Va-t-on finir par sanctionner le Togo au même titre que les pays de » l’AES ’’ ?
Depuis le début des années 2000, des protocoles additionnels ont été intégrés aux traités des organisations sous régionales un peu partout dans le monde, dans le but de renforcer l’Etat de droit dans les différents pays. Aujourd’hui un régime issu d’un putsch est tout de suite mis sous sanctions en Amérique latine, en Asie, en Afrique, partout dans le monde.
Il y a un consensus au niveau de la communauté internationale sur le fait que ces régimes doivent être isolés. L’Afrique de l’Ouest a enregistré cinq putschs (dont deux au Burkina Faso) depuis 2020. Il est légitime que les régimes concernés soient soumis aux sanctions prévues par les traités de la CEDEAO, de l’UEMOA, de l’Union Africaine, de l’Union européenne.
Mais le Togo semble jouer une partition difficile à lire, dans la bataille pour endiguer les putschs. En permettant à maintes reprises aux Etats du Sahel de contourner les sanctions qui leur sont imposées, sous le prétexte « de ne pas rompre définitivement le dialogue », le pays de Faure Gnassingbé en réalité mine les efforts des autres parce qu’il ne permet pas aux sanctions de pleinement agir sur ces pays. Le Togo mène une coopération pleine et entière avec ces Etats depuis le début, et plus encore aujourd’hui alors que toutes les sanctions n’ont pas été levées.
Le Togo joue à l’AES
Le 20 Octobre 2023, par exemple, le Togo organisait un forum officiellement axé sur la paix et la sécurité, et dont le thème était » comment renforcer les transitions vers une gouvernance démocratique en Afrique ». Difficile de comprendre qu’on puisse à la fois renforcer les putschs et la démocratie ! Ce fut une tribune où les représentants des juntes se sont exprimés en roue libre, alors que sous sanctions en ce moment, ils n’auraient tout simplement pas dû être autorisés à se rendre à Lomé. Cette démarche à elle seule traduit l’ambiguïté du Togo.
Disant vouloir maintenir un « couloir humanitaire », le Togo a toujours permis à ces pays de contourner les différents embargos. Dans les faits, il ne s’agissait pas de ’’couloir humanitaire’’ pour acheminer les produits de première nécessité, mais de couloirs tout court, qui permettaient à ces pays d’importer tout ce qu’ils voulaient. Pas une seule fois, le Togo ne s’est pleinement associé aux sanctions visant à amener les juntes du Sahel à respecter les chronogrammes de transition qu’ils avaient négociés avec la CEDEAO. C’est un fait établi.
Aujourd’hui les projets de coopération entre les Togo et les pays Sahéliens foisonnent : exercices militaires communs, échanges de renseignement, interconnexion douanière, divers avantages que le port de Lomé offre pour le transit de marchandises vers ces pays, il y a aussi un deal pétrolier qui unit les quatre pays, etc…. Le Togo semble être membre de « l’AES », ou du moins » membre observateur « .
Comment expliquer la proximité du régime togolais avec ces juntes ?
Par son ministre des affaires étrangères, le pays de Faure Gnassingbé se défend d’être une cinquième colonne au sein de la CEDEAO. Il dit plutôt vouloir suivre la politique de médiation de la CI sous Houphouët-Boigny, lorsque celui-ci contre tous, maintenait des contacts avec le régime sud-africain de l’apartheid. C’est l’explication avancée par les Togolais pour justifier leur proximité avec les régimes du Sahel, le « désir de toujours maintenir ouvert les canaux du dialogue’’.
En réalité des explications plus rationnelles expliquent l’attitude du Togo. Tout d’abord, sous des habits civils, nous avons un régime militaire à la tête du Togo, du même type que ceux du Sahel. La proximité vient d’abord de là. On a tendance à l’oublier, Faure Gnassingbé a été porté au pouvoir exactement dans les mêmes conditions que Deby fils, Kabila fils, Bongo fils.
