Totalement inconnu de l’opinion, Fabrice Sawegnon fut porté au-devant de la scène lorsqu’il pilota de façon victorieuse la stratégie de communication du président Ouattara (ou plutôt du candidat Ouattara) en 2010. Le célèbre slogan « ADO solutions » est sa marque de fabrique. Esprit précoce, Fabrice Sawegnon sort diplômé de l’INSET de Yamoussoukro (aujourd’hui INPHB) à 22 ans en 1994. On en déduit qu’il obtint relativement tôt le bac. Après avoir travaillé quelque cinq années dans le privé, il fonde Voodoo communication en 1999 à 26 ans. Beaucoup l’ignorent, cette jeune entreprise va piloter la campagne du général Robert Guéi lors de la chaotique présidentielle de 2000.
Dans cette lancée, il va diriger les campagnes présidentielles de Mathieu Kérékou au Bénin en 2001, des Bongo père et fils en 2005 et 2009, des Eyadéma père et fils toujours dans les années 2000, d’ IBK au Mali en 2013 et 2018, du président ouattara en 2015 et 2020, toutes victorieuses. Il échoue au Bénin avec Lionel Zinsou, qui perd contre Patrice Talon en 2016. Selon son décompte, il prétend avoir diriger quinze campagnes présidentielles dont treize victorieuses. Est-il pour autant un « as » dans ce domaine comme on l’entend dire ? En Afrique, un président sortant perd rarement. Hormis la victoire du président Ouattara en 2020, il faut relativiser son impact sur toutes les autres. C’était des élections déjà jouées. D’ailleurs au Bénin, il a échoué en 2016, là où l’élection était vraiment ouverte.
C’est la victoire du président Ouattara en 2010 qui va véritablement lui ouvrir les portes et le faire décoller. Homme d’affaires prolifique, il s’est aujourd’hui diversifié dans l’audio-visuel, l’hôtellerie et le divertissement, en plus de la communication politique son cœur de métier. Son parcours force le respect. Fait notable, il a organisé le sommet UE-UA d’Abidjan en 2017, le plus grand sommet à ce jour jamais organisé en Côte d’Ivoire. On le dit proche de la première dame, dont il organise régulièrement les dîners-galas.
Adepte du « culte » pratiqué principalement au Bénin ?
La question de son éventuelle pratique du culte vaudou est récurrente chaque fois que le parcours de l’homme est évoqué. Ivoirien d’origine béninoise, Fabrice Sawegnon a de discrètes mais solides attaches avec la patrie d’origine de ses parents. Selon l’hebdomadaire Jeune Afrique, c’est l’un de ses cousins ayant fait fortune dans la Libye de Kadhafi, un citoyen béninois du nom Arnault Houndété, qui aurait financé la création du groupe Voodoo communication en 1999. Le fait même d’avoir donné le nom ‘’Voodoo’’ à l’entreprise est clairement un clin d’œil à ce que « culte » pratiqué principalement au Bénin. Pour ne pas heurter les sensibilités, puisque nous sommes en Côte d’Ivoire, le nom est légèrement modifié. Mais l’allusion est claire, personne ne peut s’y tromper.
Est-il un adepte du vaudou, comme certains le prétendent ? La liberté religieuse est garantie dans les constitutions. Cependant ici comme ailleurs, le contenu des cultes doit s’inscrire dans le périmètre de la loi. Or les pratiques du vaudou sont sujettes à controverse. Le sang tient une place essentielle dans les rituels, un sang d’origine « humaine » selon les détracteurs, animale selon les adeptes, qui cependant ne précisent jamais le nom de l’animal en question.
Le 16 Avril dernier, une vidéo fut mise en ligne dans laquelle un certain Toppé Venance, qu’on dit être le fils du maire de Bonoua, dans le hall de l’aéroport Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, accusait à grand cri Fabrice Sawegnon de vouloir « mystiquement lui ôté la vie ». La réponse de celui-ci a été assez tardive. Dans une brève vidéo le 23 Avril, soit une semaine plus tard, il assurait n’être « ni sorcier, ni franc maçon, mais chrétien catholique ». Plutôt léger comme défense. Bien peu de personnes peuvent attester de son assiduité aux messes du dimanche. On apprenait plus tard que la famille de Mr Toppé avait produit une lettre d’excuse, présentant leur fils comme « surmené avec des antécédents psychiatriques ».
