Après Adjamé-Bingerville où le Conseil d’Etat vient de rétablir la paix avec l’annulation de l’arrêté préfectoral délivré au profit d’un autre que le choix de la communauté villageoise et dans bien d’autres villages Atchans encore en proie à des conflits de chefferie,
un autre foyer de tension est en train d’être allumé dans un village de la plus grande commune de Côte d’Ivoire. Il s’agit du village immense de Yopougon-Kouté, le plus grand du district d’Abidjan.
Reconnu pour sa stabilité légendaire et la fraternité historique de ses habitants, le village de Yopougon-Kouté, dans l’œil du cyclone, avance ces derniers jours, tout doucement vers une crise de chefferie artificielle qui risque d’entamer son équilibre social et sa cohésion. Et pour cause, le désir attisé de certains natifs de présider, vailles que vailles, aux destinées du village sous les regards indiscrets du District d’Abidjan.
Comment comprendre que le Ministre Gouverneur donne instruction à son chef de cabinet d’organiser une rencontre d’échange au District d’Abidjan, portant sur le choix du chef du village de Yopougon-Kouté, alors que celui-ci en a déjà un ? Cela a été porté à la connaissance du public, au cours d’une conférence, le lundi 13 mars dernier.
A la surprise générale, un courrier daté du 23 février 2023, adressé à la communauté villageoise indique ceci : «Sur instruction du Ministre Gouverneur, le Chef de Cabinet et le comité de médiation Atchan vous invite à une rencontre d’échange sur le choix du chef du village, le mardi 07 mars 2023 à 10 heures au District à la salle Delafosse » (fac similé 1).
Le choix du chef d’un village relève-t-il de la compétence des autorités du District d’Abidjan ?
Tout simplement non ! car d’après la loi d 14 juillet 2014, portant statuts des Rois et Chefs traditionnels, en son article 3, alinéa 1, stipule très clairement que les chefs de villages sont désignés selon les Us et Coutumes dont ils relèvent. Parce que le village n’est pas une circonscription administrative encore moins une création de l’Etat.
Que s’est-il passé pour qu’on en arrive-là ? Quelle est l’origine de cette crise Artificielle ? YOPOUGON-KOUTE, une crise créée de toutes pièces
La situation conflictuelle qui prévaut à Yopougon-Kouté a pour origine, selon les recherches, le refus de certains cadres et fils du village d’adhérer aux décisions prises par leur propre génération. Une situation perçue comme, un problème d’insubordination. Pour le comprendre, il faut remonter aux années de pouvoir de la génération Dougbô.
En pays Atchan (dans le sud de la Côte d’Ivoire, notamment dans la région d’Abidjan dite, le Grand Abidjan), les US et Coutumes sont les mêmes dans tous les villages ébriés. Cependant, le temps de célébration de ces traditions diffère parfois, surtout à Yopougon Kouté et à Azito, à cause du déphasage entre les classes d’âge. Le village tendait vers une gérontocratie, autrement dit, une domination par les vieillards, personnes du 3ème âge. Parce que l’âge d’accession au pouvoir était rélevé, comme ce fut le cas du Chef Djoman Agbassi Jean arrivé à la tête du village en 2007 à l’âge de 60 ans.
Ce dernier, dans un souci d’harmonisation avec les autres villages Atchan, décide alors d’entreprendre une réforme, voire, une réorganisation des classes d’âge et des générations. Cette action adoptée par l’ensemble de la communauté villageoise avec à sa tête le patriarche GOUEDAN N’GUEKOU LOUIS, a fait l’objet d’un séminaire. Le constat était qu’en dehors des tributaires de la génération Dougbô, les individus issus des autres classes d’âge des générations TCHAGBA, BLESSOUE ET GNANDÔ, comparativement aux autres villages Atchan ne sont pas en phase avec les classifications en vigueur.
