La Côte d’Ivoire retient son souffle. L’arrivée de Tidjane Thiam (61 ans) à la tête du PDCI-RDA est un véritable big bang dans le landerneau politique. Dans ce parti d’octogénaires, ce « jeune » a bénéficié des bénédictions des dignitaires, qui se sont tous mis au garde-à-vous pour lui frayer le passage. Le plus vieux parti du pays a été pris d’un subit instinct de rajeunissement.
De ce fait, l’aventure politique de Tidjane Thiam prend des allures du cyclone, qui va conduire à rebattre les cartes sur l’échiquier politique. Elle sonne comme la fin d’un cycle et le début d’une nouvelle génération.
Alors qu’il préparait activement le 13è Congrès ordinaire du PDCI-RDA (octobre 2023), Henri Konan Bédié (89 ans) a tiré brutalement, le 1er août, sa révérence. Dans leur lutte homérique, qui défraie la chronique depuis la mort, le 7 décembre 1993, d’Houphouët-Boigny, il reste en course deux éléphants: Alassane Ouattara (81 ans) et Laurent Gbagbo (78 ans).
Par leur poids et leur charisme, ces deux leaders restent, pour la présidentielle d’octobre 2025, les candidats naturels et idéaux de leur parti respectif, le RHDP et le PPA-CI. Mais, en réalité, si nombre de militants et sympathisants ne rêvent pas de les brûler, l’impatience, contrairement aux assurances et professions de foi, gagne du terrain de les voir, à défaut de prendre la retraite, se mettre en retrait pour passer la main, en opérant aussi une cure de jouvence.
Ouattara et Gbagbo ont ouvert des lucarnes. Ce « 3è mandat de trop » constitue, pour le chef de l’État, « un sacrifice »; et le président du PPA-CI ne fait pas du Palais présidentiel « une obsession », même si son combat, le dernier (!?) qui est celui de son parti, demeure sa réhabilitation par son intégration sur la liste électorale. Et la partition jouée par Macky Sall (62 ans) au Sénégal, en renonçant à un troisième mandat présidentiel le 25 février 2024, pourrait les conduire vers la porte de sortie.
De plus, avec la nouvelle donne au PDCI-RDA, l’opinion est largement partagée sur les appétits de pouvoir de ces anciens et actuels chefs d’État, auxquels le « fils » Thiam a rendu des visites de courtoisie en août 2022.
Et alors, en leur sein et souterrainement, chaque parti cherche activement, sans en donner l’air, de nouveaux cadres à même d’égaler ou de dépasser Tidjane Thiam en terme de valeurs intrinsèques (talent, compétence et audience).
Alassane Ouattara se défendait de boulimie, en soutenant avoir formé cinq ou six potentiels candidats susceptibles de lui succéder. Après le limogeage du Premier ministre Jérôme-Achi Achi (68 ans) que presque tous pressentaient, et la démission d’Abdouramane Cissé (42 ans), secrétaire général de la Présidence de la République, des noms se murmurent dont ceux du ministre d’État, ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara (68 ans), et du directeur de cabinet du chef de l’État, Fidèle Gboroton Sarassoro (64 ans).
Au PPA-CI, des concurrences sont signalées au nombre desquelles Hubert Oulaye (70 ans), professeur agrégé de droit public et de sciences politiques. Cet ancien ministre de la Fonction publique a été le président exécutif éphémère du parti.
Mais le nom qui revient sur la majorité des lèvres et suscite l’engouement est celui d’Ahoua Don Mello ou ADM (65 ans), très brillant technocrate et homme de gauche très talentueux. Et ce sont ces qualités qui ont séduit Vladimir Poutine et les dirigeants russes.
En mission à Moscou au moment où le président guinéen, Alpha Condé dont il était le conseiller spécial, est renversé le 5 septembre 2021, il a été recruté par le patronat russe, en qualité de conseiller spécial chargé des investissements en Afrique.
C’est le début d’une promotion. Don Mello intègre l’Alliance des BRICS (alliance économique de dix pays: Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Brésil, Chine, Égypte, Éthiopie, Émirats arabes unis, Inde, Iran et Russie), comme son représentant en Afrique centrale et occidentale.
Le 24 décembre 2024, cadeau de Noël: il est promu vice-président de l’Alliance chargé des projets stratégiques; une position tout aussi stratégique pour promouvoir le développement de l’Afrique, à travers la transformation locale des matières premières et ainsi, son industrialisation accélérée.
Pour son leadership et son combat pour le berceau de l’humanité, en faveur de son autodétermination et son affranchissement du joug colonial, Don Mello a reçu, à la tribune du Forum international euro-africain, le prix Ubuntu à Cadix (Espagne), le 25 novembre 2023. Et il est le lauréat de la première édition du prix international Poutine pour la souveraineté des pays africains.
ADM reste donc une référence et un modèle. Docteur-ingénieur, diplômé de l’École des ponts et chaussées de Paris, il a refusé, après sa formation, de faire partie des cerveaux africains qui s’enfuyaient, en disant non aux offres alléchantes au Canada, aux États-Unis d’Amérique et en France.
Il est revenu au pays pour être enseignant-chercheur à l’INPHB de Yamoussoukro, au LBTP à Abidjan, à l’université Houphouët-Boigny d’Abidjan, à l’université de Bujumbura (Burundi), etc. À la chute, en avril 2011, du pouvoir de la Refondation au sein duquel il a été directeur général du BNETD et ministre de l’Équipement et de l’Assainissement, il a quitté le pays pour être, pendant plus de dix ans, consultant dans de nombreux pays africains (Afrique du Sud, Angola, Cap Vert, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale, etc.).
Cet ingénieur a toujours cru que « sur le plan technique, on est capable d’inventions, en Afrique. » Il en a donné la preuve avec trois brevets à son actif: le géopavé, les briques en bois et le bitume de coco.
Sur cette lancée intellectuelle, il a publié quatre ouvrages: La tragédie burundaise, Science technique et développement, L’Ivoirien nouveau et Sur la route de la souveraineté.
Le compagnon de Laurent Gbagbo, depuis son exil politique en France (1982-1988), a un crédo, qu’il n’entend pas trahir: « Au plan idéologique, créer une société socialiste. » Et du FPI au PPA-CI, il a mis le pacte colonial dans son collimateur. Cela explique son engagement dans cette Alliance de coopération internationale, qui veut faire contrepoids à la domination de l’Occident pour un monde multipolaire.
Cerise sur le gâteau, ADM ratisse large. Dans l’émiettement de la gauche ivoirienne, il apparaît comme le fédérateur, le seul qui a gardé des contacts personnels avec Mme Simone-Éhivet Gbagbo, Pascal Affi N’Guessan, Mamadou Koulibaly, Charles Blé Goudé… Au milieu de toutes les velléités légitimes, il représente, au change, une offre attractive et crédible pour le retour de la gauche, dans son ensemble, au pouvoir d’État », par F. M. Bally.