Que deviennent Mabri Toikeusse, Simone Gbagbo, Affi N’Guessan. Certes de temps en temps, ces personnalités font quelques déclarations sur l’actualité du moment, mais on peut le dire, leur étoile a considérablement pâli dans le ciel de la politique ivoirienne.
Ces personnalités semblent ne plus être audibles, alors qu’il fut un moment pas si lointain où elles ont fait énormément de bruit dans le pays. Leur présence médiatique entretenait l’illusion qu’elles avaient un poids dans les urnes.
Attirer du monde dans un meeting est une chose, amener ce monde à voter pour vous en est une autre. Les individus viennent vous écouter, mais sont-ils forcément prêts à vous suivre dans les urnes ? La question est là.
Affi N’Guessan, l’homme qui a réalisé le hold-up sur le parti de son ancien mentor
Affi N’Guessan a acquis une stature auprès de l’opinion lorsqu’il est entrée dans une opposition dure contre le pouvoir lors de la présidentielle de 2020. Porte-parole du CNT, le mort-né « Conseil National de Transition » que l’opposition réunie autour du président Bédié avait tenté de mettre sur pied, Affi a incarné en ce moment l’opposition radicale au régime.
La crise née de la présidentielle de 2020 n’a pris fin qu’avec son arrestation. Il a renforcé sa stature lorsqu’il a refusé de « rendre le parti » à l’ex-président Laurent Gbagbo après le retour de celui-ci. Ce dernier a créé un nouveau parti le PPA-CI, Affi N’Guessan a relevé le défi en organisant un congrès, qui a vu une très forte mobilisation, montrant que « l’enveloppe n’est pas vide » comme l’affirmait l’ex-président. Il s’est ensuite allié au parti au pouvoir.
Mais quel est l’impact de tout ceci sur le plan électoral ? En est-il ressorti avec plus de militants ? Affi N’Guessan n’a pu se faire réélire ni comme député de Bongouanou sa circonscription d’origine, ni comme Président du Conseil Régional du Moronou en Septembre 2023. Cette dernière défaite a surpris l’opinion. Elle a sonné l’homme. Aujourd’hui son parti n’a qu’un seul député à l’hémicycle. Les urnes ont montré qu’Affi ne pesait pas grand-chose, en dépit de la stature qu’il avait acquise. Comme l’avait prédit l’ex-président à qui il avait refusé de rendre le parti, il a hérité d’une « enveloppe vide ».
Depuis il a fait quelques apparitions. On l’a vu sur les ruines du quartier de Gesco après sa démolition en Février dernier, où il a dénoncé « la politique de bulldozer des autorités », oubliant au passage son alliance avec le parti au pouvoir. Il avait auparavant rendu une visite au général Dogbo Blé après sa libération (l’homme commandait l’armée pendant la crise post-électorale de 2010-2011).
Il a prononcé un discours lors du congrès du Cojep de l’ancien chef des jeunes patriotes, Blé Goudé en Novembre dernier. Ces apparitions sont pour lui le seul moyen de continuer à exister. Malgré cette présence médiatique, l’homme semble désormais sur la touche. Pourra-t-il rebondir ? Ce sera difficile dans les urnes, parce qu’il n’a pas d’assise. En fait, il est dans une certaine errance aujourd’hui.
Mabri Toikeusse, l’homme des pirouettes incessantes
Le cas de Mabri Toikeusse n’est pas fondamentalement différent, même si la nuance ici est l’assise de l’homme dans l’Ouest montagneux. Président de l’UDPCI, en alliance avec le parti présidentiel, Mabri Toikeusse a toujours refusé de dissoudre son parti. Opposé au choix de Gon Coulibaly comme candidat du parti au pouvoir à la présidentielle de 2020, il rejoint l’opposition qui s’était constituée autour du président Bédié.
En tant que fondateur du « Conseil National de Transition », il est recherché par la police. L’homme reste introuvable (parti au Ghana selon la rumeur), puis on l’aperçoit quelques mois plus tard, lors d’une audience que lui accorde le président en mars 2022.