La communauté villageoise, consciente de son rôle de porte-étendard intergénérationnel, s’est proposé alors d’organiser une Assemblée Générale afin de recadrer les individus dans les classes d’âge équivalentes. Celle-ci s’est tenue le samedi 19 mars 2016 au foyer du village, sanction par un PV d’huissier (fac similé 2).
Dès lors, les personnes nées entre 1944 et 1961 sont de la génération Dougbô ; les personnes nées entre 1962 et 1973 sont de la génération Tchagba, (ce qui est en harmonie avec la majorité des villages Atchan) ; les personnes nées entre 1974 et 1985, sont de la génération Bléssoué.
Cette importante réforme opérée pour la survie, la sauvegarde et la pérennisation de la culture, dans cette partie du département d’Abidjan, a été saluée par tous, notamment par Agbassi Agbassi Paul, ex-doyen intérimaire de la génération Blessoué et par Mandjui Louis David, à cette période, doyen des chefs guerriers Tchagba de Yopougon-Kouté et d’Azito. C’est la même réforme qui est également en vigueur à AZITO. Jusque-là, il n’y a aucun problème.
Aucun accouchement ne se faisant sans douleur, cette réforme a eu pour conséquence de créer des ex-Tchagba. C’est-à-dire, des personnes qui avaient l’âge de Dougbô, et qui se trouvaient chez les Tchagba ont été ramenées chez les Dougbô, leur véritable catégorie ; c’est dire qu’elles étaient tous très âgées pour demeurer dans cette classe d’âge.
A moment de la mise en route de cet importante changement, le Chef Djoman Agbassi Jean, auteur de cette réforme et son équipe avaient entretemps été limogés par le Ministre de l’intérieur d’alors, Feu Sidiki Diakité, en 2014 pour détournement des fonds du village, octroyés par le Ministère. Une nouvelle équipe des Dougbô avait donc pris le relais après son départ. C’est sous cette équipe dont le règne va prendre fin en 2020, que la réforme a été adoptée.
L’accession au pouvoir des Tchagba et les velléités de déstabilisation
En pays Atchan, l’accession au pouvoir est soumise à une loi coutumière, qui un processus très rigoureux, parce que le chef du village incarne d’abord l’autorité traditionnelle et représente la communauté dans tous les actes.
La structure sociale chez les Atchan est basée sur le système de classe d’âge, notamment les générations d’habitants et les catégories. Une génération regroupe tous ceux qui sont nés dans un espace de temps de quinze ans au moins. Cette organisation prend en compte les deux sexes, homme et femme. L’on distingue quatre générations désignées sous les appellations suivantes : BLESSOUE, GNANDO, DOUGBO ET TCHAGBA. Chaque génération comprend quatre classes d’âges qui sont les Djéhou (aînés), les Dogba (puinés), les Agban (cadets) et les Assoukrou (benjamins).
Aujourd’hui, à la fin du règne (pouvoir) des DOUGBO, c’est la génération TCHAGBA qui est arrivée au pouvoir partout dans les villages atchan. C’est donc au sein des quatre catégories issues de la génération TCHAGBA que s’opère le choix du Chef du village. Chaque catégorie, présente des candidats à la chefferie. Dans le processus donc de désignation du Chef du Village, les Djéhou (aînés) qui sont les ainés, sont d’office des conseillers qui ne présentent pas de candidat.
Ce sont les trois autres catégories en l’occurrence, les Dongba (puinés), les Agban (cadets) et les Assoukrou (benjamins) qui présentent deux candidats par catégorie pour le choix du chef.
Les six noms sont alors déposés auprès des ainés de la catégorie que sont les Djéhou, qui à leur tour les remet aux anciens après avoir fait leur choix. Ce sont ces derniers qui, après consultations des mânes, confirment ou infirme le choix du chef du village.
«C’est de cette façon qu’APITY Apity Clément issu de la catégorie Dongba (puinés) a été désigné comme Chef du village de Yopougon-Kouté en Août 2020, après consultation, de façon consensuel.
