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Enquête Cote d’Ivoire Mali: de Gao à Abidjan, l’histoire de Ben Moctar, le broker qui chuchote à l’oreille du palais d’Abidjan

Figure discrète des antichambres des palais présidentiels ouestafricains depuis deux décennies, Ben Moctar Maouloud est devenu un intermédiaire incontournable à Abidjan. L’homme d’affaires malien aux mille réseaux y est désormais impliqué dans tous les grands contrats militaires.

‘‘Africa Intelligence’’ a retracé le parcours d’un des personnages les plus secrets du Sahel. L’homme d’affaires malien aux mille réseaux, Ben Moctar Maouloud, est devenu un intermédiaire incontournable à Abidjan. Claire Seichepine/Studio Pachamama A Abidjan, tout le gotha de la politique et des affaires connaît « Ben » ou en a entendu parler. L’alias de ce quinquagénaire venu du nord du Mali se murmure sur le ton de la fausse confidence, un secret connu de tous à néanmoins préserver.

Comme si cet homme de l’ombre et de réseaux pouvait faire et défaire des contrats, des réputations et des liens avec les familles au pouvoir en Afrique de l’Ouest. Au bord de la lagune Ebrié, Ben Moctar Maouloud, c’est son nom, opère dans la construction et la diplomatie parallèle, la fourniture d’engrais et de renseignement. Depuis peu, cet intrigant – dont il n’existe aucune photographie publique – négocie des hélicoptères, des drones, des blindés et des cargaisons de fusils d’assaut pour les forces de sécurité ivoiriennes dont il est devenu l’incontournable courtier en équipement militaire.

Une nouvelle activité développée grâce à des liens patiemment tissés avec le ministre de la défense, Téné Birahima Ouattara. « Vieux Maouloud », comme on l’appelle à Gao, a courtisé le frère cadet du président ivoirien Alassane Ouattara, qui l’apprécie autant que les oracles et prières des marabouts de sa tribu Tadjakant réputés dans toute la région. L’emprise spirituelle fait partie des nombreux leviers dont il dispose pour s’immiscer, depuis deux décennies, dans les antichambres du pouvoir.

Enfant de Gao

Et pourtant, rien ne prédestinait le jeune Ben Moctar Maouloud à se faire une place comme celle de factotum des puissants. A Gao, son enfance fut modeste, dans le giron de son père Mohamed Maouloud, un parent de Mohamed Lamine Ben Barka, futur PDG de l’agence de travaux publics malienne Agetipe. Il côtoie les enfants de patriciens de la ville, comme Soumeylou Boubèye Maïga et son petit frère, Tiégoum. Ben Moctar Maouloud délaisse rapidement l’école pour la débrouille et les chemins de traverse. Il est d’abord « coxeur », puis grouillot au service de chauffeurs de camions de Mohamed Chleïh, dit Koutey, un grand commerçant tadjakant de Gao dont les véhicules sillonnent toute l’Afrique de l’Ouest.

Il découvre l’univers des nomades du bitume, des carambouilles de la route et de la contrebande. Une brouille sur fond de différend financier viendra mettre fin à sa collaboration avec Koutey. Ben Moctar Maouloud rêve déjà d’affaires, d’aventures et de pouvoir. Gao, ses mystiques, ses grands commerçants et ses trafiquants transfrontaliers ne lui suffisent plus. Il descend à Bamako. La ville sera son nouveau territoire de conquête.

Il y retrouve des amis d’enfance issus de l’aristocratie tadjakant et vivote de petits business, puis de négoce de voitures et d’engrais en maintenant le lien avec les contrebandiers de Gao.  Lorsque la rébellion touarègue éclate en 1994, la milice Ganda Koy créée par les autorités s’attaque aux commerçants du Nord. Contraint de fuir, Ben Moctar Maouloud s’établit brièvement à Niamey, où il se reconstitue un réseau d’affaires informel.

Le « neveu » de Chafi

Son père le confie au fils d’un parent, un cousin très discret et bien introduit dans les cercles du pouvoir : Moustapha Limam Chafi. Ce dernier est de retour du Tchad, où il a soutenu Goukouni Oueddei. Il s’active désormais au Niger pour faciliter les tractations entre son ami Mano Dayak, chef de la rébellion touarègue, et le gouvernement. Par respect pour leurs pères respectifs, il prend Ben Moctar Maouloud sous son aile, le loge dans l’une de ses maisons à Ouagadougou, où Chafi s’est mis au service du président Blaise Compaoré (1987-2014).