Ce retour en grâce ne va pas générer des gains politiques importants pour lui. Tout au plus deux de ces fidèles ont été nommés dans des structures étatiques. L’homme n’a pas réintégré le gouvernement comme cela semblait se dessiner. Il a retrouvé son poste de vice-président du parti au pouvoir, mais la méfiance est restée de mise avec les membres de l’entourage présidentiel qui à ce jour continuent de voir en lui un ’’traitre’’, car il refuse toujours de dissoudre son parti (l’UDPCI) comme on le lui demande. Lors des récentes Régionales, il a conservé son poste de président du Conseil régional du Tonpki, mais sa rivalité avec le général Vagondo Diomandé, le ministre de la sécurité, a laissé des traces.
Mabri Toikeusse ne brille plus de mille feux dans cette partie du pays comme auparavant. Ces derniers temps, il parle de la présidentielle de 2025 comme d’une échéance importante pour l’UDPCI. Mais il a tellement fait de pirouettes que ses militants ne savent plus quoi penser. Sa voix ne porte plus. Il est devenu « tout petit », et comme Affi, il semble être dans une certaine errance aujourd’hui.
Simone Gbagbo, celle qui veut croire en son destin malgré tout
Pour Simone Gbagbo, c’est aussi la même bulle médiatique qui a donné l’illusion d’un poids politique. Lors de son le retour, l’ex président Laurent Gbagbo l’a publiquement bafouée. Aussi a-t-elle engrangé beaucoup de soutien, mais ce n’étaient pas des soutiens politiques, c’était plutôt affectif, émotionnel, l’opinion avait de la compassion pour elle.
Dans la foulée, elle a lancé son parti, le Mouvement des Générations Capables (MGC). Comme Affi N’Guessan, elle a réussi le pari de la mobilisation lors du congrès fondateur. Les femmes ont envahi en masse le parc des sports. Mais depuis, plus rien.
Lors des récentes élections législatives, son parti n’a présenté aucun candidat. L’ex-première dame elle-même ne s’est présentée nulle part, elle qui fut pendant les dix années de règne de son époux, député d’Abobo, une commune de la banlieue abidjanaise. Pouvait-il en être autrement ? Pouvait-elle faire bouger les lignes politiques actuelles ? Selon son entourage, elle s’accroche, veut croire en son destin. Mais peut-elle de nouveau rebondir ? C’est presqu’impossible dans la configuration politique actuelle, et cela pour une raison toute simple.
Un espace politique verrouillé
En Côte d’Ivoire, nous avons trois principales formations politiques, le PDCI, le RHDP, le PPA-CI qui sont établies sur des lignes de démarcation plus ou moins régionales pour ne pas dire ethniques. Un quatrième parti est fortement soutenu par les populations de l’Ouest montagneux, où il reste confiné, l’UDPCI. Il sera bien difficile à tout acteur de se faire une place hors de ces trois formations. Les coups d’éclat restent possibles. On peut mobiliser des milliers de partisans dans un meeting. Mais on peut difficilement avoir un destin national sans se fondre dans l’un des moules des trois grands partis.
Affi N’Guessan, Simone Gbagbo et l’ex-président Laurent Gbagbo se partagent les militants de l’ex parti au pouvoir. Tant que le président Gbagbo sera dans la place, les étoiles des deux autres personnalités ne pourront jamais luire. C’est aussi simple que cela.
Mamadou Coulibaly, cet éminent économiste, cadre du parti de l’ex président Laurent Gbagbo, avait tenté une dissidence en créant son parti, un parti dont le poids électoral a toujours été quasiment nul. Quant à l’ancien ministre Mabri Toikeusse, son étoile ne peut luire que dans l’Ouest montagneux, dans le pays dan, pas au-delà. Son ancrage est local, pas national.
Aux USA, la vie politique est verrouillée par le parti Républicain et le parti démocrate. Un individu peut bien se faire élire sans étiquette comme sénateur, représentant d’un Etat (député), ou gouverneur. Mais s’il vise un destin national, il doit forcément être adoubé par l’un de ces deux partis. En Côte d’Ivoire, c’est un peu la même chose. On peut se faire élire en tant qu’indépendant dans les municipales, les législatives, les sénatoriales ou les régionales. Mais si on vise un destin national, alors il faut s’appuyer sur l’une des trois principales formations politiques de ce pays. Autrement votre voix va peut-être porter localement, dans votre circonscription, mais pas au-delà ».
Décryptage de DOUGLAS MOUNTAIN -Le Cercle des Réflexions Libérales.