« Un éminent économiste aux positions « gauchistes »
« Le 17 Septembre dernier, le site connectionivoirienne.net publiait une longue intervention du professeur Prao Yao Séraphin, sur le média Al Jazeera Network au sujet du CFA. L’homme est maître de conférences, agrégé en économie, enseignant-chercheur à l’université de Bouaké, et président du parti les Démocrates de Côte d’Ivoire (LDCI). C’est l’un des détracteurs du CFA, avec le professeur Koulibaly Mamadou. « Voici les 5 défauts du franc CFA, pourquoi nous n’en voulons plus dans nos pays », tel est le titre de la publication.
Tout d’abord, en employant le prénom » nous », le professeur Prao donne à penser qu’il parle au nom des Ivoiriens, ou du moins de la majorité de ceux-ci, ce qui est inexact. Le débat sur le CFA est monopolisé par ceux qui se définissent comme des « panafricanistes », mais ils ne représentent pas la majorité de la population sur la question. Le professeur Prao parle en son nom, ou du moins au nom de son parti, que cela soit clair.
Pour en venir à cette interview elle-même telle que rapportée dans l’article, on a une contradiction sur la fin, car le professeur Prao Yao Séraphin demande aux Etats d’abandonner le CFA, tout en reconnaissant qu’ils ne remplissent pas les conditions pour lancer une monnaie commune !!! C’est contradictoire de demander à une personne de poser un acte, quand on reconnaît qu’elle n’est pas en mesure de le faire.
Le professeur Prao commence par présenter le nom « CFA » comme symbolisant à lui tout seul l’héritage colonial que représente cette monnaie.
Pourtant on peut lui rappeler que le nom » Côte d’Ivoire » est le nom donné par les colons français à la partie de leurs possessions se trouvant entre le Libéria et la possession anglaise de la Gold Coast ( actuel Ghana ). Faut-il le changer ? Faut-il changer les prénoms que nous portons parce qu’ils nous viennent aussi des colons ? Certains pays ont africanisé tous les noms (le pays, les édifices, les prénoms etc…..). Cela n’a eu aucune incidence sur leur développement, puisque c’est de cela qu’il s’agit.
Pour le professeur Prao, le fait que la France siège dans les instances de la BCEAO, ou qu’elle nomme un représentant, est une mise sous tutelle des économies africaines.
Rappelons au professeur Prao que la parité fixe Euro-CFA, assortie à la convertibilité illimitée du CFA en Euro, est garantie par le trésor public français, non par les Africains. Ils n’en n’ont pas les moyens. Il est donc normal que la France ait un œil sur la politique monétaire mise en œuvre, puisque c’est elle qui alimente les trois banques centrales en Euros, à la hauteur de leurs besoins. Elle doit s’assurer que ces institutions mettent strictement en œuvre les textes qui régissent leur fonctionnement. L’impression de la monnaie obéit à des règles strictes. Et la France par son représentant a le droit de veiller à cela, il faut éviter que les Etats prennent des raccourcis comme on le constate ailleurs.
Pour le professeur Prao, les sommes versées par les Etats africains sur le compte d’opération ont servi à financer l’Etat français.
Rappelons au professeur Prao que la valeur d’une monnaie se maintient grâce aux réserves. Il est normal qu’on demande aux pays africains d’immobiliser une partie de leurs réserves dans un compte qui doit servir à la défense de la valeur de leur monnaie commune. On peut voir cela comme le coût qu’ils doivent supporter pour la parité fixe assorti à la convertibilité illimitée du CFA. Ne rien leur demander en échange n’aura pas de sens sur le plan économique. Un service leur est fourni, ce service doit avoir un coût. Il ne peut être gratuit.
D’autre part, les fonds mis sur le compte d’opération sont investis sur les marchés, et produisent des intérêts qui sont rétrocédés en partie aux banques centrales africaines membres de la zone CFA. Les chiffres sont régulièrement publiés. Ce n’est pas de l’argent que le trésor Français utilise en catimini. Il est bon de savoir cela.
Pour le professeur Prao, en 1968 les réserves mises par ces pays sur le compte d’opération représentaient 50 % des réserves de la France !!!
Nous exhortons le professeur Prao à faire attention aux chiffres. En 1968, que représentait vraiment l’économie des pays africains ? La Côte d’Ivoire n’était qu’un petit producteur de café et de cacao, avec du bois, tout comme le Cameroun. Le Sénégal ne produisait que l’arachide, le Gabon et le Congo n’étaient pas encore producteurs de pétrole, le Tchad, le Mali, la Haute Volta (aujourd’hui Burkina), le Niger ne vendaient que du bétail. Comment comprendre que ces pays pouvaient générer des devises à même de financer l’Etat français ? Comment comprendre que ces pays en 1968 ont déposé sur le compte d’opérations 50 % des réserves de l’Etat français ? C’est tout simplement invraisemblable.