Ils ont été imposés par l’armée au décès du père, au détriment des présidents des parlements, qui selon la constitution de ces pays, devaient assurer l’intérim jusqu’à la tenue d’élections. Contrairement à Kabila fils et Bongo fils qui ont laissé échapper de leurs mains » l’héritage de papa « , Gnassingbé fils lui tient fermement le pouvoir hérité de son père. A l’image des juntes du Sahel, son pouvoir repose sur l’armée. Par une réforme constitutionnelle insidieuse mais intelligente en 2024, il peut ainsi être président à vie.
Nous devons aussi prendre en compte les avantages économiques que le Togo tire de l’isolement des Etats Sahéliens.
Environ 90% des marchandises qu’ils importent transitent par le port de Lomé, qui vient encore de baisser la « redevance statistique » pour les marchandises en transit vers ces pays, de quoi accentuer son avantage sur les ports d’Abidjan, de Cotonou, d’Accra, et même de Conakry (pour le cas des marchandises en transit pour le Mali).
Lors des embargos financiers, les transactions vers ces pays transitaient par le Togo. Leurs capitales ont toujours été reliées par des vols réguliers en provenance de Lomé. Plusieurs publications sont parues pour montrer l’enrichissement du Togo du fait de l’isolement des Etats du Sahel. En réalité, le Togo « pompe » ces pays, et donc a tout intérêt à ce que leur isolement perdure.
Faure et Faye du Sénégal modérateur ?
Lors du dernier sommet de la CEDEAO de 09 Juillet dernier, les président Faure du Togo et Diomaye Faye du Sénégal, ont été désignés facilitateurs dans la crise pour un retour des Etats du Sahel au sein de la CEDEAO. A priori le choix de Faure comme médiateur semble logique vu ses liens étroits avec ces pays. Seulement il faut être prudent. Comme on l’a montré, le Togo n’a aucun intérêt à ce que les relations se normalisent entre ces pays et la CEDEAO, économiquement il peut perdre gros.
Tout porte à croire qu’encore une fois, Faure va continuer son double jeu dans cette médiation, avec le secret espoir que ces pays ne réintégreront pas la CEDEAO.
Ces derniers posent comme conditions pour leur retour, l’abandon des chronogrammes, de la suspension des Etats dans l’organisation, et l’autorisation aux chefs des juntes de pouvoir éventuellement se présenter aux élections. Inacceptable pour Bola Tinubu, le président nigérian, pour qui cela reviendrait à un retour en arrière. Il n’est pas exclu que Faure soit derrière ces exigences des juntes du sahel. Aujourd’hui le blocage est total.
En Afrique de l’Ouest, les togolais ont la réputation d’avoir toujours une double face, d’être repliés sur eux-mêmes, portés sur les « fétiches », bref pas vraiment des personnes idéales avec qui s’asseoir pour prendre un pot.
On en a l’illustration avec leur président. Si la CEDEAO « acte » la sortie des pays du Sahel, des dispositions vont suivre, que le Togo sera obligé d’appliquer intégralement, afin que ces pays ne continuent plus à bénéficier des avantages réservés aux membres de l’organisation. Ainsi tôt ou tard le Togo devra éclaircir son jeu. Faure va certainement continuer à louvoyer, pour engranger des points sur les deux tableaux. Mais la question d’éventuelles « sanctions » contre son pays sera inévitablement mise sur la table.
Image forte
L’ex-président sud-africain Jacob Zuma déguisé ici en guerrier zoulou. On oublie que les noirs sont arrivés au pouvoir en Afrique du Sud parce des sanctions économiques ont eu raison de l’apartheid.
Ç’est donc dire leur efficacité pour faire plier les régimes. Si des nations avaient violé les embargos et continué de commercer normalement avec le régime blanc qui gouvernait le pays, il est fort probable que l’apartheid se serait maintenu encore des années. D’où l’importance de maintenir les juntes en Afrique et partout dans le monde sous pression des sanctions, car les putschs ne doivent plus avoir droit de citer aujourd’hui.
Ledebativoirien.net
par Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales