Le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), dans le cadre de son mandat de promotion, de protection et de défense des droits de l’homme, précisément des droits de l’enfant, a mené une enquête sur la protection de remplacement en Côte d’Ivoire. L’enquête a été réalisée dans la période du mois d’Avril au mois de Juin 2022 et a permis de couvrir l’ensemble du territoire national. Elle s’est intéressée principalement à la situation et aux conditions de vie des enfants pensionnaires en Etablissements de Protection de Remplacement (EPR).
L’enquête a permis de faire l’état des lieux du cadre juridique international et national en vigueur en la matière. En ce qui concerne la couverture géographique de la protection de remplacement en Côte d’Ivoire, l’enquête a permis de recenser quatre-vingt-dix-sept (97) établissements de protection de remplacement sur le territoire ivoirien. Les établissements recensés dans les régions couvrent à 77,42% le territoire national, soit 24 régions sur 31 où existent des établissements de protection de remplacement.
Concernant le district autonome d’Abidjan, le taux de couverture par les établissements de protection de remplacement est de 61,54%, soit 8 communes sur 13 où existent des Etablissements de Protection de Remplacement. Le recensement a permis d’identifier 21 EPR dans le district autonome d’Abidjan. Sur les 97 établissements identifiés, seulement 73 ont pu être enquêtés soit un taux de couverture de 75,26% des EPR existants en Côte d’Ivoire. En ce qui concerne la typologie des établissements, l’enquête a recensé 30 orphelinats, 16 pouponnières, 49 centres d’accueil et d’hébergement et 02 centres d’accueil et d’hébergement spécialisés.
Concernant le régime des établissements, 64 établissements privés sur les 88 existants ont été enquêtés, ainsi que 09 établissements publics sur les 10 existants. L’enquête a permis d’enregistrer 2972 enfants pensionnaires dans les EPR visités dont 1416 sont des filles soit 47.64%. L’exercice de la protection de remplacement ne pouvant s’exercer sans autorisation préalable des services compétents, l’enquête s’est également penchée sur l’obtention de l’agrément des EPR enquêtés. Ainsi, il ressort des résultats de l’enquête que 20 EPR sur 73 exercent sans agrément, soit 27.40% et que 82 familles d’accueil ont été recensées alors qu’aucun dispositif légal n’encadre la question.
L’enquête a également permis d’évaluer les dispositifs des établissements enquêtés
En ce qui concerne la capacité d’accueil, 32 % des répondants ont déclaré être en sureffectif. Concernant les équipements et services au sein des EPR, 53.68 % des répondants ont déclaré ne pas en être satisfaits. Le principe de la protection de remplacement étant de confier la garde d’un enfant sorti de son milieu familial à des services compétents, elle ne peut être exercée que par un personnel qualifié. Or, 29% des répondants soit 21 EPR ont affirmé ne pas avoir un personnel qualifié et 47 % des répondants soit 35 EPR ont affirmé ne pas bénéficier des services de travailleurs sociaux.
Dans la même optique que l’exercice de la protection de remplacement par un personnel qualifié, il ne peut s’effectuer sans l’autorisation préalable du juge des tutelles en charge des ordonnances de placement provisoire. Il ressort cependant des résultats de l’enquête que 73% soit 1969 des enfants pensionnaires dans les EPR visités n’ont pas d’ordonnance de placement provisoire. A côté de cet état de fait, les résultats de l’enquête indiquent que 15% soit 446 des enfants pensionnaires ne sont pas titulaires d’un extrait de naissance ou d’un jugement supplétif.
Le droit à la protection de remplacement étant un droit fondamental de l’enfant en vertu des conventions en vigueur, les Etats se devant de le mettre efficacement en œuvre sont dans l’obligation d’allouer les ressources financières nécessaires aux structures en charge de la protection de remplacement, afin d’assurer le bien-être des enfants placés. Il découle cependant, des données de l’enquête que 76% des répondants ont affirmé ne pas recevoir de subventions de l’Etat ivoirien.
En plus de l’obligation de financement, les Etats sont tenus d’exercer un suivi et une évaluation des structures exerçant la protection de remplacement. Ainsi, 89% des répondants ont affirmé faire l’objet d’un suivi régulier de la part des services compétents en matière de protection de remplacement. En définitive, l’enquête a fait ressortir que les commodités des EPR sont en général satisfaisantes. Toutefois, des insuffisances sont constatées au niveau de la gestion des EPR, du dispositif légal en vigueur, de la légalité d’exercice, du placement judiciaire des enfants, des ressources financières, humaines et matérielles.
Difficile mise en œuvre de la protection de l’enfant
Ces dysfonctionnements dans le système de protection de remplacement rendent difficile, la bonne mise en œuvre du droit à la protection de remplacement des enfants. Au terme de l’enquête et au regard des difficultés évoquées, les recommandations ont été formulées. A l’attention du Gouvernement : Renforcer le dispositif légal relatif à la protection de remplacement en Côte d’Ivoire en légiférant sur le cas des familles d’accueil et en instituant un cadre légal aux standards nationaux relatifs à la protection de remplacement.