Il a été par la suite présenté au doyen d’âge du village, Nanan N’SOUA Agbassi Jean, qui a son tour l’a intronisé sur la place publique le 12 septembre 2020 », explique-t-on à la chefferie à Yopougon- Kouté.
Une fois porté à la tête du village, le nouveau chef sera confronté à une dissidence née du temps de l’adoption de la réforme. Ceux qui avaient applaudi cette réforme ci-dessus, vont par la suite la décrier et s’opposer à elle tout simplement parce que celle-ci les ayant classés dans la génération sortie (Dougbô), ils sont devenus forclos et donc ne peuvent prétendre diriger la chefferie, alors qu’ils nourrissent le désir contraire.
«Ce sont donc les Ex-Tchagba qui vont se manifester activement par des actes d’insubordination et de défiance à l’égard de la communauté. L’un d’eux va jusqu’à s’autoproclamer Chef du village, il s’agit de DIABA ASSOUKPOU ROGER, un haut cadre de l’administration financière, en fonction ».
Le processus suivant son cours, la passation des charges entre la génération Dougbô et la Génération Tchagba s’est effectivement déroulée le 7 janvier 2021 en Assemblée générale sur la place publique. « Afin de régler toutes les incompréhensions, le Nanan fit organiser une Assemblée Générale dénommée « AGBANSIPOU », boycottée par les dissidents.
Le patriarche Nanan N’SOUA Agbassi Jean et Gadji Logon Vincent, doyen de la génération Tchagba ont par la suite adressé un courrier au préfet d’Abidjan, le 04 février 2021, en vue de la tenue d’une consultation populaire, mais cette requête est restée sans suite jusqu’à ce jour », rapport-on à la chefferie. Pour quelle raison ? «Le préfet seul en sait les raisons».
Les autorités du District d’Abidjan veulent designer directement un chef ou interférer dans les affaires intérieur du village
Suite à la crise créée de toute pièce, un comité de médiation dirigé par le Ministre AKE Charles a été mis sur pied. Le 12 janvier 2023, ce comité de médiation a reçu une délégation du village de Yopougon-Kouté conduite par le Chef APITI Apiti Clément. Au cours de cette rencontre, le Médiateur a fait savoir qu’un premier groupe de fils du village avait déjà été reçu et que ce groupe était d’accord pour une consultation populaire, comme cela se fait en temps de mésentente pour régler définitivement la crise «artificielle».
Interrogé sur cette proposition de résolution, le groupe dirigé par le Chef APITI a donné son approbation et fait remarquer qu’après la passation des charges avec l’équipe sortante, une demande de consultation populaire avait été déposée par le patriarche auprès du préfet. Le comité de médiation ainsi rassuré, a convaincu du règlement définitif de cette crise au plus tard mars 2023.
« Contre toute attente, alors que tout le village attendait avec espoir un chronogramme pour l’organisation de la consultation populaire, ce sont des invitations nominatives datées, du 23 février 2023, adressées à une dizaine de fils du village. Les invitant à une rencontre d’échange pour le choix du chef du village, le mardi 07 mars 2023, au District d’Abidjan, portant la signature du Chef de cabinet du Ministre-Gouverneur, Beugré Mambé, qui parviennent au village, discrètement », explique le porte-parole de la chefferie.
Une fois à cette rencontre, le Chef de cabinet, « à la surprise générale, annonce qu’ils ne sont pas venus pour un quelconque échange mais plutôt pour porter à leur connaissance des décisions». Il s’agit notamment de:
- La remise en cause de l’harmonisation des classes d’âge de Yopougon-Kouté et d’Azito réalisée en 2016
- La remise en cause du choix du chef du village APITI Apiti Clément en exercice depuis janvier 2021
- La remise en cause de la libation du doyen et patriarche du village faite le 12 septembre 2020 pour consacrer le nouveau chef du village APITI Apiti Clément.
