Comment déjouer un putsch ? Ce qui est fatal aux régimes en place :  un putsch est un coup de poker 

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Une meilleure compréhension du déroulé de ses opérations

Depuis 2020, plusieurs putschs se sont enchaînés en Afrique Occidentale avec une « facilité apparente », donnant l’impression d’événements qui inévitablement aboutissent à la chute du régime en place. En réalité c’est une perception erronée. Un putsch n’a rien d’un « événement fatal ».

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Ces messieurs se sont emparés du pouvoir avec une facilité déconcertante. En réalité ils ont surtout bénéficié du manque de réactivité des pouvoirs qu’ils ont renversés.

L’issue dépend non pas des armes, mais se joue sur le terrain de la réactivité du pouvoir en place, et surtout de la psychologie. Nous avons aujourd’hui une meilleure compréhension du déroulé de ses opérations, et pouvons dégager des pistes de solutions pour les déjouer.  

Une armée est toujours en capacité de briser un putsch quel qu’il soit

Une mutinerie ou un putsch est toujours l’œuvre d’un petit groupe, d’une poignée d’officiers, pour une raison toute simple. Plus il y a de monde impliqué dans la planification, plus le secret sera difficile à garder. Ainsi les putschistes sont toujours une minorité au départ. Le reste de l’armée ne se rallie que devant le fait accompli.

Mais l’armée peut aussi ne pas se rallier, et dans ce cas, ne serais-es-ce que numériquement, elle est toujours en capacité de briser un putsch quel qu’il soit.  C’est un point qu’il faut bien garder à l’esprit. Il est rare, voire quasiment impossible que des putschistes prennent le pas sur le reste de l’armée lorsque des combats sont engagés. Car l’armée a pour elle le nombre. Pourtant très souvent,  elle n’intervient pas. Qu’est ce qui l’explique ?

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C’est que toute armée hésitera  à « tirer sur elle-même », c’est-à-dire engager des combats internes. Lorsqu’un groupe d’officiers tente de renverser le pouvoir, l’armée aura tendance à se ranger derrière  les « nouveaux maîtres », plutôt que de rétablir l’ancien régime, car intervenir reviendrait à combattre contre elle-même. C’est ce  « blocage psychologique » qui fait réussir les putschs.

Lorsque l’armée « ne bouge pas », cela signifie de facto un ralliement. Mais lorsqu’elle décide d’intervenir, le putsch n’a aucune chance de réussir. En réalité, un putsch est un coup de poker, les auteurs font le pari que l’armée va se ranger à leurs côtés, ils avancent dans le vide. Le dernier mot dans un putsch revient toujours au reste de l’armée, c’est ce qu’il convient de retenir. Un putsch n’est en rien un  » événement fatal  » pour un régime en place.

 Ce qui détermine l’attitude du reste de l’armée dans un putsch

Immédiatement après un putsch, un « vide » s’installe, le temps des tractations, suite auxquelles les nouveaux visages vont se dévoiler.  Il est important pour le pouvoir en place de ne pas laisser ce vide s’installer, s’il veut reprendre la main. Il doit absolument « se signaler ».

Les troupes doivent avoir la conviction qu’elles ne vont pas donner l’assaut dans le vide, pour une autorité qui n’existe plus. Elles doivent clairement percevoir que les autorités sont toujours en place, que la chaîne de commandement officielle tient toujours, alors elles obéiront non pas aux « nouveaux maîtres », mais aux « anciens ».

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C’est à ce niveau qu’intervient  la personnalité du  Chef d’Etat-Major des armées (le cema), son autorité réelle sur les troupes se mesure en ce moment. Une mutinerie ou un putsch, signifient toujours une faille dans la chaîne de  commandement mise en place par le cema. Cependant, lorsqu’un putsch est en cours, il peut encore rétablir les choses en faisant preuve d’engagement.

Il doit mobiliser immédiatement et de façon visible  quelques unités fidèles au régime, sans laisser le temps à la « confusion » de gagner les esprits, car dans les tous premiers moments, rappelons-le, les putschistes n’ont pas encore le gros de l’armée avec eux.