Fabrice Sawegnon menaçait de poursuivre l’homme pour diffamation, il en a les moyens vu ses connexions. L’affaire a été rapidement évacuée sur les réseaux sociaux, mais de nouveau elle a mis sur la table la question de son éventuelle pratique du vaudou. Dans certains pays de la sous-région, affirmer être adepte du vaudou ne suscitera aucune réaction particulière de l’opinion. Mais en Côte d’Ivoire, votre image sera « grillée » pour toujours. Si Fabrice Sawegnon pratique ce »culte », on peut être sûr qu’il veillera à ne laisser aucun indice qui pourrait le compromettre. Il y a donc de fortes chances que cette question ne soit jamais vraiment élucidée.
Mauvais perdant ?
En 2018, il s’est présenté aux municipales dans la commune du plateau. L’affaire fut assez mouvementée. Battu dans les urnes par quelqu’un de relativement inconnu de l’opinion mais fortement implanté, Jacques Ehouo, Fabrice Sawegnon contesta les chiffres de la CEI. Le litige portait sur le fait que Jacques Ehouo était en tête dans pratiquement tous les bureaux, où le taux de participation avoisinait les 20%, alors que Sawegnon ne remportait qu’un seul lieu de vote où le taux de participation était au-delà de de 90%. Un scénario « à la gabonaise ». Il aura fallu trois jours de violences avant qu’il ne produise un communiqué, non pour reconnaître formellement sa défaite, mais pour « prendre acte des chiffres de la Commission électorale ». Comme quoi la communication politique n’est pas une science exacte. Après avoir été l’artisan de la victoire de plusieurs présidents africains, il a échoué à se faire élire là où on lui prédisait pourtant une victoire facile.
Cependant cela ne signifiait pas pour Jacques Ehouo la fin des ennuis. Des poursuites ont été diligentées contre lui. On l’accusait de malversations du temps où il dirigeait le bureau des recettes publicitaires de la Mairie du Plateau, sous l’ex maire Akossi Bendjo, sous le coup lui aussi d’une inculpation, mais qui était alors en fuite en Europe. Jacques Ehouo dû se réfugier dans la maison du Président Bédié pour échapper à une arrestation. La Marie du Plateau fut mise sous tutelle, et administrée par le préfet d’Abidjan. Il a fallu de nouveau des manifestations de rue pour que les charges soient abandonnées, et qu’il puisse s’installer dans le fauteuil de Maire. Pour beaucoup, Fabrice Sawegnon était derrière cette cabale, vu ses liens avec le pouvoir. L’homme est réputé rancunier, revanchard, colérique, et « sans compassion », des traits caractéristiques des adeptes du vaudou. Il n’a pas voulu accepter sa défaite face à quelqu’un qu’il avait minimisé dans les médias, le traitant de « menu fretin ».
En 2023 il se présente à nouveau contre Jacques Ehouo. Cette fois, ce duel est suivi par l’opinion avec attention. Dans la presse, l’homme prétend avoir tiré les enseignements de « ce qui s’est passé en 2018 ». La quasi-totalité des médias couvrent sa campagne avec des articles élogieux, tandis que son équipe proclame haut et fort que « Jacques Ehouo s’apprête à contester les résultats car il sait qu’il perdra ». L’homme engage à fond sa machine et mène une campagne à l’américaine. Mais de nouveau il mord la poussière, et de nouveau conteste les chiffres de la CEI, affirmant »avoir remporté le scrutin » . Fait surprenant, la Commission électorale au soir de l’élection, désavoue le comportement des agents dans la commune du plateau, les présentant comme ayant accepté de rouler pour un candidat, une allusion claire à Fabrice Sawegnon. Il faut dire que dans les zones acquises à Jacques Ehouo, les bureaux de vote ont ouvert entre 11 et 15h !!! La déclaration du président de la CEI a surpris plus d’un, il indexait clairement celui qu’on présente souvent comme le « chouchou » du couple présidentiel.
Le 21 Septembre, le Conseil d’Etat rejette sa requête, entérinant sa défaite. Fabrice Sawegnon risque cette fois de perdre gros. Cette seconde défaite peut sceller définitivement ses ambitions politiques, en même temps qu’elle peut refroidir les futurs clients de son officine de communication politique. Elle va indubitablement ternir l’éclat de l’homme dans ce domaine. On aura du mal à expliquer pourquoi les recettes qu’il applique aux autres ne marchent pas à son niveau, telles ces personnes (mystiques, voyants, charlatans… et autres médiums) qui prétendent pouvoir enrichir les autres, alors qu’elles vivent pourtant dans le dénuement. Visiblement il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Fabrice Sawegnon »-Douglas Mountain–Le Cercle des Réflexions Libérales.
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