« Par cette démarche, il est désormais clair que le district veut imposer son chef à la tête du village de Yopougon-Kouté. Ce qui fait comprendre que toutes les hésitations du préfet à faire la consultation populaire n’étaient pas fortuites. Elles sont forcément liées à des pressions », déclare la chefferie.
Le District d’Abidjan, a-t-il compétence pour designer ou démettre un chef dans un village ?
Selon la loi n°2014-453 du 05 aout 2014 portant statut du district autonome d’Abidjan : «Il est interdit au Conseil du District Autonome de délibérer sur un objet étranger à ses compétences, de publier des proclamations et adresses, d’émettre des vœux politiques menaçant l’intégrité territoriale et l’unité nationale … ». Cette loi indique en son article 4, tiret 6 que le District a pour compétence, la protection et la promotion des traditions et coutumes.
Elle ne permet pas au District de désigner ou de démettre un chef.
Voici ce qu’en dit le sous-préfet Benjamin Kessa Godo, lors d’une conférence publique prononcée à Yamoussoukro: «Le village n’est plus une entité purement traditionnelle organisée et générée selon la tradition, mais une circonscription administrative de base du territoire national, administrée par un chef du village non imposé par des cadres ou par des personnes influentes, mais librement désigné par sa communauté suivant les us et coutumes dont il relève et nommé par la suite par un arrêté préfectoral.
Il ne saurait être question d’imposer un personnage sans crédit réel, ni de violer les traditions successorales sous prétexte de moderniser la procédure de désignation ». Il était Sous-préfet central de Yamoussoukro, aujourd’hui il a fait valoir ses droits à la retraite, mais la forte teneur de sa déclaration est d’une densité éclairante qu’elle reste indiscutable à tous points.
Azito Village, un cas de jurisprudence
La réforme liée à l’harmonisation des classes d’âge et réalisée par la communauté villageoise sous le règne de l’ancienne génération au pouvoir, et qui suscite aujourd’hui, une contestation tardive de la part de ceux-là même qui en sont ses auteurs et ses acteurs, a été appliquée intégralement dans le village d’AZITO.
Le Chef de ce village, Djoman Djako Gervais a été confirmé chef de la génération Tchagba par un acte de libation fait, le 5 décembre 2020 par le Nanan DJAKO Djoman Denis, et le village se porte bien. Il a obtenu son arrêté préfectoral.
Pourquoi alors l’application de cette réforme dans le village de Yopougon-Kouté pose-t-elle problème au District Autonome d’Abidjan ? Pourquoi, ce qui s’applique chez l’autre ne peut-il pas s’appliquer chez moi, alors que nous y avons travaillé ensemble ?
A cette question voici ce qu’en pense la chefferie de Yopougon-Kouté : « Il ne faut pas se le cacher, si les villages Ebriés traversent aujourd’hui des crises perpétuelles de succession, il faut y voir la main tendancieuse du District d’Abidjan qui empiète considérablement sur le champ de compétence du ministère de l’intérieur, du préfet d’Abidjan.
A Yopougon-Kouté, il est claire de l’affirmer qu’il n’y a aucune crise réelle, mais tout plutôt le refus des autorités administratives de tutelle de faire leur travail dans la transparence et en toute liberté ».
La rédaction de ledebativoirien.net, a pris attaches avec les services du ministre gouverneur du district d’Abidjan, Robert Beugré Mambé, ainsi que ceux du Préfet d’Abidjan. En attend les éclairages de ceux-ci, la situation à Youpougon-kouté, interroge sur les réelles intentions du District d’Abidjan en ces termes : «Si le District d’Abidjan n’avait pas à sa tête l’ex-président de la CEI, le ministre Robert Beugré Mambé, l’opinion observerait-elle une telle situation à crises répétitives ces dernières années en pays ébrié ? » A suivre.
Ledebativoirien.net
H. MAKRE
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