« Monnaie commune » CEDEAO : le Nigéria bienvenue ou doit être exclu d’une éventuelle communauté ? Décryptage Douglas Mountain

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Le Naira : la monnaie la plus volatile du continent

« Créée le 1er  Janvier 1973, en remplacement de la « livre nigériane », une monnaie indexée sur la livre sterling britannique,  le naira a fêté ses 50 ans le 1er Janvier 2023. Mais l’heure n’était pas vraiment à la fête, pour cette monnaie créée pour rompre le « dernier lien colonial » avec l’empire britannique. Alors qu’il valait 1,52 dollar à ses débuts, et que sa valeur se renforça durant les premières années (le naira était alors utilisé dans les transactions internationales), la monnaie a connu depuis une succession ininterrompue de dévaluations à partir des années 80. 

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Le naira, la monnaie la plus volatile du continent

Après avoir atteint un « plus bas historique » à 1 497,73 nairas pour un dollar le 16 Février dernier suite à la dévaluation du 29 Janvier, le naira a encore chuté pour atteindre un nouveau ’’plus bas historique’’  le 12 Août 2024, lorsqu’il fallait 1 712 nairas pour un dollar.  En Octobre 2024 un naira valait 0.37 FCFA.

Le naira a ainsi perdu 99,96% de sa valeur initiale en 51 ans d’existence, ce qui signifie qu’il a été divisé par 2 270. A titre de comparaison, le dirham marocain a été divisé par un peu plus de 2 au cours des 51 dernières années par rapport au dollar, tandis que le franc CFA a été divisé par environ 2,5. Le dinar tunisien a été divisé par 7, et le rand sud-africain par 24. Ainsi, le naira reste l’une des monnaies les plus volatiles d’Afrique, sinon la plus volatile.

Alors que la barre des 1000 nairas pour un dollar avait été franchie suite à la dévaluation du 19 Juin 2023, les graves difficultés économiques du pays et ses faibles réserves de change ont une nouvelle fois fait chuter lourdement la valeur de la monnaie, qui a perdu 40 % de sa valeur entre le 29 Janvier et le 16 Février, après avoir déjà perdu 39 % dans les deux semaines ayant suivi la précédente dévaluation de mi-juin 2023, et 15 % supplémentaire entre ces deux périodes.

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Le président Bola Tinubu. Investi en Mai 2023,

La descente du naira dans un puits sans fin, ne fait que refléter les graves difficultés économiques du Nigéria, ce géant au pied d’argile, qui souffre depuis bien longtemps d’une mauvaise gouvernance, d’une corruption endémique, et d’un manque de diversification.

Premier producteur africain de pétrole depuis plusieurs décennies, le pays n’est toujours pas parvenu à diversifier significativement son économie. Comme bien des pays africains, il demeure dépendant des cours du brut (90 % des recettes d’exportation), avec une production en baisse continue, en cause le siphonage des pipelines par les populations du delta du Niger. Le pétrole ainsi récupéré étant vendu en contrebande, d’où un manque à gagner important pour l’Etat et les compagnies occidentales.

Le Nigéria : un pays sous perfusion de ses recettes pétrolières

Les performances économiques médiocres du Nigéria s’observent avant tout par un taux de croissance annuelle de 2,0 % en moyenne sur la décennie 2014-2023, un niveau inférieur au taux croissance démographique (2,5 %), mais aussi inférieur à celui des principales économies de la région, notamment la Côte d’Ivoire 6,6 %, le Ghana 4,0 %, le Sénégal 5,3 %, et le Cameroun 3,9 %. Le déclin économique du Nigéria se traduit naturellement par la baisse du PIB par habitant, qui a reculé pour s’établir à 2 163 dollars début 2023 selon les dernières données de la Banque Mondiale, et ce malgré l’explosion des cours des hydrocarbures en 2022.

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Encore une fois, le pays est dépassé par la Côte d’Ivoire (2 486 dollars) et le Ghana (2 204 dollars), et devrait l’être bientôt par le Sénégal et le Cameroun, selon les projections de la Banque mondiale.

Du fait des dévaluations répétitives du naira, la population souffre depuis de nombreuses années d’une inflation assez importante, qui s’est établie à 13,0 % en moyenne annuelle sur la décennie 2013-2022, un niveau équivalent à celui du Ghana  (13,8 %), mais largement au-dessus de celui de la Côte d’Ivoire (1,7 %), du Cameroun (2,2 %), ou du Sénégal (1,8 %). Cette inflation a dépassé les 25 % en cours d’année 2023, avec le triplement du prix de l’essence suite à la suppression totale des subventions sur ce produit, une mesure radicale dictée par la situation financière délicate du pays. 