Doter toutes les 31 régions administratives de Côte d’Ivoire d’EPR. Affecter des travailleurs sociaux aux EPR afin de garantir au mieux la qualité des services fournis aux enfants pensionnaires. Allouer des subventions conséquentes aux EPR afin d’améliorer leur fonctionnement et la prise en charge des enfants placés. Renforcer l’effectif d’EPR disponibles dans le district autonome d’Abidjan. S’assurer de l’obtention de l’agrément nécessaire par tous les établissements qui exercent la protection de remplacement. S’assurer de l’obtention de l’ordonnance judiciaire provisoire de placement et les jugements supplétifs pour tous les enfants présents dans les EPR.
Sensibiliser les EPR à se rapprocher des services judiciaires dès la prise en charge d’un enfant à l’effet d’obtenir une ordonnance judiciaire de placement et d’un jugement supplétif si nécessaire. Doter les EPR d’engins roulants afin de renforcer leurs capacités opérationnelles Assurer la gratuité de la prise en charge médicale des enfants pensionnaires. Construire des centres spécialisés adaptés pour enfants en situation de handicap ou doter les EPR non spécialisés de personnel qualifié en la matière et d’équipements, afin de favoriser l’inclusion de ces enfants à besoin spécifique.
Procéder au suivi et à l’évaluation de tous les EPR à l’effet d’effectuer un contrôle des services fournis en vue de mieux protéger les enfants. Produire des normes de qualité et d’évaluation ainsi que des rapports publics sur les EPR conformément aux conventions en vigueur. Procéder à la réhabilitation des EPR en état de vétusté. Renforcer la dotation des EPR en équipements didactiques, ludiques, sanitaires, hypniques, alimentaires, hygiéniques et sécuritaires.
A l’attention des Etablissements de Protection de Remplacement
Procéder à l’obtention de l’agrément afin d’exercer en toute légalité. Procéder à la demande d’ordonnance judiciaire provisoire et à la demande de jugement supplétif pour tous les enfants dans le besoin. Veiller au bien-être physique, psycho-émotionnel et social des enfants placés.
Un enfant sans protection parentale suffisante étant particulièrement exposé aux violations et atteintes de ces droits, le système de protection de remplacement, cet environnement pluridisciplinaire et multisectoriel permet de protéger les enfants rendus vulnérables pour diverses causes:
la pauvreté, l’abandon, les pratiques culturelles néfastes, l’orphelinage, l’insécurité, le handicap, la violence etc. Selon une estimation de l’UNICEF, au moins 2,7 millions d’enfants à travers le monde vivent en structure d’accueil, ce nombre étant probablement largement sous-estimé. En Côte d’Ivoire, il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre d’enfants bénéficiant d’une protection de remplacement. La Convention internationale sur les Droits de l’Enfant (CDE) ratifiée par la Côte d’Ivoire le 04 février 1991, en son article 20 dispose que :
« 1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat. 2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale. 3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la « kafala » de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié (…) ».
Ainsi, les dispositions de l’article susdit créent des obligations pour les Etats parties en matière de protection de remplacement. En Côte d’Ivoire, un système de protection de remplacement a vu le jour après les indépendances à travers les premiers établissements de protection de remplacement, tel que l’Orphelinat de Grand Bassam. Par la suite, plusieurs autres établissements publics et privés, à l’effet de mettre en œuvre cette obligation étatique en matière de protection de remplacement ont vu le jour.
Néanmoins, l’absence de données publiques réelles sur l’importante problématique de la protection de remplacement en Côte d’Ivoire, notamment sur la qualité de l’offre de service des établissements, ainsi que sur l’appui dont l’activité bénéficie et l’interaction avec les autres acteurs intervenant dans le domaine de la protection sociale, a emmené le Conseil National des Droits de l’Homme a initié une enquête sur les établissements de protection de remplacement et les familles d’accueil afin d’en faire un état des lieux.
En Côte d’Ivoire 07 régions sur 31 et 05 communes du district d’Abidjan ne possèdent aucun EPR. Un total de vingt (20) établissements a été répertorié dans 8 communes du district autonome d’Abidjan et soixante-dix-sept (77) en régions.
En Côte d’Ivoire, la protection de remplacement couvre uniquement 77.42% du territoire national. En ce qui concerne le district autonome d’Abidjan 5 communes ne possèdent aucun EPR soit 38,46. Ainsi, le district autonome d’Abidjan est couvert à 61,54%.
Les établissements de protection de remplacement en plus de ne pas couvrir entièrement le territoire national sont en nombre disparate d’une région à une autre. En vertu des principes généraux des lignes directrices relatives à la protection de remplacement : « lorsque (…) la famille de l’enfant est incapable d’assurer sa prise en charge, abandonne l’enfant ou le confie à un tiers, l’État est tenu de protéger les droits de l’enfant et de prévoir une protection de remplacement adaptée ». Ainsi, il apparait périlleux que certaines régions ne possèdent pas ou possèdent très peu d’établissements de protection de remplacement.