Le temps est un facteur déterminant qui peut jouer pour un camp comme pour l’autre. Mais généralement, il joue contre le pouvoir en place, parce qu’il permet à la confusion de se propager de sorte que l’armée ne sait plus à quel camp obéir. Si des troupes sont rapidement mobilisées par le cema, la perspective de combats fera toujours  reculer  « d’une manière ou d’une autre »  les mutins ou putschistes.

Parce qu’ils savent qu’ils ne sont qu’une minorité, et qu’ils seront par conséquent écrasés si des combats sont engagés.  La mobilisation de troupes sera aussi un signal à l’armée, pour lui dire que le pouvoir est toujours en place.

Ce qui est fatal aux régimes en place

Or très souvent dans ce moment déterminant, suite au vide qui s’installe, l’initiative est laissée aux putschistes, alors qu’en réalité ils n’ont pas encore le soutien de l’armée. C’est ce vide qui est fatal au régime en place. Personne ne veut prendre les devants pour coordonner la réponse aux putschistes. Tout le monde cherche à se « mettre à l’abri ».

Chez les militaires, devant un tel vide, « celui qui donne le premier ordre devient de facto le chef », quel que soit son grade, quel que soit son âge. C’est quelque chose de caractéristique dans la psychologie des hommes en armes. Celui qui se met devant une situation confuse et prend l’initiative de donner des ordres, devient tout de suite le patron. Et puisque les putschistes sont sur l’initiative, puisque ce sont eux qui donnent les ordres, alors ils se font obéir, et le régime en place chute.

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C’est un coup de poker qui se met en place. Le gros de l’armée va se ranger vers le camp qui paraît dominer l’autre, pas qui le domine effectivement mais qui paraît le dominer.

C’est ici une question de psychologie, c’est une perception qu’il faut donner aux troupes. Si le vide persiste, c’est que le pouvoir en place n’existe plus, alors le gros de l’armée va naturellement se ranger derrière les putschistes qui deviendront par défaut les nouveaux chefs. Si des initiatives visibles sont prises par le pouvoir, c’est qu’il est toujours en place, alors l’armée va rester fidèle à la chaîne de commandement officielle.

En déployant de façon visible quelques troupes, juste pour montrer à la fois à la population et aux putschistes qu’il est toujours en place, le pouvoir établit tout de suite un rapport de force. Or les mutins ou putschistes du fait du nombre, ne peuvent pas soutenir un « assaut compact ». Ainsi la perspective de combats les fera toujours reculer. Répétons-le, il ne s’agit pas de tirer le moindre coup de fusil, mais de seulement mobiliser de façon visible une partie de l’armée pour envoyer un « message » aux officiers qui tirent les ficelles.

Encore une fois, cela reste une question de psychologie. Les putschistes tenteront alors de négocier une sortie, quand bien même ils détiendraient le président en otage. Contrairement à ce que l’on pense, ils n’oseront pas s’en prendre à lui quoi qu’il arrive, parce qu’il est leur « assurance vie « .

Généralement le nouvel homme fort se montre un ou deux jours après le déclenchement de l’opération, lorsqu’il est sûr que le reste de l’armée ne « bougera pas ». C’est donc dire que ce n’est pas acquis d’avance, ce qui montre encore une fois qu’un putsch n’a rien d’un événement qui aboutit fatalement au renversement du régime en place.

Analyse des putschs qui se sont produits en Afrique depuis 2020

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Ces deux officiers ont mené des putschs dans un « climat social » qui rendait propice les choses

Au Mali, le putsch du Colonel Goïta en Août 2020 était difficile à éviter car le président IBK avait capitulé dans la tête face à la rue.

Après d’immenses manifestations, le pouvoir avait abandonné la partie bien avant que les militaires n’entrent en action. Il y avait déjà le ’’vide’’, ou plutôt cette ’’impression de vide’’ dont on a parlé plus haut, qui lors des putschs est tant fatal aux pouvoirs en place.

Lorsque les forces spéciales ont fait mouvement vers Bamako, la chaîne de commandement au sein de l’armée n’existait déjà plus, le pouvoir du président IBK s’était déjà effondré bien avant cela.

