Figure discrète des antichambres des palais présidentiels ouestafricains depuis deux décennies, Ben Moctar Maouloud est devenu un intermédiaire incontournable à Abidjan. L’homme d’affaires malien aux mille réseaux y est désormais impliqué dans tous les grands contrats militaires.
Comme si cet homme de l’ombre et de réseaux pouvait faire et défaire des contrats, des réputations et des liens avec les familles au pouvoir en Afrique de l’Ouest. Au bord de la lagune Ebrié, Ben Moctar Maouloud, c’est son nom, opère dans la construction et la diplomatie parallèle, la fourniture d’engrais et de renseignement. Depuis peu, cet intrigant – dont il n’existe aucune photographie publique – négocie des hélicoptères, des drones, des blindés et des cargaisons de fusils d’assaut pour les forces de sécurité ivoiriennes dont il est devenu l’incontournable courtier en équipement militaire.
Enfant de Gao
Et pourtant, rien ne prédestinait le jeune Ben Moctar Maouloud à se faire une place comme celle de factotum des puissants. A Gao, son enfance fut modeste, dans le giron de son père Mohamed Maouloud, un parent de Mohamed Lamine Ben Barka, futur PDG de l’agence de travaux publics malienne Agetipe. Il côtoie les enfants de patriciens de la ville, comme Soumeylou Boubèye Maïga et son petit frère, Tiégoum. Ben Moctar Maouloud délaisse rapidement l’école pour la débrouille et les chemins de traverse. Il est d’abord « coxeur », puis grouillot au service de chauffeurs de camions de Mohamed Chleïh, dit Koutey, un grand commerçant tadjakant de Gao dont les véhicules sillonnent toute l’Afrique de l’Ouest.
Il y retrouve des amis d’enfance issus de l’aristocratie tadjakant et vivote de petits business, puis de négoce de voitures et d’engrais en maintenant le lien avec les contrebandiers de Gao. Lorsque la rébellion touarègue éclate en 1994, la milice Ganda Koy créée par les autorités s’attaque aux commerçants du Nord. Contraint de fuir, Ben Moctar Maouloud s’établit brièvement à Niamey, où il se reconstitue un réseau d’affaires informel.
Le « neveu » de Chafi
Son père le confie au fils d’un parent, un cousin très discret et bien introduit dans les cercles du pouvoir : Moustapha Limam Chafi. Ce dernier est de retour du Tchad, où il a soutenu Goukouni Oueddei. Il s’active désormais au Niger pour faciliter les tractations entre son ami Mano Dayak, chef de la rébellion touarègue, et le gouvernement. Par respect pour leurs pères respectifs, il prend Ben Moctar Maouloud sous son aile, le loge dans l’une de ses maisons à Ouagadougou, où Chafi s’est mis au service du président Blaise Compaoré (1987-2014).
Il initie celui qu’il présente comme son « neveu » aux arcanes de la diplomatie officieuse, où s’entremêlent services secrets, trafiquants, hommes d’affaires, politiciens et rebelles. Parfois, « Ben » est dépêché par son mentor en Libye pour porter des messages à Mouammar Kadhafi et sillonner la région. A Bamako, la rébellion touarègue est provisoirement contenue et le nouveau président, Amadou Toumani Touré (ATT), ravive l’espoir de Maliens las du règne de Moussa Traoré (1968-1991). Ben Moctar Maouloud rentre au pays. A Bamako, avec l’aide de Chafi et de ses réseaux de Gao, il se rapproche du nouvel homme fort du pays et de la première dame, Touré Lobbo Traoré.
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Le chef de l’Etat lui permet de s’enrichir et en fait un conseiller officieux, particulièrement consulté sur la montée de l’insécurité dans le nord du pays. Il invite à dîner presque chaque semaine ce natif du nord du Mali qui le fascine et qui finit par demander la main de sa fille, Mabo Touré. Si le président apprécie la verve et le charisme de Ben Moctar Maouloud, il se méfie toutefois de ses intentions et s’oppose à ce mariage.
La connexion marocaine
Ses services s’intéressent aux renseignements détenus par Ben Moctar Maouloud. En contrepartie, le petit « relais » de la DGED convoite des partenariats avec des sociétés marocaines. En 2009, le nom de Ben Moctar Maouloud surgit dans les rapports des services de renseignement maliens et de leurs partenaires occidentaux. Il est soupçonné d’avoir servi de « point de contact » dans l’affaire dite « Air cocaïne » : un Boeing 727 chargé de poudre blanche avait atterri sur une piste dans la zone désertique de Tarkint, avant d’être incendié.
Suspecté par les putschistes d’accointances avec les rebelles touaregs du Nord, les grands trafiquants et des éléments affiliés à des groupes djihadistes, Ben Moctar Maouloud craint pour sa sécurité. Avec l’aide de l’ambassadeur du Burkina Faso au Mali, Sanné Mohamed Topan, il s’enfuit en Côte d’Ivoire et s’établit à Abidjan.
Au bord de la lagune Ebrié, Chafi l’accueille et l’intègre dans son réseau qui mène au plus haut sommet de l’Etat. Il retrouve Guillaume Soro, ancien rebelle croisé naguère chez Chafi à Ouagadougou, tout juste nommé président de l’assemblée nationale, ainsi que de nombreux autres Sahéliens, obligés de Compaoré, de passage ou en exil. Parfaitement à son aise dans cette Afrique francophone flamboyante, « Ben » éprouve son talent pour identifier les bien-nés à l’avenir politique assuré, ainsi que leurs failles.