Cette situation fait ressortir une insuffisance de mise en œuvre du droit à la protection de remplacement tel que défendu par l’article 20 de la CDE, car en cas de violations manifestes des droits, de détresse ou de mise en danger de la vie de certains enfants résidant dans lesdites régions, leur droit à la protection de remplacement sera difficilement mis en œuvre.
L’un des facteurs majeurs de la violence à l’égard des enfants étant l’extrême pauvreté, certaines régions à forte précarité où le taux de prévalence de violence à l’égard des enfants est accru, figurent parmi les régions ne possédant aucun établissement de protection de remplacement pour permettre aux enfants victimes, orphelins ou de tout autre catégorie soumis à la protection de remplacement, de bénéficier d’un cadre de vie alternatif sain.
Il s’agit entre autres de la région du Folon, du Béré, du Bafing. Dans certaines régions ne possédant pas d’EPR tels que le Worodougou, le Gboklé et le Folon, il a été donné de constater que les enfants en besoin de protection de remplacement sont confiés par les autorités locales en charge de la protection de l’enfant aux membres de la communauté d’origine de l’enfant. Il est important de relever que la phase préparatoire de l’enquête a permis de confronter les résultats de la recherche effectuée par les Commissions Régionales des Droits de l’Homme, d’EPR existants dans chaque région avec celles répertoriées dans la cartographie fournie par le Ministère de la Femme, Famille, Enfant.
Il découle de cette mise en confrontation, que vingt-un (21) EPR recensés par les CRDH ne figuraient pas sur la cartographie du Ministère. En plus de ces établissements, il s’est avéré que certains établissements de la cartographie du Ministère ne faisaient pas de la protection de remplacement.
Il découle de ce qui précède qu’il est nécessaire de doter conséquemment les régions d’établissements de protection de remplacement et de faire en sorte que les établissements ne soient pas concentrés uniquement dans les chefs-lieux mais qu’une répartition adéquate soit effectuée dans tous les départements. Il est également nécessaire de répertorier tous les établissements exerçant de la protection de remplacement.
73 établissements sur les 97 existants ont été couverts par l’enquête
Relativement à la zone de couverture, sur les 97 établissements répertoriés, l’enquête a permis de couvrir 73 établissements de protection de remplacement soit un taux de couverture de 75,26 %. Pour des raisons logistiques, de refus de coopérer de la part de certains EPR, et en raison de l’impossibilité d’établir le contact avec certains EPR, 23 établissements n’ont pas pu être enquêtés, soit 24,74%.
Il est important de relever que toutes les régions du pays ont été couvertes par l’enquête à l’exception de la région de la Marahoué et du Loh Djiboua, où il s’est avéré que les structures référencées n’existaient plus. L’enquête s’est déroulé dans 24 orphelinats, 12 pouponnières, 35 centres d’accueil et d’hébergement et 02 centres d’accueil et d’hébergement spécialisés…
En tout, 65 établissements privés sur les 97 existants ont été enquêtés, ainsi que 8 établissements publics sur les 9 existants. Le tableau fait état de l’insuffisance d’établissements publics de protection de remplacement. Or, les lignes directrices régissant la protection de remplacement et la Convention relative aux Droits de l’Enfant enjoignent aux Etats de garantir la protection des enfants et leurs droits en matière de protection de remplacement, en s’engageant véritablement à fournir à tous les enfants nécessitant une protection de remplacement, le respect de ce droit.
Type de pensionnaires présents dans les établissements au cours de l’enquête
Au total 2972 enfants ont été recensés dans les 73 EPR enquêtés. Les pensionnaires des établissements de protection de remplacement sont en grand nombre des enfants orphelins, des enfants abandonnés et des enfants en situation de handicap. Il découle de ce qui précède que ces catégories d’enfants sont les plus susceptibles de se retrouver dans les établissements de protection de remplacement, compte tenu de leur grande vulnérabilité.
Les enfants en situation de handicap se retrouvent en grand nombre dans les EPR alors que les lignes directrices régissant le cadre de la protection de remplacement enjoignent aux Etats de procéder à la mise à disposition d’établissements de protection spécialisés leur étant destinés au vu de leurs besoins spécifiques. Cependant, il ressort de l’enquête qu’il existe seulement deux centres d’accueil et d’hébergement spécialisé pour enfant en situation de handicap à savoir, le centre Mère de Miséricorde de Brobo et le centre privé de rééducation et de remédiation Amina Cerra de Cocody Palmeraie, qui n’est d’ailleurs pas suffisamment équipé.
Au regard de la spécificité des établissements, il serait judicieux de lui fournir une dotation en équipements adaptés. Deux ans après la publication de ce rapport de la commission des droit de l’homme de côte ‘ivoire où en est-on avec l’application des recommandations faites. Dossier à suivre.
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