De même au Gabon en Août 2023, le pouvoir d’Ali Bongo n’existait plus du fait de sa maladie. En fait, il ne contrôlait plus rien. Sa femme avait en mains quelques manettes, mais le pouvoir était pour ainsi dire « vacant ». Les élections qu’il avait perdues alors que la Commission électorale l’avait proclamé vainqueur, annonçaient une énième crise dans ce pays. 

Le Général Brice Oligui N’Guema en tant que commandant de la garde présidentielle, a compris que le pouvoir n’existait plus. Il n’a fait que le saisir simplement. Dans ces deux pays, les putschs on peut le dire étaient « des fruits mûrs ».

Par contre en Guinée et au Niger, quand bien même les présidents étaient otages des putschistes, l’armée pouvait faire échouer ces putschs.  Elle devait pour cela encercler le lieu de leur détention et lancer un ultimatum. Devant la perspective de combats, les putschistes auraient inévitablement négocié une « porte de sortie ». Ils n’auraient fait aucun mal à ces présidents, parce que cela signifiait la fin pour eux.

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Le putsch du général Tiani au Niger (à droite) fut un copié-collé de celui du colonel Doumouya en Guinée (gauche)

On remarquera qu’au Niger, il a fallu deux jours afin que l’armée se range. Dans un premier temps, elle a bien encerclé la résidence présidentielle et menacé de donner l’assaut pour libérer le président. Mais quelque chose s’est passé et les blindés se sont retirés. Dans tous les cas, elle n’a pas été facile à convaincre. C’est dire que si dès le départ, on avait rapidement « isolé » les putschistes, la fin de l’affaire aurait été différente.

De même au Burkina, le Lieutenant-Colonel Damiba a déserté la présidence dès que les mouvements de troupes ont été signalés, et pendant presque deux jours, il n’a pas donné signe de vie. Aurait-il pu redresser les choses ? En s’adressant à la nation dans un appel solennel aux accents fermes, dès les premiers mouvements des troupes sur Ouaga, il aurait pu amener les putschistes à douter, à s’en tenir à des revendications sur leurs corporations, et non chercher à le renverser.

Encore une fois c’est une question de psychologie, un coup de poker. Il ne s’agit pas de tirer le moindre coup de fusil, mais de donner l’impression qu’on va le faire. C’est comme cela que cela fonctionne. Les putschistes doivent se sentir isolés, ils doivent surtout percevoir qu’ils n’ont pas le soutien de l’armée, ils doivent être sur la défensive. Alors ils abandonneront la partie.  

 Image forte

A qui du maréchal Mobutu (à gauche) ou du général Eyadéma (à droite) revient la paternité du premier putsch en Afrique Francophone ? Les avis divergent. Mobutu Sese Seko renverse le gouvernement de Patrice Lumumba dans une certaine confusion, dès 1960. Mais il ne gouverne pas le pays immédiatement. Il fait un second putsch en 1965 où il s’empare formellement du pouvoir.

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Le maréchal Mobutu ( à gauche ) ou du général Eyadéma ( à droite )

En Janvier 1963, Gnassingbé Eyadéma assassine le président Sylvanus Olympio du Togo, mais lui également ne s’empare pas immédiatement du pouvoir. Il fait un second putsch en 1967, à partir duquel il devient président du Togo. On le voit les deux hommes ont mené un parcours identique pour accéder au pouvoir. 

Eyadéma a peut-être été influencé par Mobutu. Si Mobutu n’a tué personne dans ses putschs, celui du général Eyadéma en 1963 fut traumatisant pour toute l’Afrique parce qu’il a assassiné (égorgé) le président élu. Ce fut le premier putsch sanglant de l’Afrique post indépendance.

Evidemment cela a profondément marqué les esprits et ouvert l’ère des putschs sanglants sur le continent. Pendant vingt ans, c’est -à -dire jusque qu’au début des années 80, les putschs vont généralement se traduire par la mort du président en place. Pour les historiens, Eyadéma est en partie responsable pour l’avoir fait en premier.

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Par Douglas Mountain – Le Cercle des Réflexions Libérales


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