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Il initie celui qu’il présente comme son « neveu » aux arcanes de la diplomatie officieuse, où s’entremêlent services secrets, trafiquants, hommes d’affaires, politiciens et rebelles. Parfois, « Ben » est dépêché par son mentor en Libye pour porter des messages à Mouammar Kadhafi et sillonner la région. A Bamako, la rébellion touarègue est provisoirement contenue et le nouveau président, Amadou Toumani Touré (ATT), ravive l’espoir de Maliens las du règne de Moussa Traoré (1968-1991). Ben Moctar Maouloud rentre au pays. A Bamako, avec l’aide de Chafi et de ses réseaux de Gao, il se rapproche du nouvel homme fort du pays et de la première dame, Touré Lobbo Traoré.

Très vite, il se rend indispensable auprès de cette dernière à laquelle il offre ses services et avec qui il se montre particulièrement généreux. Dans le même temps, il contribue au financement de la campagne victorieuse d’ATT en 2002. Une aide récompensée par l’attribution d’une myriade de marchés à ses entreprises Partenaire agricole, Société malienne d’approvisionnement (SMA) et Souad Distribution. Que ce soit dans l’importation de produits agroalimentaires – souvent exonérés de taxes – ou la fourniture de véhicules civils pour le ministère de la défense et de la sécurité, Ben Moctar Maouloud rafle les contrats.

Le chef de l’Etat lui permet de s’enrichir et en fait un conseiller officieux, particulièrement consulté sur la montée de l’insécurité dans le nord du pays. Il invite à dîner presque chaque semaine ce natif du nord du Mali qui le fascine et qui finit par demander la main de sa fille, Mabo Touré. Si le président apprécie la verve et le charisme de Ben Moctar Maouloud, il se méfie toutefois de ses intentions et s’oppose à ce mariage.

La connexion marocaine

En cette première décennie des années 2000, Ben Moctar Maouloud a changé de monde et goûté au faste des palais présidentiels et des coteries de cour. Il n’a pas pour autant rompu avec l’écosystème de Gao, désormais bouleversé par l’émergence d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) et des grands trafiquants de drogue. Il a compris que son entregent pouvait servir de plusieurs façons. Au cours de ses pérégrinations aux côtés de Chafi, il a rencontré le maître-espion marocain Yassine Mansouri, patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED).

Ses services s’intéressent aux renseignements détenus par Ben Moctar Maouloud. En contrepartie, le petit « relais » de la DGED convoite des partenariats avec des sociétés marocaines. En 2009, le nom de Ben Moctar Maouloud surgit dans les rapports des services de renseignement maliens et de leurs partenaires occidentaux. Il est soupçonné d’avoir servi de « point de contact » dans l’affaire dite « Air cocaïne » : un Boeing 727 chargé de poudre blanche avait atterri sur une piste dans la zone désertique de Tarkint, avant d’être incendié.

ATT s’implique alors pour son protégé et pour des barons présumés de la drogue, tel l’édile de Tarkint, Baba Ould Cheikh, qu’il charge de négocier avec AQMI la libération d’otages européens. Début 2012, c’est au tour de Ben Moctar Maouloud de s’essayer à la médiation, avec les chefs touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) dont le dessein d’indépendance est renforcé par le retour de Libye de combattants orphelins de Kadhafi. En mars de cette année-là, ATT est renversé par le capitaine Amadou Haya Sanogo.

Suspecté par les putschistes d’accointances avec les rebelles touaregs du Nord, les grands trafiquants et des éléments affiliés à des groupes djihadistes, Ben Moctar Maouloud craint pour sa sécurité. Avec l’aide de l’ambassadeur du Burkina Faso au Mali, Sanné Mohamed Topan, il s’enfuit en Côte d’Ivoire et s’établit à Abidjan.

Au bord de la lagune Ebrié, Chafi l’accueille et l’intègre dans son réseau qui mène au plus haut sommet de l’Etat. Il retrouve Guillaume Soro, ancien rebelle croisé naguère chez Chafi à Ouagadougou, tout juste nommé président de l’assemblée nationale, ainsi que de nombreux autres Sahéliens, obligés de Compaoré, de passage ou en exil. Parfaitement à son aise dans cette Afrique francophone flamboyante, « Ben » éprouve son talent pour identifier les bien-nés à l’avenir politique assuré, ainsi que leurs failles.

