur mariage ne vaut. Quant à l’article 456 du même code, il dispose que: «Sont punis d’un emprisonnement de deux mois à un an, le mari ou la femme convaincu d’adultère, ainsi que son complice», c’est l’infraction d’adultère.
Quand le député affirme que: «Aujourd’hui, toutes les couches sociales pratiquent la polygamie. Vous trouverez de hauts cadres de l’administration polygames, des paysans polygames, des mécaniciens polygames», il met en lumière des comportements illégaux pénalement sanctionnés. Ces personnes sont en conflit avec la loi. De ce qui précède, en Côte d’Ivoire, du strict point de vue du droit, il n’ya pas de foyer polygame, parce que la polygamie est juridiquement interdite. En effet, l’article 1 de la loi relative au mariage dispose que : «Le mariage est l’union d’un homme et d’une femme célébrée par devant l’officier de l’état civil».
Cette disposition légale consacre le mariage monogamique exclusion faite de la polygamie. Et l’article 3 de la loi suscitée est clair « Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent constatée soit par une décision devenue définitive, soit par un acte de décès». Le mariage, en Côte d’ivoire, est célébré par l’officier de l’état civil, c’est-à-dire, par le maire, le préfet ou le sous-préfet. Tout mariage célébré par une autre autorité prend valeur d’un acte inexistant. Un acte qui n’a jamais été.
A l’analyse, la polygamie relève du fait, et non du droit. Pis, c’est une infraction, car constitue une violation du devoir de fidélité entre époux. En effet, selon l’article 45 de la loi sur le mariage « les époux s’obligent à la communauté de vie, ils se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.» l’infidélité est l’une des causes du divorce, et la polygamie est, jus strictum, un acte d’infidélité, ni plus ni moins.
L’initiateur de la proposition de loi relative à la polygamie affirme : «La loi de 1964 impose à la Côte d’Ivoire un régime monogamique. Sauf que ce régime n’est pas respecté de sorte que cette loi est violée constamment par nos compatriotes. Malheureusement, cette violation n’est pas sanctionnée. Cela veut dire que la population s’accommode du fait qu’un homme puisse plusieurs femmes». Le constat est juste, la solution l’est moins. La polygamie, qui est un acte d’infidélité voire d’adultère, n’est pas sanctionnée parce que la qualité d’agir en justice est réservée au seul conjoint.
L’alinéa 2 de l’article 456 du code pénal ivoirien dispose que : «Les poursuites ne peuvent être engagées que sur plainte du conjoint offensé. La connivence ou le pardon du conjoint offensé empêche ou arrête toute poursuite et le conjoint offensé reste maître d’arrêter l’effet de la condamnation prononcée contre l’autre conjoint, en acceptant de rendre la vie commune». Le souci de préserver l’honneur et l’intérêt de la famille dissuade, parfois sinon souvent, le mari ou la femme cocu (e) à porter plainte. La proposition de révision à faire ici est d’étendre la qualité à agir au ministère public et à toute personne qui y a intérêt.
Par ailleurs, est un fait marginal au niveau mondial. En effet, seulement 2% de la population mondiale vit dans des foyers polygames, et dans une large majorité de pays, cette proportion est inférieure à 0.5%, selon le Pew Research Center portant sur 130 pays et territoires. La polygamie est interdite en Turquie depuis 1926, en Tunisie par une loi de 1956. Deux Etats musulmans. En Afrique de l’ouest, la polygamie est en net recul dans les pays où elle est légalisée.
Au Sénégal, selon l’agence nationale de la statistique et de la démographie, 38% des ménages se déclaraient polygames en 2002 contre 35, 2 en 2013, environ 32% en 2020. En Guinée, c’est la même tendance, 53,1% des personnes mariées vivaient en union polygame contre 47% en 2013 et 42% en 2021. Au Nigeria, la polygamie est interdite par la législation fédérale, seuls 12 Etats fédérés sur 36 l’appliquent.
A l’observation, la proposition de loi du député de Koumassi tente d’instaurer une pratique sociale en voie de disparition. La commission des droits de l’homme de l’ONU et le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes estiment que les mariages polygames constituent une discrimination vis-à-vis des femmes et recommandent leur interdiction.
Au-delà du système des nations-unies, la proposition de loi relative à la polygamie écorne frontalement l’esprit et la lettre de l’article 4 de la loi fondamentale ivoirienne : «Tous les ivoiriens naissent libres et égaux en droit. Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison…de son sexe…». Oui, la polygamie (polygynie) est une discrimination en faveur du sexe masculin au détriment du sexe féminin, c’est un privilège pour l’homme, une pesanteur pour la femme.
Pour finir, c’est avec la loi qu’on change la société. La loi a un but progressiste, non l’inverse. Est-ce que l’instauration de la polygamie dans notre droit positif est un progrès social ? Evidemment, que non. La légalisation de la polygamie en Côte d’ivoire prendrait valeur d’un recul juridique et social». Par Geoffroy-Julien KOUAO (Politologue et essayiste, auteur de six essais dont : «Violences électorales et apologie de l’impolitique, faut-il désespérer de la Côte d’Ivoire?»
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