L’inflation a maintenu sa lancée pour s’établir à 30 % en 2024, ce qui a entrainé deux grosses manifestations contre la vie chère, dont la dernière à la veille de la célébration de l’an 64 de l’indépendance. Pour de nombreux nigérians, « il n’y a rien à célébrer ». Il est à noter que le Nigéria, malgré ses formidables revenus pétroliers, affiche le deuxième niveau le plus faible d’espérance de vie au monde, estimée à 52,7 ans en 2021, toujours selon les dernières données de la Banque mondiale.

Le pays avait occupé la toute dernière place en 2018 et en 2019, avant de dépasser de nouveau le Tchad (52,5 ans). De même, le Nigéria affiche le quatrième taux de mortalité infantile le plus élevé au monde, avec 70,7 décès pour 1 000 naissances vivantes, juste après la Somalie !! Enfin, il est également à noter que le pays peine en matière d’électrification, avec un taux d’accès à l’électricité de seulement 59,5% de la population en 2021, contre 71,1% pour la Côte d’Ivoire, 68,0% pour le Sénégal, et plus de 99% pour chacun des trois pays du Maghreb occidental (Maroc-Algérie-Tunisie).

Les lourdes conséquences de l’intégration du Nigéria dans une « monnaie unique » ouest africaine

L’intégration d’une économie dont la santé est aussi dégradée que celle du Nigéria, à une zone monétaire ouest-africaine aura des conséquences désastreuses sur les économies des pays de la région. Le déclin constant du Nigéria combiné à son poids démographique, tirerait vers le bas l’ensemble des autres pays, francophones, anglophones ou lusophones. Certes le Ghana est également un pays surendetté et en quasi-faillite. Mais quoique graves, ses difficultés sont ’’absorbables’’, compte tenu de son poids démographique ’’raisonnable’’ par rapport à ses voisins, ce qui n’est pas le cas du Nigéria.

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Aussi longtemps que le Nigéria n’aura pas résolu ses lourds problèmes structurels, son adhésion à une monnaie ouest-africaine est de nature à déstabiliser les économies qui partageraient cette même monnaie, cela malgré la mise en place d’un ‘’marché commun de 400 millions de consommateurs’’, censé accélérer le commerce entre les Etats membres. Outre les dévaluations à répétitions, la politique monétaire qui sera mise en œuvre sera plus adaptée à un pays en crise, et donc en déphasage avec les besoins des pays les plus dynamiques, le Nigéria par son poids (75% du PIB de la CEDEAO, et 55% de la population), dictant cette politique.

Comment pourrait-il en être autrement ? En fait, la « monnaie commune » va s’inscrire dans la continuité du naira. Intégrer le Nigéria dans une zone monétaire reviendrait pour les autres pays à adopter le naira. Les pays de l’UEMOA, qui sont largement en avance en matière de discipline budgétaire et de bonne gouvernance sur les autres pays de la région, et qui forment la zone la plus dynamique et la plus intégrée du continent, verraient leur élan se briser, avec un niveau d’inflation fortement et irrésistiblement orientée à la hausse.  

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Que va gagner la Côte d’Ivoire et l’Afrique francophone d’une éventuelle « monnaie unique » alors que la croissance est déjà forte dans la zone CFA ?

Les fluctuations de prix résultant des dévaluations répétées de la monnaie, sont un phénomène inconnu en zone francophone. Des émeutes et une instabilité politique ne sont pas à exclure pour ces pays. Cet aspect de la question est sous-estimé par ceux qui militent en faveur de la monnaie unique. D’où cette question,  au-delà de ce  « marché commun de 400 millions de consommateurs » dont on parle tant, que gagnent réellement les pays francophones dans la mise en place d’une monnaie unique  dans laquelle serait intégrée le Nigéria ?    

Enfin, le déclin économique du Nigeria favorise l’émigration de ses citoyens vers les pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre, et vers la lointaine Afrique du Sud, quoique l’émigration vers ce pays ait fortement ralenti du fait des fréquentes violences xénophobes. Tout compte fait, avec une population nigériane au-delà de 234 millions d’habitants, les pays d’accueil seront confrontés à un choc migratoire, et notamment ceux d’Afrique de l’Ouest, où les règles de la CEDEAO prévoient la liberté de circulation et de résidence pour les ressortissants des pays membres ». « DOUGLAS MOUNTAIN-Le Cercle des Réflexions Libérales.

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