L’aventure ivoirienne

Au puissant ministre de l’intérieur et de la sécurité Hamed Bakayoko, il préfère le ministre des affaires présidentielles d’alors, Téné Birahima Ouattara, avec lequel il souhaite nouer une relation durable. Le frère du président se laisse séduire par ses récits parsemés d’informations précieuses sur la situation dans le nord du Mali, son sens des affaires et les incantations protectrices psalmodiées par des marabouts spécialement conviés de Gao.

Renseignement, emprise spirituelle, entrisme politique… Ben Moctar Maouloud n’omet pas pour autant le business. Il relocalise à Abidjan Souad Distribution et SMA, deux de ses entreprises jusque-là enregistrées à Bamako. Il développe également ses affaires dans le transit de conteneurs au port d’Abidjan et dans le transport avec sa kyrielle de camions. Peu à peu, il s’affranchit de Chafi. Ce dernier ne s’est pas méfié des velléités de son « neveu », qui mène désormais grand train et côtoie l’élite politique ivoirienne. Dans ces cénacles, « Ben » se met à vilipender l’homme qui l’a formé à la demande de son père et qui lui a ouvert les portes des palais présidentiels. La trahison précipite – jusqu’à ce jour – la rupture entre les deux hommes. Ben Moctar Maouloud va poursuivre, seul et dans l’ombre, sa quête de pouvoir, d’argent et d’influence.

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Homme aux mille réseaux

Il n’oublie pas son Mali natal, dirigé depuis 2013 par le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Comme il l’avait fait avec ATT, Ben Moctar Maouloud tente de gagner la confiance de la première dame, Aminata Maïga Keïta, une parente éloignée, originaire de la région de Gao, à qui il propose ses services et offre des présents. Il a pris langue avec son fils, Karim Keïta, de dix ans son cadet, qui aime les affaires, apprécie ses cadeaux luxueux et l’appelle volontiers « Koro » (« grand frère »). Il tente aussi sa chance auprès du neveu d’IBK, Moustapha Ben Barka, alors ministre délégué auprès du ministre de l’économie, chargé de la promotion des investissements et de l’initiative privée.

Il renoue également avec son voisin à Gao, Soumeylou Boubèye Maïga, ancien patron de la DGSE malienne devenu ministre de la défense puis chef du gouvernement. Il lui fait livrer une Range Rover dernier cri avec chauffeur pour le conduire dans Abidjan lors du cinquième sommet Union africaine- Union européenne, en novembre 2017. A défaut d’obtenir une audience avec IBK, qui se méfie de sa cupidité et le tient à l’écart, Ben Moctar Maouloud se met au service de la délégation malienne tout en soignant la représentation marocaine et les hommes de Mansouri, qui accompagnent le roi Mohammed VI.

  Trois mois plus tard, il fait de même, cette fois à Rabat, où il s’invite en marge des réunions officielles entre le ministre malien des affaires étrangères, Tiéman Hubert Coulibaly, et son homologue marocain, Nasser Bourita, distribuant aux collaborateurs de ce dernier des pots de miel du Mali. Cette attitude agace au plus haut point Coulibaly, qui s’en ouvre à ses interlocuteurs du royaume. En vain. A Rabat, Ben Moctar Maouloud est devenu un partenaire du groupe OCP (ancien Office chérifien des phosphates), pour lequel il facilite l’obtention de contrats pour la fourniture d’engrais livrés par navire en Afrique de l’Ouest francophone.

Intermédiaire de marque

A Abidjan, sa proximité avec Téné Birahima Ouattara, dit « Photocopie » – resté fidèle aux prédications des marabouts tadjakant – finit par porter ses fruits. Guidée par Ben Moctar Maouloud, la société marocaine TGCC s’est vu octroyer cette année un contrat pour la construction de quatre hôpitaux militaires et une école de santé en Côte d’Ivoire (AI du 21/02/22). C’est l’un des plus importants marchés prévus par la loi de programmation militaire 2016-2020 du pays.

L’homme d’affaires de Gao, où il n’est pas retourné depuis le coup d’Etat de Sanogo, s’est mué en courtier en équipement militaire. Avec ses sociétés SMA et Souad Distribution, il rafle de nombreux contrats d’équipements militaires et logistiques des forces de sécurité ivoiriennes. Le ministre du budget et du portefeuille de l’Etat, Moussa Sanogo, de même que le directeur de cabinet de la présidence et secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité (CNS), Fidèle Sarassoro, sont des interlocuteurs réguliers.

