Secteur du transfert d’argent, les opérateurs du mobile money toujours inquiets ?
L’opérateur Créé en 2011 par Drew Durbin et Lincoln Quirk, deux Américains installés à New York, et enregistré en 2016 à Dakar, Wave applique des frais fixes de transaction à hauteur de 1 %. En Côte d’Ivoire, Wave s’est lancé en avril 2021. Par cette présence, l’environnement du mobile money ne serait plus le même. Pas du goût des concurrents et de certains autres opérateurs économiques.
« Comment Wave a totalement sinistré le secteur du mobile money en Côte d’Ivoire », Douglas Mountain, ‘‘Le Cercle des Réflexions Libérales’’
Dans tous les pays du monde, l’emploi est la finalité, l’objectif ultime de toutes les politiques économiques. Plus le chômage s’accroît, plus le pays devient instable, cela quel que soit son niveau de développement. La réduction de la pauvreté dont on parle tant en Côte d’Ivoire, et même la cherté de la vie, ne peuvent vraiment être résolus que par la création d’emploi. Tout chômeur est plus ou moins à la charge d’un actif sur lequel il fait peser des dépenses, le chômage est ainsi un facteur d’appauvrissement de la population, donc d’instabilité sociale et par extension d’instabilité politique.
Lorsque la taille d’un ménage passe de dix à six membres pour prendre cet exemple, parce que les quatre autres ont trouvé du travail, le chef de famille constate que certaines dépenses se réduisent, ou disparaissent. Son niveau de vie tend à s’améliorer alors même que son salaire n’a pas bougé. Ainsi l’emploi a une incidence directe sur le coût de la vie. Si dans la lutte contre la vie chère, il faut se préoccuper des prix, il faut aussi garder un œil sur l’emploi.
En 2007 dans la commune de Koumassi, une boulangerie vendait la baguette de pain à 100 Franc au lieu de 150. Grâce à des équipements entièrement robotisés, elle n’avait pas de personnel attaché à la production. Les autorités ont tout d’abord salué ce prix, et parlé de laisser jouer la concurrence, avant de se rendre compte du risque que ce prix faisait courir à la filière. Toutes les boulangeries auraient acquis les mêmes équipements afin de vendre à ce prix, et se seraient au passage séparées du personnel, mettant à la rue des milliers de jeunes. D’autre part, les boulangeries qui ne pouvaient pas acquérir ces équipements auraient tout simplement fermé. Ainsi un désastre se profilait à l’horizon si la boulangerie en question continuait de vendre le pain à 100 francs. L’Etat lui a donc demandé de vendre le pain à 150 francs.
Le secteur du mobile money est dans une configuration similaire à celui des boulangeries en 2007 depuis la venue de l’opérateur Wave. Salués par tous, les frais de 1% appliqué par cet opérateur, sur lequel se sont alignés ses concurrents, ne créaient pas une marge suffisante pour le maintien des emplois au niveau des petites échoppes de transfert d’argent. Résultat, dans les premiers mois qui ont suivi la généralisation des frais de 1%, quelques 22 000 petites échoppes ont fermé dans la zone d’Abidjan, selon les données du syndicat de la corporation, le SYNAMCI.
La situation de l’emploi a continué à se dégrader lorsqu’en 2022, l’opérateur Wave a supprimé les frais sur les transactions inférieures ou égales à 20 000 FCFA. Evidemment les trois autres opérateurs se sont alignés sur cette tarification. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, une seconde vague de destruction des emplois a été enregistrée au niveau des petites échoppes de transfert, qui ont même observé pas plusieurs arrêts de travail, pour alerter les autorités sur le drame en cours. Car à terme, c’est l’existence même des points de vente de mobile money qui est en cause si cette guerre des tarifs se poursuit. Aujourd’hui les échoppes de transferts exigent une pièce de 100 francs pour toute transaction, en plus des frais qui sont pratiqués. Il n’est pas exclu que cette somme soit revue à la hausse.
Ainsi la baisse des coûts n’a pas entraîné de façon intrinsèque une hausse du volume de ces transferts, contrairement à ce que certains économistes avaient prédit. Même si les frais devenaient nuls, le volume des transferts ne s’envolerait pas. L’impact des transferts sur le coût de la vie doit donc être relativisé, car le transfert de fonds ne structure pas le quotidien des populations. Ce n’est pas un service de première nécessité. On fait les transferts accessoirement, occasionnellement. Ils n’ont pas la même incidence sur le coût de la vie que la nourriture, les déplacements, le gaz, l’eau, l’électricité.
Une concurrence déloyale ?
Wave est une application, elle a une «infrastructure dématérialisée». Les coûts d’exploitation ne sont donc pas les mêmes que ceux de ses concurrents, qui sont des entreprises de téléphonie mobile avec de lourds investissements en équipements à faire fonctionner et à entretenir.
C’est fondamentalement ce qui explique la capacité de Wave à «casser les prix», et entraîner les autres à sa suite. Mais par ce fait elle fait peser un risque sur le secteur, et partant à l’économie ivoirienne. Car la baisse continue des frais peut amener certains opérateurs à se retirer du mobile money, du fait de sa désormais faible rentabilité. Cela va impacter leurs investissements et le volume du personnel.
Aujourd’hui dans le sillage de Wave, des applications plus ou moins formelles ont vu le jour. Elles ne supportent aucun coût, mais proposent les mêmes services. Sur Facebook, des solutions ont aussi émergé.
Nous pouvons aussi parler de l’électricité. Aujourd’hui il y a plusieurs structures qui en produisent avec différents processus : les barrages hydroélectriques, les centrales thermiques, les centrales à gaz, les centrales à cycle combiné thermique-gaz, les centrales à biomasse à partir de résidus agricoles (en 2024), et les panneaux solaires (en 2025). Si chaque structure devait vendre directement au consommateur, le prix du kilowatt-heure serait différent d’un opérateur à l’autre en fonction des coûts de production supportés. Ainsi pour éviter une distorsion de la concurrence, chaque entité vend sa production à la CIE avec qui elle négocie un prix, laquelle vend à son tour au consommateur final à un prix fixe quel que soit l’opérateur.
L’Etat doit intervenir
En prenant en compte le risque qui pèse sur les compagnies de téléphonie mobiles du fait de la baisse continue des tarifs, en prenant également en compte la disparition progressive des échoppes de transfert d’argent, et le chômage qui en résulte, en prenant en compte la prolifération des solutions plus ou moins légales de transfert d’argent, peut-on vraiment dire que la baisse des tarifs constaté depuis l’arrivée de l’opérateur Wave profite réellement à la population ? L’économie ivoirienne sort-elle gagnante de cette guerre des tarifs entretenue par Wave?
Des prix bas participent certes à la baisse du coût de la vie, mais peuvent aussi être un danger pour toute une filière. Derrière les prix il y a les emplois, les taxes, il y a les profits dégagés par le secteur, les investissements, la stabilité sociale etc. etc…
N’est-il pas temps pour le gouvernement d’intervenir au nom de la protection des emplois dans le secteur ? Ne faut-il pas définir des «frais planchers», afin de garantir une marge de sécurité pour les petites échoppes de transfert de fonds et préserver ainsi l’emploi de ces milliers de jeunes ? C’est une piste de solution à creuser. D’autre part, devant la prolifération des solutions de transfert d’argent, il faut définir un cadre technique et réglementaire clair. Qui est habilité à faire du transfert de fonds ? Le secteur a véritablement besoin d’un assainissement ». Douglas Mountain ; Le Cercle des Réflexions Libérales.
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