Pour le professeur Prao, le libre transfert des capitaux entre la zone CFA et la France donne lieu à une fuite des capitaux, ce qu’on ne voit pas dans les autres pays. Les entreprises françaises transfèrent librement leurs bénéfices ce qui est néfaste pour l’économie de la zone selon lui.
Il faut lui rappeler que c’est le libre transfert de capitaux qui amènent les entreprises occidentales à s’installer dans un pays. D’autre part, il n’y a pas que dans la zone CFA où les bénéfices des multinationales sont rapatriés. Généralement avant de s’installer elles négocient ces détails avec le pouvoir en place. La chose n’est pas propre aux pays de la zone CFA.
Pour le professeur Prao, c’est une aberration que le CFA de l’Afrique de l’Ouest ne peut pas être échangé contre celui de l’Afrique centrale alors que les deux ont la même valeur en euros
Pourtant l’explication de cette situation est simple. L’UEMOA est plus peuplée, plus intégrée, plus diversifiée, et plus industrialisée que la CEMAC. Ainsi il y avait plus de CFA de l’Afrique de l’Ouest en circulation en Afrique centrale, que l’inverse. La BCEAC se retrouvait avec plus de billets à échanger que la BCEAO, du fait qu’il y a plus de populations qui quittent l’Afrique de l’Ouest pour l’Afrique centrale. Ainsi le CFA ouest africain tendait à s’imposer en Afrique centrale un peu comme le dollar aujourd’hui au Nigéria. Cela a conduit la BCEAC en 1992 à refuser de l’échanger à 1 contre 1. Depuis, les deux CFA ne sont plus officiellement interchangeables. Ce n’est pas une aberration, car dans les faits nous avons deux monnaies différentes, émises par deux banques centrales indépendantes l’une de l’autre.
Le président Houphouët va certainement se retourner dans sa tombe si la Côte d’Ivoire abandonne le CFA.
En ce qui concerne les avantages du CFA, le professeur Prao reconnaît que sa parité fixe permet aux pays de la zone franc d’éviter l’inflation incontrôlée. Le CFA est un bouclier qui leur a permis d’éviter l’inflation mondiale due à la guerre en Ukraine selon lui. Le professeur Prao reconnaît également que « grâce à la parité fixe avec l’euro, les investisseurs de la zone euro ou d’autres pays sont davantage incités à investir dans cette zone puisqu’elle les protège contre les risques de change ».
Il reconnaît enfin que « Via la mutualisation des réserves de change, la Zone franc favorise la définition de politiques économiques communes au sein de chaque région économique. Elle permet ainsi de créer des marchés plus importants et de favoriser une plus grande rigueur budgétaire, notamment grâce aux critères communs que les pays membres s’engagent à respecter. »
Comme premier inconvénient du CFA, le professeur Prao déclare que « la parité fixe empêche toute dévaluation compétitive. Par conséquent, le franc CFA, en tant que monnaie forte, pousse les pays membres de la zone monétaire à importer plutôt que de produire, donnant naissance à des balances commerciales souvent déficitaires. La remontée de l’euro par rapport au dollar, tirant de facto le franc CFA vers le haut pénalise les exportations de la zone. Le franc CFA agit comme une taxe sur les exportations et une subvention pour les importations. »
Il faut rappeler au professeur Prao que les pays africains ne produisent pas des biens manufacturés. Ils vendent des matières premières qui ne supportent pas de concurrence en tant que telle, et dont les prix sont déterminés en dollars selon la loi de l’offre et de la demande. Ce n’est pas parce que le naira sera dévalué que le Nigéria vendra plus de pétrole par exemple. La dévaluation compétitive est mise en œuvre pour un pays dont les biens sont facturés en monnaie locale sur les marchés étrangers. Ce n’est pas le cas pour les pays africains. Les prix du café, du cacao, du pétrole, de l’anacarde etc…. ne sont pas sensibles à la valeur des monnaies des pays producteurs.
Comme second inconvénient, le professeur Prao impute au CFA la « faible intégration commerciale » entre les pays membres. Il cite des chiffres censés montrer que dans les autres blocs sous régionaux, les pays commercent plus entre eux.
Le professeur Prao Yao se contredit lourdement. Les pays des autres blocs sous régionaux n’utilisent pas la même monnaie, et pourtant ils commercent fortement entre eux. C’est donc dire que la monnaie n’entrave en rien le commerce entre les pays. Ce n’est pas le CFA qui est responsable du faible commerce intracommunautaire dans les deux zones qui utilisent cette monnaie. Les causes sont à rechercher ailleurs, notamment dans les barrières non tarifaires.
Comme troisième inconvénient, le professeur Prao pointe que les banques en zone CFA ont reçu pour consigne de la part des deux banques centrales, de restreindre les crédits parce que ces ceux-ci contribueraient à alimenter les importations donc à terme à conduire à une dévaluation du CFA, ce qu’il faut éviter.