Avant la présidentielle d’octobre 2020, « Ben » le broker s’était vu passer commande de matériel, finalement jamais livré, et d’armes automatiques de fabrication chinoise qui se sont révélées défectueuses. Ces événements ont provoqué l’ire de certains généraux désireux de briser son quasi-monopole. Ils ont aussi irrité « Photocopie », à qui des fournisseurs ont révélé l’existence d’impayés de Ben Moctar Maouloud. Ce dernier n’a toutefois pas été inquiété par la justice. Son influence lui vaut le surnom de « vice-ministre de la défense ».

Qu’importent les récentes protestations de hauts gradés, comme le général Alexandre Apalo Touré, commandant supérieur de la gendarmerie, qui dénonçait dans un rapport à sa hiérarchie la réception d’armement défaillant, Ben Moctar Maouloud continue de régner sur le courtage en équipement militaire, recourant de temps à autre à l’établissement burkinabé Coris Bank pour ses montages financiers.

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Il fait désormais la part belle au matériel israélien : dix hélicoptères – tous n’ont pas encore été livrés – de la société TAR Ideal Concepts pour l’armée ivoirienne, des fusils d’assaut d’Israel Weapon Industries, ainsi que des véhicules blindés et de transport pour les unités spéciales de la gendarmerie (AI du 30/08/22). Comme agent de TAR, il œuvre désormais pour le compte de sa filiale iSTAR en vue de faciliter la vente de drones à la défense ivoirienne (AI du 07/06/22).

Sollicité pour des dossiers sensibles

Lorsqu’il n’accompagne pas Téné Birahima Ouattara dans ses missions à l’étranger, comme en juin à Paris, Ben Moctar Maouloud reçoit le Tout-Abidjan et les personnalités de passage ou en exil. Comme Karim Keïta, qu’il voit régulièrement à Abidjan, où celui-ci s’est réfugié depuis le putsch ayant renversé son père, en août 2020. Ses rendez-vous les plus confidentiels se tiennent dans sa suite louée à l’année au Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire.

Les audiences courantes ont lieu dans sa résidence de la Zone 4 de Marcory. Dans son vaste salon défilent les caciques du parti présidentiel (le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, RHDP), des ministres en fonction, des dirigeants de grandes entreprises publiques et privées. Tous viennent demander des faveurs et son intervention dans des affaires délicates. Il y a ceux qui le sollicitent pour avoir un accès au premier cercle d’Alassane Ouattara et s’enquérir de l’avancée de dossiers sensibles.

Et d’autres qui souhaitent être introduits auprès de chefs d’Etat de la région, tels que le Sénégalais Macky Sall, le Nigérien Mohamed Bazoum, le Béninois Patrice Talon et le Sierra Léonais Julius Maada Bio.

Du côté du Maroc, sa collaboration avec OCP s’est un temps poursuivie à la faveur de la guerre en Ukraine. Mais ses relations avec les services d’Etat et les opérateurs économiques se sont considérablement dégradées, suite à des différends sur plusieurs contrats.

Au Mali, secoué par deux coups d’Etat depuis 2020, Ben Moctar Maouloud a pris attache avec le colonel Sadio Camara, ministre de la défense dont le beau-frère, Lamine Seydou Traoré, dirige le très stratégique ministère des mines. Là encore, comme du temps d’ATT puis d’IBK, il est passé par l’une des deux épouses de Camara pour proposer au militaire des véhicules, des produits pétroliers, du matériel et des services.

Il vante également ses connexions avec les groupes rebelles du Nord comme le Mouvement Arabe de l’Azawad. Le tout, dans l’espoir de nouer un contact avec l’actuel président, le colonel Assimi Goïta. Contacté, Ben Moctar Maouloud n’a pas donné suite aux sollicitations d’Africa Intelligence.

En août, il a cornaqué une délégation de dignitaires religieux ivoiriens venus plaider la libération de 49 militaires détenus au Mali. Une vaine tentative de s’essayer à l’art de la médiation, tant pratiqué jusqu’à ce jour, comme au Tchad (AI du 05/07/22), par son ancien mentor Chafi. Révélations de, Fatoumata Diallo, Joan Tilouine.

ledebativoirien.net

texte ‘‘Africa Intelligence’’       

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