L’aventure ivoirienne
Renseignement, emprise spirituelle, entrisme politique… Ben Moctar Maouloud n’omet pas pour autant le business. Il relocalise à Abidjan Souad Distribution et SMA, deux de ses entreprises jusque-là enregistrées à Bamako. Il développe également ses affaires dans le transit de conteneurs au port d’Abidjan et dans le transport avec sa kyrielle de camions. Peu à peu, il s’affranchit de Chafi. Ce dernier ne s’est pas méfié des velléités de son « neveu », qui mène désormais grand train et côtoie l’élite politique ivoirienne. Dans ces cénacles, « Ben » se met à vilipender l’homme qui l’a formé à la demande de son père et qui lui a ouvert les portes des palais présidentiels. La trahison précipite – jusqu’à ce jour – la rupture entre les deux hommes. Ben Moctar Maouloud va poursuivre, seul et dans l’ombre, sa quête de pouvoir, d’argent et d’influence.
Homme aux mille réseaux
Il renoue également avec son voisin à Gao, Soumeylou Boubèye Maïga, ancien patron de la DGSE malienne devenu ministre de la défense puis chef du gouvernement. Il lui fait livrer une Range Rover dernier cri avec chauffeur pour le conduire dans Abidjan lors du cinquième sommet Union africaine- Union européenne, en novembre 2017. A défaut d’obtenir une audience avec IBK, qui se méfie de sa cupidité et le tient à l’écart, Ben Moctar Maouloud se met au service de la délégation malienne tout en soignant la représentation marocaine et les hommes de Mansouri, qui accompagnent le roi Mohammed VI.
Intermédiaire de marque
A Abidjan, sa proximité avec Téné Birahima Ouattara, dit « Photocopie » – resté fidèle aux prédications des marabouts tadjakant – finit par porter ses fruits. Guidée par Ben Moctar Maouloud, la société marocaine TGCC s’est vu octroyer cette année un contrat pour la construction de quatre hôpitaux militaires et une école de santé en Côte d’Ivoire (AI du 21/02/22). C’est l’un des plus importants marchés prévus par la loi de programmation militaire 2016-2020 du pays.
L’homme d’affaires de Gao, où il n’est pas retourné depuis le coup d’Etat de Sanogo, s’est mué en courtier en équipement militaire. Avec ses sociétés SMA et Souad Distribution, il rafle de nombreux contrats d’équipements militaires et logistiques des forces de sécurité ivoiriennes. Le ministre du budget et du portefeuille de l’Etat, Moussa Sanogo, de même que le directeur de cabinet de la présidence et secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité (CNS), Fidèle Sarassoro, sont des interlocuteurs réguliers.
Qu’importent les récentes protestations de hauts gradés, comme le général Alexandre Apalo Touré, commandant supérieur de la gendarmerie, qui dénonçait dans un rapport à sa hiérarchie la réception d’armement défaillant, Ben Moctar Maouloud continue de régner sur le courtage en équipement militaire, recourant de temps à autre à l’établissement burkinabé Coris Bank pour ses montages financiers.
Il fait désormais la part belle au matériel israélien : dix hélicoptères – tous n’ont pas encore été livrés – de la société TAR Ideal Concepts pour l’armée ivoirienne, des fusils d’assaut d’Israel Weapon Industries, ainsi que des véhicules blindés et de transport pour les unités spéciales de la gendarmerie (AI du 30/08/22). Comme agent de TAR, il œuvre désormais pour le compte de sa filiale iSTAR en vue de faciliter la vente de drones à la défense ivoirienne (AI du 07/06/22).
Sollicité pour des dossiers sensibles
Les audiences courantes ont lieu dans sa résidence de la Zone 4 de Marcory. Dans son vaste salon défilent les caciques du parti présidentiel (le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, RHDP), des ministres en fonction, des dirigeants de grandes entreprises publiques et privées. Tous viennent demander des faveurs et son intervention dans des affaires délicates. Il y a ceux qui le sollicitent pour avoir un accès au premier cercle d’Alassane Ouattara et s’enquérir de l’avancée de dossiers sensibles.
Du côté du Maroc, sa collaboration avec OCP s’est un temps poursuivie à la faveur de la guerre en Ukraine. Mais ses relations avec les services d’Etat et les opérateurs économiques se sont considérablement dégradées, suite à des différends sur plusieurs contrats.
Au Mali, secoué par deux coups d’Etat depuis 2020, Ben Moctar Maouloud a pris attache avec le colonel Sadio Camara, ministre de la défense dont le beau-frère, Lamine Seydou Traoré, dirige le très stratégique ministère des mines. Là encore, comme du temps d’ATT puis d’IBK, il est passé par l’une des deux épouses de Camara pour proposer au militaire des véhicules, des produits pétroliers, du matériel et des services.
En août, il a cornaqué une délégation de dignitaires religieux ivoiriens venus plaider la libération de 49 militaires détenus au Mali. Une vaine tentative de s’essayer à l’art de la médiation, tant pratiqué jusqu’à ce jour, comme au Tchad (AI du 05/07/22), par son ancien mentor Chafi. Révélations de, Fatoumata Diallo, Joan Tilouine.
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texte ‘‘Africa Intelligence’’