C’est une accusation grave portée contre les responsables de la BCEAO et de la BCEAC. Elle n’engage que son auteur. Il faut rappeler que les marchés sous régionaux des capitaux mis en place dans les deux zones CFA sont extrêmement dynamiques, et sont ouverts à tous sans restriction. D’autre part, les crédits accordés aux entreprises et aux particuliers reflètent l’activité à l’intérieur des économies. On ne peut pas comparer les pays de la zone CFA au Maroc. Ce pays n’est pas classé parmi les pays africains par les organisations internationales, mais dans la zone MENA (Middle East North Africa), tout comme l’Algérie, l’Egypte et la Tunisie.
Comme quatrième inconvénient du CFA, le professeur Prao pointe le fait que les deux banques centrales la BCEAO et la BCEAC ont « une politique monétaire uniquement axée sur la stabilité des prix, au détriment de la croissance et la création d’emplois ».
Rappelons au professeur Prao ce qui suit. L’objectif premier de la Banque Centrale Européenne est la stabilité des prix, tandis que celui de la Federal Reserve américaine est la croissance. C’est deux approches différentes. La Banque centrale américaine injecte beaucoup de liquidités dans l’économie et surveille surtout le taux de croissance et la création d’emplois. A l’inverse, la BCE fait moins d’injections et surveille l’inflation. En Afrique injecter de la liquidité conduirait à une dévaluation parce que l’industrie étant faible, les fonds seraient utilisés pour la consommation. Les pays qui dévaluent sans cesse leur monnaie sont ceux qui injectent beaucoup de liquidités dans l’économie. Notons que la stabilité des prix est aussi la règle prônée par le FMI.
Le cinquième inconvénient du CFA, est qu’il serait responsable de la faible attractivité des pays pour les IDE (Investissements Directs Etrangers). Selon le professeur Prao : « En Afrique, les IDE français ciblent en priorité des pays africains qui sont situés hors de la zone franc : l’Angola (en 2017 ce pays avait reçu 8,7 Md € d’investissements français), le Nigéria (8,6 Md €) et l’Afrique du Sud (2,5 Md €). »
Faut-il rappeler au professeur Prao que les investissements Français au Nigeria et en Angola sont exclusivement concentrés sur le pétrole, dont ces deux pays sont respectivement le premier et le second producteur en Afrique. Hors le pétrole et le gaz, ce sont bien des pays comme la CI et le Sénégal qui tiennent le pavé en Afrique sub-saharienne en ce qui concerne les IDE français.
Concernant la monnaie unique, le professeur Paro la préconise, mais reconnaît que les pays de l’AES, tout comme ceux de la CEDEAO ne sont pas en l’état actuel, en mesure de créer leur monnaie.
C’est honnête de sa part de ne pas verser dans le populisme
Mais son honnêteté l’amène à se contredire. On ne peut demander aux pays d’abandonner le CFA tout en reconnaissant qu’ils ne remplissent pas les conditions pour le faire !!! Autant se taire. Concernant la valeur de l’éco, l’éventuelle monnaie unique, le professeur Prao préconise un arrimage à un panier de devises, comportant l’euro, le dollar, et les monnaies chinoise, turque et brésilienne.
Tout cela reste de la pure théorie. Le professeur Prao reconnaît que le Nigeria sera le « garant » de la valeur de cette monnaie. Mais quand on voit que le naira est sans cesse dévalué, on peut être très inquiet pour la suite.
Et le professeur Prao de conclure : « Aujourd’hui, le franc CFA reste une monnaie au service des élites africaines, qui achètent des biens importés et envoient de l’argent en France et dans la zone euro. C’est aussi le cas des multinationales qui font des bénéfices en Afrique, qu’ils rapatrient dans la zone euro ».
C’est totalement incorrect de présenter les choses ainsi. Dans tous les pays africains, les élites importent en convertissant la monnaie locale en dollar ou en euro comme on le fait dans la zone CFA, avec cette différence seulement que la valeur du CFA est fixe, alors qu’ailleurs la valeur de la monnaie varie.
Le professeur Prao, et avec lui toute la cohorte qui aujourd’hui s’acharne contre le CFA devraient nous dire pourquoi avec une monnaie aussi mauvaise qu’est le CFA, une monnaie coloniale, les pays de la zone franc ne sont pas les derniers de la classe en Afrique ? Comment avec une monnaie aussi mauvaise, la Côte d’Ivoire est devenue la neuvième économie africaine alors qu’elle était la seizième en 2011 ?
Pourquoi le CFA, cette si mauvaise monnaie est devenue aujourd’hui une « quasi devise » en Afrique, stockée par les banques centrales du continent ? Pourquoi des pays non colonisés par la France ont intégré la zone CFA ? Pourquoi le CFA est la seule monnaie acceptée par certaines grandes nations industrialisées dans le cadre du remboursement des dettes ? Qu’ils répondent à ces questions ».
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